34 Richard Gorman, Centre multiethnique de Québec

Émilie Blais

Richard Gorman est responsable des bénévoles au Centre multiethnique de Québec. Tout au long de l’entrevue, il nous a transmis son savoir, ses opinions et ses expériences concernant l’accueil des personnes réfugiées au Québec.

Formation et voyages

Richard Gorman eut un parcours scolaire remarquable. Il étudia d’abord en droit international et développement à l’Université McGill, puis, une fois bachelier, il fit une maîtrise en administration sociale à l’Université de Montréal. C’est suite à cette formation qu’il put devenir le responsable des bénévoles au Centre multiethnique de Québec. Cet organisme communautaire a comme mission « d’accueillir les immigrantes et immigrants de toutes catégories afin de faciliter leur établissement, de soutenir leur adaptation et leur intégration à la société québécoise et de favoriser leurs accès à de meilleures conditions socioéconomiques » (Centre multiethnique de Québec, 2016 : en ligne). Cette mission s’applique aux personnes réfugiées de toutes catégories.

Selon monsieur Gorman, voyager dans les pays d’origine des personnes réfugiées peut constituer un atout pour les professionnel-le-s et les bénévoles œuvrant dans ces organismes d’aide. Ces personnes peuvent ainsi voir de leurs propres yeux les conditions de vie difficiles des personnes réfugiées. Monsieur Gorman porte un grand intérêt aux différentes cultures. Il a eu la possibilité de séjourner dans le sud du Liban, le premier lieu d’accueil de beaucoup de réfugiés syriens. Ce fut une expérience fort pertinente pour lui, car il put observer la façon dont se passait leur arrivée, ce qui allait bien et ce qui allait moins bien pour eux ou pour le pays d’accueil. Ses nouvelles connaissances lui furent utiles à son retour pour mieux conseiller et aider les bénévoles et les personnes travaillant au sein du Centre multiethnique.

Je préfère servir la société plutôt que de servir une entreprise privée, car je veux faire une petite différence dans le monde.

Monsieur Gorman voyagea également ailleurs dans le monde arabe, notamment dans certains pays où il y avait beaucoup de réfugiés reconnus et non reconnus, qui fuyaient la violence et les conflits politiques. Ces voyages lui permirent de voir la réalité des pays en difficulté. Par ailleurs, il précise qu’il dut lui-même faire face à un grand choc culturel en immigrant au Québec. En effet, originaire des États-Unis, il connait bien les difficultés à travers lesquelles peut passer une personne s’installant dans un nouveau pays.

S’engager auprès des personnes réfugiées

Il y a différentes raisons qui expliquent la décision de monsieur Gorman de s’engager dans l’accueil des personnes immigrantes et réfugiées. Il cite notamment ses voyages, ses expériences personnelles et sa formation professionnelle, mais aussi le fait que cet emploi rejoignait entièrement ses valeurs : l’engagement et la liberté. Il se dit formellement contre le racisme et appuie le droit international. Il croit que notre monde devrait abolir ses frontières et que « tout le monde devrait avoir le droit de se déplacer comme bon lui semble ». Selon lui, le droit de se déplacer un peu partout éviterait beaucoup de problèmes. Le droit à l’asile est également cher à ses yeux : chaque personne devrait pouvoir trouver refuge lorsqu’elle est en danger.

Accueil des personnes réfugiées

Monsieur Gorman côtoie les personnes réfugiées et immigrantes chaque jour, mais ce n’est pas un intervenant de première ligne. Il n’est pas responsable de leur dossier, mais responsable de ceux et celles qui s’en occupent, c’est-à-dire les bénévoles. Son engagement se situe plus au niveau des ressources humaines. Il recrute, organise et conseille les personnes responsables des réfugiés. Selon son expérience, les principales difficultés des personnes réfugiées à Québec viennent des personnes réfugiées elles-mêmes, de l’expérience de l’exil, mais aussi de la société et de la culture québécoises.

Selon lui, l’un des grands problèmes est l’isolement. Une personne réfugiée fuit son pays non pas parce qu’elle est libre de le faire, mais parce qu’elle est dans l’obligation de se sauver si elle veut échapper à la violence des conflits qui mettent sa vie en danger. En plus d’être loin de sa famille et de ses amis, cette personne est souvent mise de côté par la population à cause des préjugés qui subsistent dans la société, lesquels sont fondés sur l’ignorance et la peur. De plus, la personne réfugiée doit s’intégrer alors qu’elle ne partage ni la langue ni la culture de son pays d’accueil.

Imaginez être coupé à la fois de vos réseaux familiaux et sociaux, de votre famille élargie et, en plus, de former une minorité linguistique !

Isolement et difficultés

C’est pour ces raisons que l’isolement représente un point faible de l’accueil des personnes réfugiées au Québec. À titre d’exemple, même si les personnes réfugiées sont très qualifiées en arrivant ici et qu’elles pourraient apporter beaucoup à notre société en raison de leurs connaissances et expériences, elles ne seront pas réellement considérées par les employeurs, qui soutiennent par exemple que les nouveaux arrivants seront un poids pour eux ou qu’ils ne connaissent pas suffisamment le marché du travail québécois. Selon monsieur Gorman, c’est un mythe : ils utilisent ce prétexte pour ne pas sembler racistes. Pourtant, tant que les personnes réfugiées n’obtiennent pas d’emploi, elles ne pourront pas apprendre à connaitre le marché du travail québécois. C’est un cercle vicieux. Bien sûr, ce processus est d’autant plus difficile pour les personnes réfugiées qui sont peu scolarisées.

Cependant, selon Richard Gorman, il y a aussi des points forts dans l’accueil des personnes réfugiées au Québec. En effet, il y a toujours des gens qui sont prêts à donner leur temps aux personnes en difficulté. Ces personnes au grand cœur font partie de notre communauté et monsieur Gorman en côtoie plusieurs. Par ailleurs, la ville de Québec a un grand avantage par rapport aux autres grandes villes comme Montréal. À Québec, la langue couramment parlée est le français. Les nouveaux arrivants qui s’y installent auront donc une seule langue à apprendre. À l’inverse, une personne réfugiée qui arrive à Montréal aura souvent deux langues à apprendre afin de se trouver un emploi. Il est donc plus facile de s’intégrer à Québec. De plus, le coût de la vie d’une plus petite ville à échelle humaine est généralement plus bas.

Conseils

Grâce à son expérience, monsieur Gorman a plusieurs recommandations à donner afin de faciliter l’accueil de réfugiés et d’immigrants. « D’abord, je crois que nous pourrions nous organiser mieux en misant sur la coopération et la concertation ». Selon lui, il devrait y avoir plus d’organismes spécialisés en francisation, des formations faites pour aider les entreprises à les accueillir et des organismes favorisant l’intégration sur le marché du travail. Il serait aussi important de consulter les personnes réfugiées elles-mêmes, de faire une rétroaction de leur expérience pour voir ce qu’on pourrait améliorer et ce qu’on devrait continuer de faire. En ce moment, il y a très peu de consultation directe.

Par ailleurs, monsieur Gorman remarque un problème sur le plan de l’information donnée aux personnes réfugiées avant leur venue. Il affirme que « les réfugiés syriens formulent des attentes qui ne se réalisent pas une fois arrivés sur place ». Il a également rencontré des familles étonnées qu’on parle français dans la province. D’autres ne savaient pas que Toronto ou Vancouver étaient loin de la ville de Québec. Il y a donc un grand manque d’information. Certaines personnes réfugiées croyaient même obtenir automatiquement un emploi et être hébergées dans des hôtels de luxe. Ces attentes irréalistes, et les déceptions conséquentes, auraient pu être évitées si davantage d’information leur avait été donnée avant leur arrivée au pays.

Concernant les Québécois et Québécoises qui s’inquiètent de l’arrivée de personnes réfugiées, Richard Gorman s’appuie sur sa riche expérience pour affirmer que « ça fait plus de 40 ans qu’on en reçoit, ici même. Ce n’est nouveau ni pour la ville ni pour la province. » Il conseille à la population québécoise de bien s’informer, car il y a beaucoup de méconnaissance et de mythes qui entourent ce sujet. Il déplore notamment la méfiance concernant la religion musulmane qui est reliée à l’arrivée des Syriens.

Je n’ai jamais vu d’étude démontrant qu’il y a plus de personnes susceptibles de commettre des actes de violence parmi les Syriens que parmi les Québécois.

Les Québécois et Québécoises doivent donc réfléchir au fait que les personnes réfugiées n’ont rien à gagner à venir au Canada pour y être violents.

Finalement, monsieur Gorman nous assure que les personnes qui aident et s’impliquent dans l’accueil des réfugiés ont déjà beaucoup d’esprit critique vis-à-vis des médias. Ce ne sont pas des gens dupés qui font facilement des amalgames entre les communautés, les croyances et les gens. Au Centre multiethnique, il ne connait personne s’inquiétant de l’arrivée des réfugiés syriens, par exemple.

Souk en Syrie. Source : https://pixabay.com/fr/alep-bazzar-syrie-souk-1078470. Crédit : lyad

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