19 Nermina X., Bosnie-Herzégovine

Célina Bédard, Gabriel Bolduc, Jean-Benoît Dubé et Gabriel Théberge

Réfugiée depuis maintenant près de 20 ans au Québec, Nermina X. a quitté la ville de Brčko, en Bosnie, en raison de la guerre civile qui allait éclater. C’est en 1992, en compagnie de son mari et de son fils de six ans, que sa fuite eut lieu. Ils sentaient tous qu’une guerre arrivait et voulaient éviter le pire. Ils se sauvèrent au bon moment, avant que tout commence. Il y eut très peu de préparatifs. Elle travaillait comme commis de bureau et lui, comme officier dans l’armée. Une journée comme une autre, ils parlèrent à quelques amis, quelques membres de leur famille, et firent leurs valises. C’est spontanément qu’ils décidèrent de partir vers la Slovénie, comme plusieurs autres Bosniaques à l’époque.

Fuir la Bosnie

Le jour où ils partirent, Nermina et sa famille croyaient fuir la Bosnie pour quelques jours, seulement le temps que durerait la guerre. Ils restèrent pourtant réfugiés en Slovénie pendant trois ans. Ils purent même rebâtir quelque chose de bien. Son mari travaillait, elle était à la maison, qui possédait un petit jardin, et les gens les aidaient beaucoup. Heureusement, leur famille et leurs amis qui étaient restés au pays survécurent. « Les premiers quelques mois, la communication était très difficile et après, on s’est organisé avec l’aide humanitaire. C’était bien, mais stressant ». Puis, lorsque la guerre se termina enfin en Bosnie, la Slovénie voulait « faire un ménage » et retourner les réfugiés comme Nermina et sa famille dans leur pays d’origine. Pourtant, leurs proches qui étaient encore en Bosnie leur disaient que tout avait été détruit et qu’il n’y avait pas de place ou de bonnes conditions pour les accueillir de nouveau. « Notre pays était presque fini. Les écoles, les hôpitaux, les centres d’achat, tout était détruit. Qu’est-ce qu’on allait faire si on retournait là-bas? On voulait quelque chose de plus sécuritaire pour notre fils, surtout », témoigne-t-elle.

C’est alors qu’ils pensèrent au Canada et plus précisément à Saskatoon, en Saskatchewan. Ils firent les démarches, mais après seulement cinq jours dans leur nouveau pays, ils voulaient déjà repartir. La culture anglophone, l’ambiance et le manque d’activités ne les rejoignaient pas du tout. Ils arrivèrent en croyant qu’ils seraient dans une petite ville, mais quand l’interprète leur dit qu’ils étaient dans le centre-ville, ils réalisèrent que c’était beaucoup plus petit que ce qu’ils espéraient. « On est rentré dans un dépanneur et il y avait au moins un pouce de poussière sur chaque item. C’est là que nous avons vu que ça ne bougeait pas assez pour nous ». Ils ne sentaient pas non plus accueillis et n’étaient donc pas motivés à rester plus longtemps.

Mon fils était terriblement malade et nous avons réfléchi et contacté nos amis bosniaques qui s’étaient installés au Québec pour qu’ils demandent au centre d’immigration s’il nous accepterait. On ne pouvait pas passer comme nous voulions. Lorsque nous avons eu l’approbation du bureau d’immigration, nous avons acheté nos billets d’autobus pour voyager pendant trois jours et ainsi découvrir presque la moitié du Canada pour arriver à Québec. Quatre nuits et cinq jours en autobus! C’est juste le chauffeur qui a changé. Nous avons découvert presque la moitié de notre nouveau pays dans ce voyage de près de 3 500 kilomètres.

Arrivée au Canada, intégration à Québec

Nermina entra au Canada avec son visa d’immigrante et cela lui prit trois ans exactement avant d’obtenir sa citoyenneté canadienne. Leur intégration à Québec se déroula très bien, sauf que la langue fut une très grande barrière. En arrivant, lorsque la concierge de leur premier appartement leur dit « il fait beau, il fait soleil », elle ne comprit rien du tout. Les premiers six mois, elle dit avoir pleuré très souvent en raison de la difficulté à comprendre et à s’exprimer. « Ce n’est pas comme mon fils qui est arrivé ici jeune et a absorbé tout le français comme une éponge. En étant adulte, c’est une toute autre réalité ». Mais petit à petit, elle a appris le français et elle le parle maintenant très bien.

Il faut dire que le centre d’immigration avait mis en place une école de francisation, mais c’était mal organisé à l’époque. Tous les niveaux et toutes les ethnies étaient mélangés ensemble. Ainsi, Nermina, qui connaissait déjà l’alphabet, était plus avancée que certains autres étudiants, par exemple. Toutefois, c’était le même apprentissage obligé pour tous, ce qui la ralentit beaucoup et ne l’aida pas vraiment pour apprendre le français. Dans la même classe, il y avait certains élèves qui étaient scolarisés, comme elle, et d’autres complètement analphabètes. Il y avait principalement des objets ou des phrases toutes faites à apprendre par cœur, sans comprendre. « Pour nous, c’était une perte de temps, donc mon mari est allé à l’école des sœurs missionnaires où il a appris beaucoup plus que moi. Moi, je ne pouvais pas quitter, car si les deux nous quittions l’école de francisation, nous perdions le bien-être social ». Nermina, fonceuse et débrouillarde, continua d’aller à l’école, mais afin de réellement apprendre et surtout de comprendre le français, elle trouva une dame qui venait la voir à la maison toutes les deux semaines pour discuter au moins une heure avec elle, bénévolement.

Son premier travail à temps plein l’aida également beaucoup à pratiquer son français. C’était un travail d’emballage dans une chocolaterie de Sainte-Foy, travail qu’elle apprécia particulièrement et où elle resta employée dix ans, jusqu’au jour où l’entreprise ferma ses portes. La vingtaine d’employés étaient autant des Québécois que des immigrants, ce qui permit de riches échanges. Autrement, le tout premier travail de Nermina et de son conjoint fut de cueillir des fraises à l’île d’Orléans, pendant une semaine. Ils étaient avec plusieurs réfugiés et gardent un très bon souvenir de cette expérience. Ils sont d’ailleurs encore en contact avec ce premier employeur. Nermina a remarqué que les Québécois étaient beaucoup plus semblables aux Bosniaques qu’elle ne l’aurait cru. « Vous êtes des gens chaleureux, accueillants, ça nous ressemble beaucoup. Je ne me sens jamais comme une réfugiée ou une étrangère ici ». Sauf une seule fois, où une collègue femme de chambre dans le cadre de l’un de ses premiers emplois lui dit qu’elle prenait la place d’une Québécoise qui pourrait avoir un travail. Alors Nermina enleva son sarrau de femme de chambre en disant : « Ah oui, qui va la prendre, ma place? Je ne vois personne en ce moment! » et la dame lui répondit : « Mais non, pas tout de suite, mais vous les immigrants, vous prenez notre place! ». Heureusement, dans les 20 dernières années, il s’agit du seul épisode négatif que Nermina dit avoir vécu quant à son statut de personne réfugiée.

Avec ses yeux bleus perçants, elle nous raconte que son fils a commencé l’école ici, à six ans et demi. Ils étaient arrivés en avril et donc à la fin de l’année scolaire. En deux mois à peine, il n’a pas eu le temps de vraiment bien s’intégrer. C’est plutôt à la rentrée suivante qu’il a pu davantage s’épanouir. Après, il s’est très bien débrouillé et s’est rendu jusqu’à l’université. Il a essayé un programme en administration, puis un autre en langue et, aujourd’hui, il voyage un peu partout. Il travaille également avec son père, le mari de Nermina, qui est propriétaire d’un taxi. Souvent, celui-ci travaille le jour et leur fils, le soir. Le mari de Nermina occupe aussi un emploi de préposé aux bénéficiaires afin de pouvoir subvenir aux besoins de toute la famille. Ils ont également une fille née au Québec, qui a maintenant 18 ans. La première fois qu’elle est allée en Bosnie, elle avait 11 ans et elle comptait les jours restants avant de revenir au Québec. Par contre, elle a bien expliqué à sa fille qu’il ne fallait pas le dire devant la famille, car le « chez-nous » n’est pas sensé être le Québec, mais bien la Bosnie.

Au Québec, on est chez nous, mais là-bas, le Québec ce n’est pas censé être chez nous, malgré qu’on le pense. Parce que là-bas tout a changé, ce n’est pas ce que nous avons connu. Aujourd’hui, nous nous sommes adaptés ici, c’est ici notre vie.

Traditions et climat

Sur le plan des traditions, du climat et de la politique, Nermina n’a pas trouvé l’adaptation difficile considérant la chance qu’elle a d’être ici. L’hiver ne la dérange pas du tout, elle est très contente. « À la maison, c’est chauffé, tu rentres dans l’auto, c’est chauffé, tu rentres dans le centre d’achat, c’est chauffé… C’est génial ! ». Pour ce qui est de la religion, Nermina ne pratiquait pas du tout, elle était communiste à l’époque. Donc en étant au Québec, elle a pu conserver ses habitudes. Sa famille et elle fêtent Pâques si un ami les invite, mais sinon ils ne soulignent pas vraiment les fêtes chrétiennes, même Noël. Dans son pays, les journées festives pouvaient être le 8 mars, la journée internationale de la femme, ou encore le 19 novembre, le jour de la Bosnie. « On ne fête pas les fêtes du Québec, mais on fête avec les autres, pour les autres ».

Après leur arrivée au Québec, la famille de Nermina est retournée visiter la Bosnie seulement six ans plus tard, mais maintenant elle y va régulièrement l’été, tous les deux ou trois ans. Certains de ses amis réfugiés ont hâte de retourner dans leur pays, mais pas elle.

Je dis tout le temps : quelqu’un qui n’est pas content avec ce que le Québec nous offre, avec les choses que vous avez à nous donner, qu’il prenne ses bagages et qu’il retourne d’où il vient. Moi je suis très contente, vraiment. Il faut regarder toujours en avant et avoir de l’espoir, et c’est ce que je vois ici.

Centrale électrique en Bosnie. Source : https://pixabay.com/fr/centrale-%C3%A9lectrique-puissance-1367316. Crédit : olafpictures

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