9 José Miguel Torreblanca, Chili
Marie-Pier Forget
José Miguel Torreblanca est originaire de San José de Maipo, près de Santiago, capitale du Chili. Il quitta le Chili pour fuir la dictature de Pinochet. C’est après avoir été emprisonné deux fois que son frère lui acheta un billet d’avion afin qu’il quitte le pays. Il séjourna d’abord au Brésil quelques années avant de venir vivre au Canada. Lorsqu’il mit les pieds à l’aéroport, José Miguel ne se doutait pas qu’il allait passer sa vie ici. En effet, il croyait que la situation était temporaire et qu’il pourrait retourner au Chili lorsque le régime de Pinochet tomberait. Dans l’avion le menant au Canada, un journaliste anglais lui demanda : « Où veux-tu aller? ». Il répondit : « Je veux aller au Yukon, parce qu’il y a beaucoup de neige ». Finalement, il resta au Québec et constata qu’il y avait aussi beaucoup de neige!
Arrivée au Canada
José Miguel arriva au Canada le 18 décembre 1986, à l’âge de 22 ans. Il passa ses premières nuits à la Maison de l’amitié à Montréal. Cet organisme fut spécialement créé lors de la vague de réfugiés chiliens dans le but d’améliorer leur intégration. « Je n’ai pas été dépaysé à mon arrivée, puisque le Chili ressemble beaucoup au Canada, autant sur le plan de la religion, du climat et des technologies ».
Adaptation
Sa plus grande adaptation fut par rapport aux lois canadiennes. En effet, cela peut sembler banal, mais il dut les apprendre, car elles étaient parfois très différentes des lois chiliennes. José Miguel comprit très vite l’importance de remplir et d’envoyer les différents papiers gouvernementaux à temps. Ainsi, il s’estime aujourd’hui chanceux de ne pas avoir vécu un trop gros choc culturel : « J’ai vu des réfugiés turcs qui ne savaient pas ce qu’était une toilette. Ça, c’est un choc! ». Dans les jours suivant son arrivée, il rencontra des personnes représentant le gouvernement par qui il fut très bien accueilli. Il déménagea alors dans un hôtel à Montréal accueillant spécialement des réfugiés. Afin d’aider les bénévoles qui étaient déjà très occupés, il offrit ses services pour servir les repas. Le Chilien se souvient d’y avoir rencontré beaucoup de Turcs, mais aussi d’avoir échangé avec un grand nombre de réfugiés venant de différents pays.
Quelques semaines après avoir mis les pieds au Québec, José Miguel désira se trouver un emploi, car il ne voulait pas toucher à l’aide sociale. Après quelques jours de recherche, il obtint son premier emploi chez Centraide parce qu’il était particulièrement manuel et débrouillard. Il devait réparer des meubles usagés. Il lui arriva aussi de faire la livraison de meubles chez des personnes nouvellement réfugiées. Quelques mois plus tard, il rencontra un homme qui lui parla d’un fermier cherchant quelqu’un pour travailler dans sa ferme à Sainte-Anne-des-Plaines. José Miguel fut rapidement engagé et déménagea en campagne. Il y travailla pendant près d’un an et demi. Il apporta beaucoup à la ferme durant son passage puisqu’il avait étudié en agronomie au Chili. « Les réfugiés peuvent être très utiles pour la société québécoise, car ils ont dans leurs bagages des expertises différentes et très intéressantes. Dans mon cas, j’ai mis la ferme à jour avec de nouvelles techniques et de nouvelles méthodes ».
Pendant ce temps, il suivait des cours de français offerts aux personnes réfugiées, car il était ennuyé de devoir utiliser son dictionnaire à tous les deux mots! Il profita aussi de son retour à l’école pour faire son secondaire. Ainsi, il apprit à parler et à écrire le français très rapidement. Aujourd’hui, il avoue qu’il se sent moins à l’aise lors de la rédaction de textes, même si sa famille lui dit qu’il ne fait pas tant d’erreurs que cela. José Miguel se fait souvent commenter son accent. Toutefois, il ajoute : « Je ne voudrais jamais perdre mon accent, car c’est ce qui me différencie, c’est mon identité! ». Il se souvient que son accent lui a souvent causé des problèmes. Par exemple, lorsqu’il allait en région, les gens avaient bien de la difficulté à le comprendre et, au lieu de lui répondre en français, ils lui répondaient en anglais. Une fois, lorsqu’il passait une commande à l’auto, la préposée lui fit répéter tous les mots qu’il prononçait. Finalement, José Miguel était tellement frustré qu’il partit sans prendre sa commande!
C’est à cette époque qu’il rencontra sa future épouse, une très bonne amie du propriétaire de la ferme. Ils devinrent rapidement proches, se marièrent et emménagèrent ensemble dans la ville de Montréal. Elle se souvient qu’au début, elle ne pouvait pas laisser José Miguel seul à l’épicerie, car il ne connaissait pas les différentes marques. Elle raconte que « parfois, il arrivait avec des produits inimaginables! Au Chili, il n’y a pas les mêmes produits qu’ici et c’était difficile pour lui de se retrouver ».
Vers la fin des années 80, José Miguel se vit refuser sa demande de statut de réfugié politique une première fois. Quand il reçut la nouvelle, il crut qu’il allait devoir quitter le Canada et annonça la nouvelle à sa femme. Quelques jours plus tard, il fut convoqué aux Bureaux de l’Immigration. Il était convaincu que le gouvernement allait le renvoyer au Chili et qu’il allait devoir partir pour de bon. Au-delà de toute espérance, c’est plutôt l’inverse qui se produisit, puisque sa demande de révision fut acceptée. Il obtint ainsi officiellement le statut de réfugié politique. Pour José Miguel, ce fut une étape cruciale dans sa vie, d’autant plus que sa femme était enceinte de leur premier enfant. Le couple accueillit une petite fille en 1990.
Au même moment, il trouva un emploi dans le domaine de la construction, où il dit avoir été victime de racisme. Il se souvient d’un homme qui lui cria : « Vous, les immigrants, vous nous volez nos jobs! ». Ce travailleur fut congédié à la suite de ce malheureux événement. José Miguel se trouve chanceux, car la famille de sa conjointe n’a jamais eu de préjugés envers lui et les personnes réfugiées. En effet, il fut toujours le bienvenu dans les différents événements familiaux. En 1992, sa femme et lui eurent un deuxième enfant, un petit garçon. Il était très important pour José Miguel de léguer une partie de ses racines latines à sa progéniture. Ainsi, il nomma chacun de ses enfants avec deux prénoms, l’un d’origine chilienne et l’autre d’origine québécoise. En 1996, il commença à travailler pour la ville de Montréal et devint propriétaire d’un magnifique condominium.
Vie au Québec
Lorsqu’on lui demande quel fut le plus gros choc dans les premières années de sa vie au Québec, le Chilien admet que « c’est d’avoir été déraciné ». Toutefois, il adore vivre ici, principalement pour l’égalité et la paix sociale. Il constate tout de même que les valeurs familiales au Chili sont très différentes de celles du Québec : « Au Chili, on passe beaucoup de temps en famille, on se voisine énormément et parfois on vit tous sous le même toit! ». Sa vision du Québec n’a pas changé, il aime y vivre. De plus, il peut y pratiquer sa passion, le ski alpin. Puisque la dictature de Pinochet est tombée depuis plusieurs années, le skieur d’expérience se rend régulièrement au Chili, surtout pendant l’hiver, afin d’y pratiquer son sport préféré. Il profite aussi de l’occasion pour apporter de l’équipement de ski de bonne qualité aux gens de son village natal. De même, il invite souvent des membres de sa famille à venir le visiter, donnant en exemple sa mère qui a passé presque tout un été au Québec. Chaque semaine, José Miguel utilise l’application FaceTime pour garder contact avec sa famille et ses proches au Chili.
Depuis 2015, il travaille comme patrouilleur dans une station de ski pendant l’hiver et possède sa compagnie de construction lorsque vient l’été. Il adore ses emplois, même s’il admet qu’il ne fut pas facile de les obtenir. En effet, il pense que les Québécois et Québécoises sont réticents vis-à-vis des personnes réfugiées ou immigrantes, qu’ils et elles leur font moins confiance. Il recommande aux personnes nouvellement réfugiées de trouver rapidement du travail (dans la mesure du possible), car c’est une bonne manière de s’intégrer. En ce qui concerne les gens qui s’impliquent dans l’accueil des personnes réfugiées, il leur conseille de ne pas les prendre pour des imbéciles. « Lors de mon arrivée sur la ferme, une femme m’a expliqué comment manger une banane! J’ai trouvé ça drôle et je lui ai dit que je mangeais la pelure! Imaginez sa réaction… ». Bref, José Miguel Torreblanca profite au maximum de la vie et est très content d’avoir la chance d’habiter au Québec.
Yo prefiero morir de pie que vivir de rodillas – Zapata
Je préfère mourir debout que vivre à genoux – Zapata