14 Fabian Enrique Alvarez Vacca, Colombie

Maude Faucher

Fabian Enrique Alvarez Vacca est un réfugié colombien de 44 ans. Il est arrivé au Québec il y a plus de 11 ans avec sa femme et son premier enfant qui n’avait que sept ans à l’époque. Il a eu deux autres enfants depuis ce temps. Fabian et sa femme viennent plus précisément de Bucaramanga, en Colombie.

Départ, délais et arrivée

C’est le conflit social et armé colombien qui fut la cause de leur demande d’asile. On peut qualifier cette tragédie de guerre civile, idéologique ou même révolutionnaire. Ce qui est certain, c’est qu’entre 1985 et 2005, ce drame a causé plus de 250 000 morts. C’est environ 3 700 000 Colombiens déplacés par le conflit, dont 380 000 ont demandé ou ont obtenu le statut de réfugiés, et ce, dans 36 pays. Monsieur Alvarez et sa femme furent chanceux de quitter la Colombie pour avoir une meilleure vie. Au départ, ils n’étaient pas en couple et c’est sa femme qui avait fait une demande, sur les conseils de son ex-mari assassiné par les paramilitaires quant il était membre du conseil municipal. Fabian la rencontra par la suite. Elle eut le temps de tomber enceinte de leur deuxième enfant avant que sa demande soit enfin approuvée! Fabian se joignit donc à elle et déposa également sa demande du statut de réfugié.

Après avoir rempli les nombreux formulaires, ils passèrent des examens de santé (VIH, hépatite, etc.) et obtinrent leurs visas canadien et américain puisque leur avion faisait une escale aux États-Unis. Il n’y avait aucun vol direct de la Colombie au Canada. Le tout fut accepté en novembre 2002 et ils arrivèrent au Canada quatre mois plus tard. Lors du processus, sa femme dut également faire une entrevue qui allait déterminer leur lieu de résidence. Ayant de la famille à Edmonton, c’est à cet endroit qu’ils furent envoyés. Ils arrivèrent en mai et leur deuxième fille vit le jour exactement un mois plus tard. C’est le catholic social services qui les accueillit, les aida à s’adapter à leur nouveau pays et leur donna un appartement dans un bloc qui accueillait plusieurs réfugiés comme eux. L’homme qui était assigné à leur dossier leur fit à manger durant la première semaine, jusqu’à ce qu’ils reçoivent leur carte de débit, leur aide financière, leur carte d’assurance maladie, etc. En arrivant au Canada, c’est un statut de résident permanent qu’ils recevaient tous. Par la suite, ils avaient deux ou trois semaines pour se trouver un appartement et déménager. Fabian était professeur en Colombie, il avait pris le temps de lire sur les coutumes, la religion qui ressemble beaucoup à la leur et les valeurs canadiennes. C’est de cette façon qu’ils réussirent à s’adapter assez facilement à leur pays d’accueil. De plus, à cause des délais liés à la demande, ils eurent plus d’un an pour se faire à l’idée et s’imaginer plusieurs cas de figure.

Comparaisons sociologiques

Lors de leur arrivée à Edmonton, la famille de Fabian suivit un programme de deux ans en anglais afin de maîtriser la langue. Par la suite, arrivés au Québec, ils reçurent une formation de huit mois sur la langue française. En effet, après deux ans de formation et d’adaptation à Edmonton, Fabian entra en contact avec un ami colombien de longue date qui habitait maintenant au Québec. De plus, Fabian avait été accepté à l’Université Laval pour faire une maîtrise en sociologie. Il déménagea donc au Québec avec toute sa famille. Sa femme compléta un MBA par la même occasion. Il termina sa maîtrise en 2010 et commence présentement son doctorat, toujours en sociologie. Sa maîtrise s’intitule « Vers une nouvelle démocratie au Venezuela? Analyse comparée de deux cas d’étude de la démocratie locale »[1].

Dans son mémoire, il explique notamment qu’après avoir habité dans un endroit développé comme le Québec, il est souvent difficile pour des immigrants de retourner dans leur pays d’origine et d’abandonner une qualité de vie aussi élevée. Son essai traite de la démocratie locale dans les communautés vénézuéliennes et de la relation entre les acteurs sociaux et l’État afin de former des comparaisons avec sa province d’accueil. Par exemple, il note que les Québécois ont une culture plus individualiste, mais également plus respectueuse envers l’autre personne, tandis que les Latino-américains ont plutôt un esprit communautaire. En Colombie, tout le monde connaît ses voisins et les problèmes du voisin sont aussi les vôtres, tandis qu’ici, on laisse beaucoup de place à la vie privée. Sans être ni bien ni mal, c’est selon Fabian Alvarez une pratique qui a ses limites. La limite, chez les Latino-américains, c’est lorsqu’on croit faire partie des familles qui ne sont pas les nôtres, car on entre dans leur problème et dans leur vie. Chez les Québécois, la limite survient lorsqu’on est trop solitaire et qu’on ne prend plus en compte les gens qui nous entourent.

Valeurs québécoises

Dans le même ordre d’idée, monsieur Alvarez avoue aimer beaucoup le Québec pour ses valeurs d’honnêteté, de respect, ainsi que pour la tranquillité et la sécurité qu’on y retrouve. Selon lui, les Québécois sont plus chaleureux que les habitants de l’ouest du Canada et on y retrouve moins de racisme et de ségrégation raciale qu’en Alberta, par exemple. D’un point de vue politique, il fait également toujours la comparaison avec d’autres pays pour appuyer ses propos et avoue critiquer beaucoup le capitalisme dans la politique canadienne. Par contre, ce capitalisme est moins sauvage que celui des Américains. Il considère positivement notre système de santé en comparaison avec celui qu’il avait en Colombie.

Critique

La plus grosse critique de monsieur Alvarez concerne le système de francisation des immigrants. Le cours offert par le gouvernement est très court, contrairement à la formation sur la langue anglaise fournie à travers le reste du Canada. En effet, le cours d’anglais peut durer de deux à trois ans, alors que le cours de français est d’une durée de huit mois, en plus d’être souvent le premier à subir les coupures budgétaires, ce qui affecte le programme en entier. Selon Fabian Alvarez, « le gouvernement ne veut pas l’améliorer, car leur intention, c’est de donner aux immigrants des pistes de la langue pour qu’ils aillent directement au marché du travail, pour moins cher que les autres ».

Nous avons vu que les immigrants, comparativement aux Canadiens de naissance, sont moins susceptibles d’occuper un emploi dans l’industrie des biens et, en conséquence, sont plus sujets à se retrouver dans l’industrie des services. […] Enfin, les immigrants représentent 12,4 % de l’ensemble des travailleurs âgés de 25 à 54 ans (Institut de la statistique du Québec, 2009 : en ligne).

Présentement, Fabian décrit son emploi du temps en disant qu’il fait à la fois tout et rien. Il est à la fois homme à la maison pour s’occuper du ménage, des repas et des enfants lorsqu’ils reviennent de l’école; il aide également sa femme qui a transformé leur sous-sol pour en faire une garderie en milieu familial; il s’implique depuis quatre ans au sein de la Casa latino-américaine, dans la Confédération des associations latino-américaines de Québec[2] et aussi dans l’accueil des immigrants; il est le président du Centre de recherche et d’éducation populaire où il fait des conférences sur la problématique de l’Amérique latine, de l’exploitation minière, de la démocratie, etc.; il est aussi agent de comparaison pour la société autochtone. Donc, tout en n’ayant pas un travail typique de 9h à 17h, on peut dire qu’il se tient très occupé! Sans oublier que ses études se poursuivent assidûment. Il faut dire que son intérêt pour la sociologie et son parcours en tant que réfugié lui donne un discours unique et particulièrement intéressant.

Fabian et sa famille sont encore en contact avec leurs proches restés en Colombie, qu’ils essaient de visiter aux deux ans, tout comme ils conservent le contact avec les membres de la famille de sa femme qui se trouvent majoritairement en Alberta. Le fils plus âgé de monsieur Alvarez poursuit désormais des études à l’Université de Montréal.

Arrivée d’autres réfugiés

Pour finir, à savoir ce que monsieur Alvarez pense de l’arrivée des réfugiés syriens, il répond tout simplement : « Bravo, Trudeau! ». Fabian trouve positif que le gouvernement aide les gens en situation de crise économique ou de guerre à se retrouver dans un environnement sécuritaire. Par contre, il considère que le gouvernement exploite les réfugiés en ne reconnaissant pas leurs formations. Selon lui, il y a dans le système un manque flagrant d’opportunités pour les réfugiés et les immigrants s’installant au Québec. Selon lui, l’immigration ne devrait pas être vue comme une problématique pour les gouvernements, mais plutôt comme un avantage. Mais pour l’instant, le système d’immigration canadien va chercher des immigrants afin d’obtenir une main-d’œuvre bon marché, selon lui.

La principale recommandation que Fabian aurait à proposer aux futurs réfugiés arrivant au Québec est de s’intégrer le plus possible à la société en s’inscrivant dans une école ou en allant directement dans le marché du travail. La barrière de la langue est facilement dépassée lorsqu’on est entièrement intégré dans la société. Lui et sa famille sont très heureux d’habiter au Québec et ils ne retourneraient pour rien au monde dans leur pays. La sécurité que leur procure le Canada est une grande motivation. Même s’il est plus difficile pour eux de trouver un emploi ici, il n’était pas non plus facile d’obtenir un bon emploi dans leur pays. Étant retourné en Colombie en 2011 et 2012 comme professeur, Fabian a rapidement compris qu’il était mieux au Québec. Élever une famille au Québec est plus sécuritaire et le niveau de pollution est nettement moins élevé. Il avoue quand même que c’est sa famille qui le garde ici. S’il était seul, sans doute retournerait-il en Colombie.

Colombie. Source : https://pixabay.com/fr/medell%C3%ADn-ville-coucher-de-soleil-2343953. Crédit : Zomogy

  1. Il est possible de la consulter en ligne via le site : www.theses.ulaval.ca/2010/26599/26599.pdf
  2. http://recherche.211quebecregions.ca/record/QBC0322

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