58 Julia Grignon, professeure de droit, Université Laval

Pénélope Chandonnet

Son parcours

Française d’origine, Julia Grignon est professeure adjointe à la faculté de droit de l’Université Laval. Elle est aussi codirectrice de la Clinique de droit international pénal et humanitaire ainsi que du Centre interdisciplinaire de recherche sur l’Afrique et le Moyen Orient. Elle a obtenu son doctorat, dont le thème était l’applicabilité temporelle du droit international humanitaire, en 2012 à l’Université de Genève en Suisse. Ses principaux sujets de recherche sont le droit international des droits de la personne et le droit international humanitaire.

Lorsqu’elle commença à étudier en droit, madame Grignon démontra tout de suite un plus grand intérêt pour le droit public, dont le droit constitutionnel et administratif, que pour le droit privé, dont celui de la famille ou de la responsabilité civile. Avec les années, elle découvrit le droit international, qui la mena ensuite au droit international des droits humains et, de là, au droit international humanitaire, soit lors des conflits armés.

Le fait qu’elle atterrisse dans une telle branche du droit n’était pas surprenant : « J’ai toujours été très concernée par les conflits armés et le sort des populations dans les conflits armés ». En effet, lorsqu’elle était jeune, le conflit israélo-palestinien, un conflit encore d’actualité, l’a beaucoup intéressée et l’a poussée à se questionner.

Par la suite, madame Grignon voulut se mettre au service des personnes souffrant des conflits armés en devenant déléguée sur le terrain pour la Croix-Rouge. Elle voyait cette opportunité comme une façon de venir en aide concrètement à ces populations en détresse. En effet, les délégués apportent de l’eau, de la nourriture, des soins, visitent des prisons et font tout ce qu’ils peuvent pour alléger les souffrances de la population. Un jour cependant, pour des raisons qui la concernent, aller sur le terrain n’était plus une possibilité. C’est à ce moment qu’elle décida de devenir une spécialiste du droit humanitaire, puisque c’était une façon de continuer à travailler dans le domaine sans être sur le terrain. Cela lui permettait de rattacher ce qu’elle faisait en droit humanitaire avec la protection des personnes. Elle affirme : « Je conçois mon travail aujourd’hui uniquement comme étant une contribution, une petite contribution, ou une pierre dans l’édifice de l’amélioration des conditions des personnes qui souffrent des conflits armés ».

Son travail consiste donc principalement à transmettre ses connaissances des règles du droit international humanitaire à d’autres qui pourront aller sur le terrain. Elle mentionne d’ailleurs l’importance de faire connaître ces règles en temps de paix afin d’être capable de les appliquer en temps de guerre. Enseigner le droit international humanitaire lui permet de ne pas se sentir inutile en rapport avec son objectif d’aider les autres et de faire quelque chose de concret.

La situation en Syrie et le droit international humanitaire

La situation en Syrie est « l’une des pires au monde aujourd’hui » selon madame Grignon. Puisqu’il n’y a pas d’évaluation quantitative du droit, il est difficile de savoir combien de lois ne sont pas respectées en Syrie. On peut cependant dire que c’est« massif ».

Selon la situation d’un pays et son système juridique, les lois ne sont pas les mêmes et ne s’appliquent pas de la même façon. En effet, en temps de paix, nous sommes régis par le système juridique des droits de la personne, tandis que lorsqu’il y a un conflit armé, c’est le droit international humanitaire qui s’applique. Pour plusieurs règles, il n’y a pas de changements majeurs : la torture, par exemple, est interdite peu importe le système juridique. Cependant, en ce qui concerne la force que l’État peut utiliser envers des citoyens, il y a de grandes différences. En temps de paix, une force qui risque de causer la mort ne doit être utilisée qu’en dernier recours, lorsque toutes les autres façons de contrôler le citoyen n’ont pas fonctionné. Par contre, lorsqu’on déclare un conflit armé sur un territoire, l’État peut employer la force létale comme première approche, sans chercher d’autres méthodes.

En Syrie, l’application du droit international humanitaire, qui sert principalement à protéger les citoyens pris au cœur des hostilités, a pris beaucoup de temps, principalement parce que les manifestations ont commencé dans le cadre du printemps arabe avec des soulèvements de population dans d’autres pays.

L’un des grands avantages pour la population lorsqu’on déclare un conflit armé sur son territoire est l’arrivée du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Son mandat est d’aller aider les citoyens en leur apportant ce qu’il faut pour subvenir à leurs besoins fondamentaux. La raison pour laquelle il faut attendre la déclaration d’un conflit armé pour envoyer le CICR est qu’avant cette déclaration, l’État est le seul à pouvoir s’occuper de son peuple et il peut refuser l’accès au CICR. En temps de guerre, il y a la présence d’une tierce partie neutre qui permet au CICR de passer. Cependant, il doit négocier son droit de passage, ce qui n’est pas toujours facile.

Les réfugiés syriens

Le statut de réfugié vient d’un autre corpus juridique qui n’est pas associé ni aux temps de paix ni aux temps de guerre. En effet, on définit le statut de réfugié selon l’article 1 de la convention de Genève de 1951 : toute personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner »[1] est considérée comme une personne réfugiée. En d’autres mots, il s’agit d’une personne qui a subi ou risque de subir des persécutions personnelles peu importe la raison. Pour obtenir ce statut, il faut apporter une preuve de l’oppression dont on est victime ou risque d’être victime, soit du danger auquel on est exposé en restant sur le territoire.

En ce moment, en Syrie, il y a 11 millions de personnes déplacées, dont 4 millions ont quitté le territoire. Cependant, la majorité des personnes qui ont fui ne l’ont pas fait à cause d’une oppression, mais à cause du danger dû au contexte. Malheureusement, il n’y avait pas mention d’un statut se rapportant à ces personnes dans la convention de Genève de 1951. Donc, le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR), qui s’appuie sur la convention de Genève, ne pouvait protéger que les personnes victimes d’oppression et qui craignaient pour leur vie. Afin de combler ce vide juridique, le HCR a créé un nouveau type de protection nommé prima facie pour les personnes qui ont besoin de la protection d’un État tiers : on leur accorde alors une protection temporaire le temps du conflit armé, sans le statut de réfugié, donc sans avoir à craindre pour leur vie.

Malgré tout, les États n’ont pas d’obligation juridique à offrir la protection à toutes ces personnes qui ont fui. En effet, malgré la situation de détresse dans laquelle les Syriens se trouvent, le droit ne leur offre pas la protection dont ils ont besoin. Madame Grignon ajoute que : «  les États doivent se montrer plus généreux que le droit ». On peut en conclure que sans l’accord de sa population, un État a moins de chance de se montrer généreux envers ces personnes qui souffrent. C’est donc à chaque citoyen de s’ouvrir et d’appuyer l’État dans ses décisions d’accueillir les Syriens.

Le principe de non-refoulement est une règle qui énonce qu’on ne peut renvoyer hors du territoire des gens qui craignent pour leur vie. C’est à cause de ce principe que les Syriens prennent de grands risques pour se réfugier en Turquie, un pays limitrophe, pour ensuite se rendre en Grèce. Une fois arrivés au sein de l’Union Européenne, même si la protection qui va avec le statut de réfugié ne peut leur être offerte, on ne peut les obliger à retourner en Syrie. C’est pour cela que certains pays européens ont un problème avec l’afflux massif de réfugiés. Nous n’avons pas ce problème au Canada puisqu’il serait difficile de venir ici sans prendre l’avion ou sans devoir présenter ses papiers et visa à la douane. Il leur est donc impossible de venir se sauver des tourments de la guerre ici. C’est donc d’autant plus important qu’on supporte les démarches gouvernementales pour les accepter.

Le Canada, dans sa générosité, décide de faire venir des personnes sur son territoire, alors que ces personnes ne pourraient pas y venir autrement, et leur offre une protection.

La vie en Syrie aujourd’hui

La Syrie n’était ni un pays du tiers monde ni un pays en développement, mais plutôt un pays industrialisé et éduqué. Cependant, la guerre a un impact important sur le niveau de vie des habitants. En effet, la ville de Homs, qui est au centre du conflit, « est un champ de ruine, il n’y a plus rien, il ne reste plus rien. Donc la reconstruction va être très longue et les personnes qui ont fui ces conflits-là ont tout perdu ». Il est en effet possible d’avoir une vue aérienne des débris sur YouTube[2]. On dirait une ville issue d’un film post-apocalyptique. De plus, dans ces situations, il est difficile d’apporter des soins de santé à la population. Selon madame Grignon, « il y a six hôpitaux qui sont fonctionnels, c’est-à-dire qui fonctionnent avec une lampe de poche. Il n’y a plus aucun soins de santé en Syrie ». Les conséquences sont très graves puisque les personnes blessées lors des hostilités risquent de mourir de leurs blessures. Mais elles ne sont pas les seules personnes victimes du manque de soins de santé. Toutes les personnes qui sont atteintes d’une maladie chronique ou qui nécessitent un suivi médical, comme les diabétiques ou les femmes enceintes, n’ont plus accès aux services dont ils bénéficiaient avant les conflits.

L’importance du droit humanitaire malgré tout

« Théoriquement, le droit impose aux parties en conflit de laisser passer les convois qui sont impartiaux et qui sont destinés à la population civile et qui constituent des denrées alimentaires et des soins médicaux », explique madame Grignon. Mais malheureusement, en pratique, il faut obtenir le consentement des parties en conflit, sinon on risque de se faire bombarder. Cela mettrait donc des vies en jeu ainsi que les denrées qui pourraient être envoyées à d’autres personnes dans le besoin. La négociation est la partie la plus difficile à prendre en charge pour les organismes humanitaires.

De plus, « le siège de ville est une méthode de guerre interdite » car ça a une incidence sur la population. C’est pourtant le cas de Madaya, une ville victime de la famine dû à l’impossibilité des convois humanitaires de passer. La situation y est très difficile puisqu’il est impossible pour les citoyens de quitter la ville ou de recevoir de l’aide. Malgré tout, il ne faut pas dire que le droit humanitaire est inutile parce que les règles sont violées. Pour expliquer l’importance du droit international humanitaire, madame Grignon fait un parallèle avec le code de la route, qui constitue un autre type de droit :

Le droit dit qu’il faut vous arrêter à la lumière rouge. Pourtant il y a des personnes qui vont parfois tourner à la lumière rouge même si elles n’ont pas le droit ou qui vont franchir la lumière rouge. Est-ce qu’il faut pour autant considérer que le code de la route ne sert à rien? Non, il sert à quelque chose puisque pour une personne qui va franchir la lumière rouge, vous en avez des centaines d’autres qui vont s’arrêter à la lumière rouge. C’est pareil en droit humanitaire. Le problème, c’est qu’en droit humanitaire, les violations sont flagrantes, elles sont massives et elles ont des conséquences pour les populations autrement plus graves que quelqu’un qui franchit une lumière rouge.

De plus, le droit humanitaire agit quand même de façon concrète et vient en aide à des milliers de personnes même s’il ne peut malheureusement pas sauver tout le monde.

Il ne faut pas oublier que pour chaque siège de ville et pour des milliers de personnes qui sont affamées, les secours arrivent aussi à des milliers d’autres personnes, et si on décide que le droit humanitaire ne sert à rien et qu’on ne veut plus l’appliquer, ces milliers de personnes qui bénéficient de l’aide humanitaire, elles aussi n’auront plus droit à rien.

Bref, il faut dénoncer les violations du droit humanitaire, mais il ne faut pas dire que le droit humanitaire ne sert à rien.

En somme, malgré l’application du droit international humanitaire, la situation en Syrie reste l’une des pires en ce moment. Heureusement, l’une des façons de leur venir en aide est plutôt simple : il s’agit d’accueillir ici ceux qui parviennent à fuir. En leur accordant notre protection, avec ou sans le statut de réfugié, il nous est possible d’améliorer la vie de milliers de personnes. Il n’y a pas que l’application des lois qui peut leur venir en aide.

Julia Grignon

  1. http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/StatusOfRefugees.aspx
  2. https://www.youtube.com/watch?v=DoRdCbDd50o

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Québec ville refuge Droit d'auteur © 2016 par Florence Piron est sous licence Licence Creative Commons Attribution 4.0 International, sauf indication contraire.

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