12 Aldin X., Bosnie-Herzégovine
Anne-Marie Fecteau
Aldin avait dix ans lorsqu’il vit la neige abondante du Québec pour la première fois. C’était le 1er avril 1996. Ses parents avaient pris la décision de quitter leur village pour se réfugier au Canada. Ce choix difficile s’était imposé de lui-même : le pays était devenu un territoire hostile depuis que la guerre d’ex-Yougoslavie y faisait rage. Ce nouveau départ était la seule solution. C’était, tout simplement, une question de survie.
La guerre : raison du départ
En 1991, la guerre déchirait l’ex-Yougoslavie : Slovènes contre Serbes, Serbes contre Croates, puis Serbes et Croates contre Bosniaques. Ces guerres furent les plus meurtrières d’Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. On estime que le bilan humain s’éleva à plus de 300 000 morts, dont deux tiers de civils, en plus de 4 millions de personnes déplacées.
Heureusement, Aldin et sa famille avaient des amis au Canada, plus précisément dans la ville de Québec. Ils purent donc choisir leur terre d’accueil et leurs amis les accompagnèrent dans toutes les laborieuses démarches nécessaires pour devenir citoyens canadiens.
Arrivée à Québec
Le jour de leur arrivée à l’aéroport de Mirabel, une interprète et un chauffeur de taxi les attendaient pour les accueillir et les conduire à leur hôtel. Aldin se souvient encore d’avoir été ébahi devant les énormes gratte-ciels, les autoroutes à quatre voies et la quantité de neige qui recouvrait le sol.
Au début, l’isolement et la perte d’indépendance étaient le plus difficile. Nous ne parlions pas la langue, donc impossible d’aller nulle part sans la compagnie de notre interprète, même pas capable d’aller au dépanneur s’acheter un paquet de cigarettes, car on ne savait pas comment commander et interagir avec les gens. On pouvait aller faire les courses seulement quand l’interprète était disponible.
Les défis
Ce nouvel environnement était si différent de ce que lui et sa famille avaient toujours connu.
D’abord, en Bosnie, il y avait des bars partout. Les bars n’étaient pas seulement un endroit pour boire un coup! Dans notre pays, ce sont des lieux de rassemblement, où les gens du quartier allaient se retrouver, parler et boire un café ensemble pour parler de la vie. Ici, les bars les plus proches étaient dans le Vieux-Québec et nous n’avions pas de voiture.
Aldin confie qu’il se sentait très isolé du fait que le seul commerce à proximité était un supermarché Maxi.
Ensuite, le plus gros défi pour lui fut l’école. Selon lui, les classes d’accueil et d’intégration ne sont pas adaptées aux étudiants et à leurs réalités toutes très différentes les unes des autres.
Quand nous sommes arrivés, nous avons perdu une année complète à apprendre l’alphabet et des notions que nous connaissions déjà, parce que certains étudiants [immigrants] ne connaissaient pas la base de l’alphabet pour apprendre le français… alors que pour nous, qui étions Européens, c’était du déjà vu! Les classes d’accueil, c’était un amalgame d’une trentaine d’élèves originaires de différents pays à travers le monde, réunis pour apprendre la culture et la langue d’ici.
Après ce passage obligé, il fut intégré à 15 ans dans une école secondaire du quartier. Il se souvient ne pas s’être senti suffisamment prêt. Son français n’était pas du tout fluide et il ne comprenait pas encore tous les mots. L’intégration fut beaucoup plus difficile que dans les classes d’accueil où tous partageaient la même réalité. Dans les classes ordinaires, même lorsqu’il connaissait la réponse, Aldin n’osait pas lever la main de peur de ne pas pouvoir bien exprimer sa pensée en français. À cette époque, il avait un seul bon ami à l’école dont les parents avaient été immigrants; il comprenait donc bien sa réalité.
Lorsque la barrière de la langue ne fut plus un obstacle, Aldin et ses sœurs devinrent bien vite les interprètes de la famille. Ce rôle les força à grandir plus vite et à se responsabiliser très tôt : « Quand nos amis allaient jouer au soccer, moi je devais aller aider mon père à renouveler son permis de conduire ».
Somme toute, selon Aldin, les Bosniaques et les Québécois se ressemblent beaucoup culturellement, mais il se souvient de certaines coutumes qui lui parurent étranges lorsqu’il arriva au Canada. Dans son pays, les enfants demeurent chez les parents très longtemps : « Avoir 30 ans et demeurer chez ses parents, c’est très normal pour la moyenne des gens en Bosnie, alors qu’ici ce n’est pas du tout valorisé! ».
Le travail : entrepreneuriat
Trouver du travail ne fut jamais un problème pour Aldin et sa famille puisqu’ils connaissaient déjà des amis au Québec. Ils commencèrent donc à travailler dans le domaine de la restauration jusqu’au jour où ils purent ouvrir leur propre restaurant. Aldin demeure encore avec ses parents et espère prendre la relève du restaurant familial d’ici quelques années.
Outre le support de leurs amis bosniaques établis au Québec, la famille put compter sur le support de divers organismes, comme le centre des femmes et les services d’immigration qui ont tout deux grandement contribué à faciliter leur arrivée en leur trouvant des meubles et un lieu où habiter, et en leur fournissant les informations nécessaires au besoin.
À l’époque où nous sommes arrivés, les familles immigrantes d’un même pays étaient souvent mises ensemble dans la même bâtisse d’appartements, ce qui favorise beaucoup l’entraide entre les familles. Ce mouvement de solidarité était très beau à voir!
Enfin, il admet que, malgré toutes les difficultés engendrées par cette transition quelque peu forcée vers un nouveau pays et une nouvelle culture, Québec est maintenant devenu son chez-lui. Même si un jour ses parents décideraient de retourner en Bosnie, lui ne veut pas y retourner. Au Québec, il se sent bien, il est chez lui.
Conseil pour les nouveaux réfugiés
Avant de le quitter, je lui ai demandé s’il avait quelque chose à répliquer à tous ces Québécois qui craignent l’arrivée des immigrants au pays. Après une courte réflexion, il a prononcé cette phrase : « Dobro se dobrim vraća ». Intriguée, je lui ai demandé la signification et il m’a répondu : « Qui fait du bien aura du bien en retour ».