28 Hélène Duchesne, Centre Louis-Jolliet

Adeline Desrochers

Il y a de ces gens qu’on croise au cours de notre vie et qui nous inspirent, nous touchent ou nous marquent pour quelque raison que ce soit. C’est ce qui m’est arrivé. En effet, j’ai eu la chance de rencontrer une de ces personnes : Hélène Duchesne. Cette enseignante de français et d’histoire au Centre Louis-Jolliet de Québec, un centre de formation pour adultes, m’a permis de comprendre l’importance de l’ouverture à l’autre et les difficultés auxquelles doivent faire face les personnes réfugiées et les immigrant-e-s à leur arrivée au Québec. Je vous invite à découvrir cette femme qui, depuis 32 ans, participe à la réussite et à l’intégration de plusieurs d’entre eux.

Hélène Duchesne le dit elle-même, elle n’a pas choisi de faire carrière auprès des personnes réfugiées et immigrantes, c’est plutôt la vie qui l’a amenée à côtoyer ces gens. Il y a une vingtaine d’années, ses classes étaient seulement constituées de Québécois et Québécoises, souvent un peu démunis, qui revenaient sur les bancs d’école pour terminer leur secondaire et ainsi poursuivre des études au cégep ou obtenir un DEP (diplôme d’études professionnelles). « Puis, tranquillement, sont arrivés des gens du Chili, du Salvador… Après ça, ça a été le Burundi, le Rwanda, et depuis quelques années, je vois des visages du Congo, de la Colombie et de l’Asie, particulièrement de la Birmanie », raconte-t-elle. En fait, la moitié de ses classes, qui comptent chacune 30 élèves âgés de 16 à 35 ans en moyenne, sont composées de gens issus de l’immigration, des réfugiés en grande majorité. Mais pour elle, qu’ils soient Québécois, Birmans, Colombiens, Chiliens ou de toute autre nationalité, cela ne lui importe pas.

Je les prends comme ils sont. Ils font partie, pour moi, de tous ces gens-là qui sont différents et qui ont un parcours différent.

Chacun d’eux possède sa propre histoire et l’objectif de l’enseignante est seulement de les accompagner et de leur donner les outils pour qu’ils et elles puissent obtenir leur diplôme et intégrer le marché du travail. Une tâche parfois complexe, elle le reconnaît, mais souvent beaucoup moins ardue que les épreuves auxquelles certains font face pour parvenir à obtenir ce diplôme. Dans le cas des personnes réfugiées et des immigrant-e-s, l’apprentissage du français n’est pas chose facile. Pour en comprendre réellement les raisons, il est essentiel de s’attarder au processus de cet apprentissage.

L’apprentissage du français : une étape difficile

Une personne réfugiée ou immigrante ne peut intégrer la classe de madame Duchesne que si elle est capable de parler un français dit fonctionnel, c’est-à-dire qui permet de converser avec les gens. Les personnes qui ne satisfont pas à cette exigence sont amenées à suivre des cours de francisation, qui sont aussi offerts au Centre Louis-Jolliet, pour atteindre le niveau demandé. Certains, notamment les jeunes, vont y parvenir en trois ou quatre ans environ. Ensuite, ils et elles sont intégrées aux classes régulières de français, dont celle de madame Duchesne, et suivent le programme de français de niveau secondaire destiné aux adultes. Il y en a d’autres qui, comme les élèves provenant des pays francophones d’Afrique, vont directement entrer dans sa classe sans passer par la francisation, parce qu’ils et elles maîtrisent oralement la langue française.

Madame Duchesne n’a que de bons mots à dire de ses collègues qui enseignent la francisation : « Nos professeurs de francisation sont très bons. Quand ils montrent le français, ils ne font pas qu’enseigner le français, ils montrent aussi comment vivre ici ». Elle comprend que le processus fonctionne ainsi, mais avoue tout de même que trois ou quatre ans, c’est très rapide pour apprendre une nouvelle langue. Elle constate que les élèves ont souvent l’idée que satisfaire aux objectifs du programme de français du ministère sera similaire à l’étape de francisation. Certes, ils et elles saisissent qu’il y a des exigences très précises à respecter pour passer au niveau suivant et que se débrouiller en français n’est pas suffisant pour faire les examens qui leur permettront d’obtenir leur diplôme. Toutefois, la rencontre de ces exigences est souvent plus complexe que ce qu’ils et elles s’étaient imaginé. « C’est comme si parfois ils arrivaient trop vite dans ma classe. Ils n’ont pas le bagage qui fait que je peux leur faire réussir le programme et pour eux ce n’est pas toujours facile à comprendre ». Elle soutient aussi que parler une langue, ce n’est pas la même chose que savoir l’écrire. Les élèves qui ne passent pas par la francisation parce qu’ils maîtrisent la langue française à l’oral ont souvent de la difficulté à l’écrire correctement. Ces obstacles contribuent à une phase de découragement chez plusieurs élèves.

Du découragement…

C’est d’ailleurs la plus grande observation que madame Duchesne a pu faire au cours de sa carrière. « À un certain moment, les élèves ont l’impression qu’on les empêche d’avancer. C’est comme s’ils nous en voulaient ». Madame Duchesne comprend cependant que ce ressentiment n’est pas du tout tourné vers elle. Ça fait partie du processus de prise de conscience que les personnes réfugiées ou les immigrants éprouvent souvent lorsqu’ils arrivent dans un nouveau pays. Dans ce processus, ils constatent que l’apprentissage du français n’est pas chose facile et qu’il les freine dans leur désir d’atteindre les buts professionnels qu’ils se sont fixés. Lors d’une des formations au Centre Louis-Jolliet, une conseillère expliquait d’ailleurs qu’une période de découragement est vécue par la majorité, sinon par toutes les personnes réfugiées ou immigrantes. À leur arrivée dans leur nouveau pays, il y a d’abord une phase d’euphorie et de découverte, puis survient une nostalgie de leur pays d’origine, accompagnée de la réalisation que le processus d’adaptation sera plus long et complexe que prévu. Même si certaines personnes ont vécu des tragédies parfois innommables, les petits défis que constituent l’intégration peuvent soudain paraître difficiles à surmonter. Imaginez un instant vivre un déracinement complet…

… et de la persévérance

Mais si madame Duchesne a été témoin de cette phase de découragement, elle a surtout vu de la détermination chez les élèves de sa classe.

Ils sont brillants, ils sont persévérants et ils sont vraiment motivés à vouloir intégrer le monde du travail.

L’enseignante maintient que c’est souvent fondamental pour les personnes réfugiées et immigrantes de travailler. Bien que pour certains l’apprentissage du français soit beaucoup plus long que pour d’autres, les réfugiés ont cette volonté de persévérer et sont reconnaissants d’avoir la chance d’étudier.

Madame Duchesne raconte qu’une fois, elle avait un élève qui travaillait très fort pour atteindre le niveau de français suivant, mais avait du mal à y parvenir. Elle craignait qu’il se lasse et décroche, mais lorsqu’elle l’a questionné à ce sujet, il lui a répondu que le simple fait d’avoir accès à l’école est un bonheur pour lui, car il n’y avait jamais eu accès dans son pays. Des contraintes relatives à leur milieu peuvent aussi influencer les personnes réfugiées et immigrantes dans leur désir de travailler, notamment les jeunes. Puisqu’ils et elles ont une capacité d’apprentissage généralement meilleure que celle de leurs parents qui parfois ne parlent pas du tout français, il y en a plusieurs qui ont la lourde responsabilité de subvenir aux besoins de la famille et parfois même de la famille restée dans leur pays d’origine.

L’enseignement de l’histoire de niveau secondaire 4 a aussi permis à l’enseignante d’assister à de beaux moments tout au long de son parcours professionnel. Elle affirme que « le fait d’enseigner l’histoire du Québec amène de belles discussions ». De plus, lors de sorties, notamment à Wendake, certains de ses élèves lui disent parfois que ça leur fait penser à leur société d’origine. « Ils retrouvent un peu les relations humaines qu’ils avaient, les façons de faire, ils font des liens avec ce qu’ils connaissent et je trouve que c’est bien au niveau culturel ».

Madame Duchesne note que les élèves ont généralement tendance à avoir plus de facilité avec le cours d’histoire que les cours de français, notamment parce que l’examen est à choix de réponses. Elle mentionne que ce cours plus magistral permet réellement de belles interactions. « J’ai eu des élèves qui me demandaient parfois comment je faisais pour ne plus aller à l’église le dimanche. C’est comme s’ils me ramenaient à une autre époque et c’est intéressant d’entendre ce qu’ils pensent ». Les cours d’histoire sont une façon pour ces élèves de découvrir leur nouveau pays et sont bénéfiques à leur adaptation. Une étudiante, qui avait réussi ses examens d’histoire avec des notes parfaites, a d’ailleurs déjà dit à madame Duchesne : « Vous m’avez vraiment permis d’intégrer mon nouveau pays, de connaître mon nouveau pays ». Bref, ces personnes ont envie d’être partie prenante de leur terre d’accueil et elles désirent faire leur place dans la société.

Les contraintes institutionnelles : une difficulté supplémentaire

Outre l’adaptation sociale et l’apprentissage scolaire, particulièrement celui du français qui est un obstacle majeur, mais un chemin obligé, ce sont parfois les balises imposées par les institutions qui peuvent nuire à cette intégration. Pour madame Duchesne, la reconnaissance des diplômes antérieurs est souvent le véritable obstacle. « Au Québec, je trouve qu’il y a un bout à faire. On ne donne pas [aux personnes réfugiées et immigrantes] la chance de travailler ».

Au cours de sa carrière, madame Duchesne a vu des élèves qui, dans leur pays, exerçaient des professions exigeantes et demandant des niveaux d’éducation élevés, notamment des médecins. Bien que ces étudiants soient très scolarisés, on leur refuse l’accès aux universités. Ils doivent alors apprendre le français en plus de devoir se réorienter vers des emplois nécessitant moins de qualifications. Ils obtiennent souvent des DEP ou poursuivent des études au cégep, mais ne continuent pas à l’université, parce que le parcours est trop long. Madame Duchesne insiste pour dire qu’il est normal qu’une personne ne retrouve pas instantanément son droit de pratique et qu’il est primordial qu’on lui demande de refaire des cours pour le ravoir, mais elle considère que tout le monde y gagnerait si on donnait au moins la possibilité à ces gens d’étudier dans leur discipline précédente, dans un niveau qui correspond à leurs connaissances. Refaire plusieurs années d’études, alors qu’ils maîtrisent déjà plusieurs acquis, n’est pas la meilleure solution selon elle et, à ce niveau, le Québec pourrait changer et s’ouvrir davantage à diverses réalités.

L’ouverture

En fait, de ma rencontre, c’est vraiment ce que j’ai le plus retenu de cette femme inspirante, qui s’est toujours intéressée aux gens qui ont des parcours de vie difficile. S’ouvrir à la différence et l’accepter. Se mettre à la place de ces gens qui ont vécu des drames et qui ont besoin d’aide. Ce n’est pas toujours facile, bien entendu, et c’est même parfois tellement irréel pour nous qui sommes si confortables au Québec que ça ajoute à la difficulté. On dit cependant que parfois les mots peuvent faciliter la compréhension. C’est pourquoi je terminerai sur cette phrase que madame Duchesne m’a dite alors qu’elle me parlait d’une de ses anciennes étudiantes qui avait beaucoup de difficulté à réussir ses cours de français : « Elle était un peu amère et là je lui ai dit : « Écoute, ça prend du temps, mais continue, c’est déjà extraordinaire ce que tu as fait » et elle m’a dit : « Moi, habiter ici, prendre mon café et qu’il n’y ait pas de coups de feu autour de moi, c’est ça qui est extraordinaire » ».

Hélène Duchesne

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