25 Famille Baingana, Ouganda

Sara Coté-Bisson

Appréciez-vous les films britanniques? Si oui, vous avez probablement déjà vu celui qui a remporté le prix du meilleur film britannique de l’année 2006 : The Last King of Scotland. Ce drame met en scène des faits vécus liés à la dictature d’Idi Amin Dada en Ouganda, en 1971. Si vous préférez le romantisme, peut-être connaissez-vous le film Mississippi Malasa, dont les quinze premières minutes font référence à ce conflit politique ayant forcé une partie du peuple ougandais à quitter le pays. C’est de la ville de Kampala, capitale de l’Ouganda, que nous vient la famille Baingana, dont les membres durent se réfugier ici, à Québec, dans les années 70.

Le conflit ougandais

Monsieur Baingana n’avait que 28 ans lorsqu’il fut dans l’obligation de fuir sa terre natale avec sa famille. Le général Amin, à l’époque, s’était emparé du pouvoir par un coup d’état et avait décidé que l’Afrique devait exclusivement être réservée aux Africains noirs. Bien qu’elle soit née en Afrique, la famille Baingana tire ses racines de l’Inde et n’a donc pas la peau noire.

Qu’est-ce qui nourrissait tant cette haine d’Idi Amin envers les Africains d’autres origines? En fait, il s’avère que les Indiens d’Afrique étaient reconnus pour occuper les emplois les plus importants au pays, donc les mieux rémunérés. Monsieur Baingana en énumère quelques exemples : « Les médecins, les juges, les avocats, les infirmiers étaient tous des Indiens. On était presque les Juifs de là-bas. The whole economy was run by us. » Il fait ici référence à ce vieux stéréotype raciste selon lequel les Juifs sont des personnes puissantes et avares. Ainsi, le dictateur accusait les Indiens de contrôler l’économie et de laisser les emplois moins intéressants aux Africains noirs.

Mais pourquoi y avait-t-il des Indiens en Afrique? Ce sont les Anglais qui les avaient autrefois ramenés en Afrique pour qu’ils travaillent sur la construction des chemins de fer.

Ainsi, c’est lorsqu’Idi Amin affirma que toute l’économie était « contrôlée » par les Africains non-noirs qu’il mit de l’avant sa devise « Africa is for black Africans only ». Conséquemment, les non-noirs fuirent dans les délais exigés, l’économie du pays chuta et le dictateur fit tuer 500 000 personnes qui refusaient de quitter le pays. Même les Africains noirs qui n’appuyaient pas ses idées politiques périrent. Le général Amin se fit finalement jeter dehors après huit ans de tyrannie, ce qui signifie qu’aujourd’hui, ce conflit est terminé et l’Ouganda n’est plus un pays dangereux.

Le périple vers Québec

C’est donc à cette époque que commença le périple de la famille Baingana vers le Canada. Dans l’heure suivant son mariage, monsieur Baingana apprit qu’il était forcé de faire ses valises en moins de trois mois. Au début, la plupart des habitants n’y croyaient pas. Mais la réalité se fit sentir dans les heures précédant le grand jour : « En vingt-quatre heures, il faut qu’on quitte et les autres crient pour qu’on s’en aille », explique-t-il. Heureusement, le Canada leur ouvrit les bras sans problème. « Quand on a été accepté pour venir, on a dit : on va tous y aller ensemble (les frères, les sœurs) ».

Cependant, le Québec n’était pas leur premier choix. Puisqu’ils ne savaient pas parler en français, ils espéraient se retrouver dans une province anglophone.

On a choisi le Canada, mais pas le Québec. Il y a un avion qui a débarqué à Dorval et un autre à Edmonton, et quand on a débarqué là-bas, ils nous ont envoyés ici (à Québec).

En effet, la famille était unie et comptait un grand nombre d’individus qui désiraient demeurer ensemble à tout prix dans leur destination d’accueil. À Québec, c’était possible de rester ensemble, mais pas dans les provinces anglophones. Beaucoup d’Ougandais vinrent s’installer au Québec durant cette période. Ils furent donc transportés d’Alberta jusqu’à la gare du Palais, à Québec. Un employé du gouvernement les attendait avec un autobus pour les amener à la gare maritime, sur le boulevard Champlain, où il y avait un hébergement pour les réfugiés et les immigrants. C’est à cet endroit qu’ils furent logés pendant environ neuf semaines.

Les premiers moments à Québec

Bien qu’ils soient arrivés durant l’automne, ils se sentaient en plein hiver à cause du froid. La première journée, ils voulurent s’aventurer dans les rues près de leur hébergement. Cependant, ils avaient peur de se perdre dans ce nouvel environnement. Les premières journées, ils se rendaient au premier feu de circulation, puis revenaient à la gare maritime. Ensuite, ils se rendaient au deuxième, puis au troisième, au quatrième, etc. Ils finirent par se rendre jusqu’à la rue Saint-Joseph, où ils découvrirent les commerces. Pendant les semaines passées à la gare maritime, ils étaient logés et nourris par le gouvernement, qui leur donnait environ 10 $ par personne, par semaine, comme argent de poche. Avec ce montant, ils pouvaient aller au restaurant. Après neuf semaines, la famille déménagea dans un couvent de religieuses.

Ce qui fut le plus difficile les premiers mois, mis à part l’adaptation au climat, c’est qu’ils ne connaissaient pas un seul mot de la langue française. Heureusement, le gouvernement fédéral leur offrit des cours de français pour les six premiers mois, ce qui contribua beaucoup à leur apprentissage. « Après six mois de cours, on avait la base. On faisait des erreurs, mais on voyait comment les gens parlent avec l’accent et on essayait de parler pareil », explique-t-il. Au septième mois, ils suivirent des cours sur le fonctionnement du gouvernement et des lois. Ils durent également s’acclimater à la nourriture du Québec. Il renchérit : « C’était dur, parce qu’on mange épicé [en Ouganda] ».

En général, l’intégration au Québec se déroula bien pour la famille. Monsieur Baingana affirme qu’ils furent tous bien dirigés pour trouver des emplois. « Les gens qui travaillaient dans le centre d’emplois nous ont amené dans quelques endroits pour travailler. Moi, j’ai voulu aller travailler à Toronto, puis on m’a donné 91 $. Je me rappelle : j’étais à Toronto, puis je suis revenu parce que la famille était ici. Je n’ai pas eu un appui familial, donc je suis revenu ici et j’ai trouvé un emploi. ».

Après plusieurs mois, monsieur Baingana ouvrit son premier commerce, un magasin à l’esprit très hippie.

La vie aujourd’hui

Après quelques années, un des frères Baingana devint l’unique membre de la famille à gérer le commerce et demanda à son fils de travailler pour lui. Bref, grâce à l’esprit entrepreneurial qui plane dans la famille, l’intégration au marché du travail se passa très bien et se transmit d’une génération à l’autre.

L’édition de l’hiver 1973 du magazine Visa-Vie contient un article traitant de la première vague de réfugiés ougandais qui sont arrivés au Canada. L’article soutient que « ce qui impressionne chez ce premier groupe de réfugiés, c’est la diversité de leurs qualifications professionnelles et commerciales. La plupart ont reçu une excellente éducation et parlent anglais couramment. Plusieurs ont vécu des expériences traumatisantes, mais ils sont prêts à relever un nouveau défi » (Brigstocke, Visa-vie, 1973).

En ce qui concerne l’éducation, la plupart des membres de la famille étaient assez jeunes à leur arrivée et n’avaient pas encore entamé d’études universitaires. Les plus jeunes et ceux qui sont nés après l’arrivée à Québec firent leurs études à l’école anglophone. L’apprentissage en anglais était plus facile pour cette famille qui ne connaissait pas un mot de français à son arrivée. Bien que le gujarati soit la langue parlée par leurs ancêtres indiens, ils parlaient couramment l’anglais en Ouganda et même après leur arrivée au Québec.

Acceptation des valeurs québécoises

On savait qu’on ne venait pas dans le même milieu. On était végétarien, mais on était bien reçu. Puis on a jamais eu de misère, jamais été insulté ou n’importe quoi.

Ainsi, ils se sont contentés d’apprendre à vivre avec les valeurs québécoises, sans les juger. Jamais ils ne se sont fait attaquer par rapport à leur religion hindouiste.

Il faut rappeler que dans les années 70, les nouvelles sur Internet n’existaient pas, le monde était souvent moins conscient des différences qui existaient ailleurs.

Quelques conseils

Si la famille pouvait donner un conseil aux prochains réfugiés qui viendront à Québec, ce serait d’avoir la patience d’apprendre le français, sans quoi ils devront prendre le blâme s’ils ne réussissent pas à s’intégrer. Ils doivent, du moins, faire l’effort d’essayer. La famille a aussi un message pour les Québécois : se montrer tolérants envers les personnes réfugiées et les immigrants. Ils représentent une minorité qui tâche de s’intégrer du mieux possible et qui nécessite la collaboration de tous pour y parvenir.

Lac en Ouganda. Source : https://pixabay.com/fr/lac-albert-ouganda-afrique-2103890. Crédit : 4665562

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