7 Hector X, Panama
Laurie Copeman
Ingénieur civil de formation, Hector (pseudonyme) est arrivé au Québec le 30 août 1988. Il était alors âgé de 28 ans. Habitant au Panama depuis sa naissance, il avait décidé de se réfugier au Canada afin de fuir les conflits qui opposaient son pays aux États-Unis dans les années 80. Cette période fut très marquante pour l’histoire politique et économique du Panama, notamment autour de l’affaire du canal de Panama, longtemps contrôlé par les Américains.
Situation au Panama avant le départ d’Hector
En 1987–1988, le pays fut gravement touché par une crise politico-économique qui fit crouler les habitants sous des dettes monstrueuses, laissant un climat social hostile où l’insécurité et la corruption régnaient. C’est lors de cette période qu’Hector sentit le besoin de quitter son pays natal, malgré un grand sentiment d’appartenance depuis sa tendre enfance.
Ces années-là, le Panama connut la perte de la liberté de presse livrée aux mains du gouvernement. Manuel Antonio Noriega, chef des forces armées panaméennes, accusé de corruption, de fraude et de complot, devint la cible des États-Unis qui rassemblèrent des gens pour le déporter. Les choses ne se passèrent cependant pas comme prévues : les « Dobermans », un groupe paramilitaire au service du gouvernement panaméen, réprimaient les actions des Américains par des manifestations qui se tenaient tous les jours. Cet affrontement entre la première puissance mondiale et le chef de l’armée affecta tout le pays, y compris les habitants. Le climat était insoutenable et la population ne se sentait désormais plus en sécurité. Bien que les États-Unis aient tenté de protéger les résidents, le fait d’avoir l’armée sur le dos n’est jamais très rassurant. C’est pour cette raison qu’Hector prit la décision de partir pour le Canada, un endroit où la situation politique et économique était stable et où aucun conflit majeur n’était en cours.
À la suite de ces manifestations, les États-Unis décidèrent de couper la ressource la plus importante du pays : l’argent. Les fonds bancaires furent donc gelés, laissant le pays ruiné. Affectant grandement tous les résidents du pays, cette mesure n’eut aucun effet sur son dirigeant qui en profita plutôt pour faire du blanchiment d’argent, un des grands problèmes au Panama. L’illégalité de cette action mettait, avec raison, la population sur ses gardes. Noriega fut finalement arrêté pour blanchiment et condamné à 40 ans de prison, peine ensuite réduite à 17 ans pour bonne conduite. Pour Hector, il ne faisait plus aucun doute que le Panama ne figurait plus dans ses options de vie à long terme. Il n’était plus question pour lui de vivre dans de telles conditions ou encore de poursuivre sa vie dans un pays où le climat social ne reviendrait jamais à la normale. C’est donc quelques jours plus tard qu’il plia bagage et monta à bord d’un avion en direction du Canada.
Départ d’Hector vers le Canada
Compte tenu de la situation dans son pays, Hector avait choisi d’imiter des milliers d’autres Panaméens et d’émigrer outre-mer à titre de réfugié. À cette époque, le Canada ouvrait grand ses frontières aux personnes arrivant du Panama. En choisissant le Canada et plus précisément le Québec, le but d’Hector était de trouver un endroit dont la culture ne serait pas trop différente de la sienne et où l’intégration se ferait relativement bien. Selon lui, la culture québécoise avait toutes les caractéristiques pour répondre à ses besoins. C’est donc seul qu’Hector prit l’avion, laissant derrière lui sa famille, ainsi que 28 années de sa vie passées dans des conditions souvent difficiles.
Arrivée au Québec
À son arrivée, Hector fut accueilli très chaleureusement par des personnes représentant le ministère de l’Immigration. Elles étaient bien organisées et lui fournirent tout de suite des explications quant au processus de demande du statut de réfugié politique, à la fois au niveau fédéral et provincial. Ces mêmes personnes prirent ensuite soin de lui donner les informations requises concernant l’aide financière, l’aide juridique, l’obtention de la carte d’assurance maladie, l’obtention d’un permis de travail et tous les autres documents importants à remplir pour favoriser une intégration maximale.
Dans les jours suivants, Hector s’empressa de contacter des organismes communautaires qui pourraient lui venir en aide pour l’apprentissage de sa nouvelle langue, le français. Après avoir contacté quelques écoles proposées par les organismes, il suivit des cours et tenta aussi de faire reconnaître le diplôme d’ingénieur civil qu’il avait obtenu à la suite de ses études au Panama. C’est à ce stade qu’il connut ses premières embûches. L’ordre des ingénieurs du Québec refusa de prendre en compte les connaissances acquises par Hector et lui interdit d’exercer sa profession à Montréal. Ce refus fut pour lui la chose la plus difficile à surmonter dans son parcours. Le seul choix qu’il avait était de recommencer ses études ou de réorienter sa carrière. Dans tous les cas, le retour à l’école était inévitable. Alors, âgé de 28 ans, il retourna sur les bancs d’école pour faire un baccalauréat en mathématiques, tout en s’efforçant d’apprendre le français en parallèle. Une fois son diplôme obtenu, il occupa un poste de stagiaire dans une banque québécoise. Son expérience au sein de cette équipe se déroula d’une belle façon, à tel point qu’il y travaille toujours aujourd’hui à titre d’actuaire.
L’adaptation
N’ayant pas de problème d’adaptation au départ, Hector s’intégra assez rapidement, même si l’intégration complète peut prendre des mois, voire des années. L’apprentissage d’une nouvelle langue et le retour aux études constituèrent les deux plus grands défis de son parcours. Contrairement aux croyances selon lesquelles les personnes réfugiées en provenance d’un même pays se regroupent une fois arrivées dans leur pays d’accueil, Hector, lui, ne s’est jamais joint à aucun groupe communautaire et a tenté de maximiser son intégration en se comportant le plus possible comme une personne née au Québec.
Quelques éléments firent en sorte de faciliter son adaptation. D’abord, les gens présents lors de son arrivée lui fournirent généreusement tout ce qui était nécessaire pour qu’il soit à l’aise d’entamer sa nouvelle vie dans un pays éloigné et différent en plusieurs points. Les organismes communautaires aidèrent aussi beaucoup Hector lors de son premier hiver. Comme la saison hivernale n’est pas la même au Québec qu’au Panama, les vêtements avec lesquels Hector était arrivé n’étaient pas adaptés pour faire face aux basses températures, souvent en dessous du point de congélation. Ces organismes, quant à eux, étaient équipés pour fournir ce type de vêtements et ainsi permettre aux nouvelles personnes arrivant de vivre dans de meilleures conditions, été comme hiver.
Hector affirme que cette décision fut la meilleure qu’il n’ait jamais prise dans son propre intérêt. Bien entendu, il dut compromettre d’innombrables éléments de sa vie pour avoir la vie qu’il mène aujourd’hui. Certes, il est toujours en contact avec sa famille restée au Panama, à qui il rend visite une à deux fois par année, mais tout ce qu’il connaissait, ses proches, son travail, ses habitudes, tout dut être abandonné pour faire place à sa nouvelle vie au Canada. Ce geste demanda de longues heures de réflexion à Hector, qui dut peser le pour et le contre et prendre des décisions déchirantes. Malgré tout, affirme-t-il, Hector ne reviendrait pas en arrière et ne changerait rien à son parcours. Il ne regrette même pas sa plus grande difficulté : avoir dû retourner aux études et changer de carrière. Hector se sent maintenant chez lui au Canada et est très fier des progrès qu’il a accomplis au cours de son intégration dans la société québécoise. Il adopte et accepte son statut de réfugié, car c’est ce qui lui a permis de mener une vie où l’insécurité ne règne plus et où il n’est plus rongé par la peur. C’est finalement l’un des meilleurs sentiments qui soient.