27 Abigaël Verret, Cégep de Sainte-Foy

Élodie Cloutier

Abigaël est une jeune femme québécoise de 22 ans. Après un DEC en sciences humaines et une expérience en tant que monitrice de langue en Ontario, elle a choisi de s’orienter vers l’enseignement. Abigaël est présentement enseignante remplaçante en francisation au cégep de Sainte-Foy tout en terminant son baccalauréat en enseignement du français langue seconde à l’Université Laval.

S’intéresser aux différences

Abigaël a toujours eu beaucoup d’intérêt pour les autres cultures et elle voyage dès qu’elle en a l’occasion. Avec un domaine d’études comme le sien, elle souligne qu’il faut s’intéresser aux cultures, aux religions et aux différences : « On doit être ouvert d’esprit pour pouvoir s’adapter aux classes et aux différentes personnes qui forment ces classes. Ainsi, on en apprend plus sur leur vie. Il est très important de leur poser des questions sur eux ». En classe, les activités proposées aux personnes réfugiées sont axées sur l’oral, car ce dont elles peuvent parler le mieux, c’est d’elles-mêmes. Il est plus facile pour elles de raconter leur histoire ou de présenter leur famille que d’avoir une conversation politique, par exemple. Abigaël fait une comparaison avec la culture québécoise :

Certains ne savent même pas ce qu’est un anniversaire. Certains en ont deux ou trois, un dans leur pays d’origine et un autre dans leur pays d’accueil par exemple. Il m’est déjà arrivé d’être très confuse après avoir lu des questionnaires personnels, car mes élèves avaient tous la même date de fête et la même adresse civique [ils habitent souvent au Centre multiethnique de Québec, avec des interprètes].

Récemment, les personnes réfugiées de la classe d’Abigaël se demandaient pourquoi il y avait soudainement des cœurs partout. Ils venaient de découvrir la Saint-Valentin et se posaient de nombreuses questions. En quoi consiste cette fête, quelles sont ses origines et pourquoi est-elle fêtée?

Si Abigaël a décidé de travailler avec les personnes réfugiées, c’est parce qu’elle considère que c’est le travail parfait pour elle : « C’est intéressant de s’ouvrir les yeux sur la façon dont ces personnes-là peuvent percevoir la vie et découvrir comment ils vivent. Notre culture occidentale nous enferme parfois dans une bulle, alors qu’il y a tellement de façons de vivre ». Elle le fait aussi pour les aider et elle est très ferme quant à sa position sur l’immigration au Canada : POUR. Elle pense que nous sommes un pays qui accueille beaucoup d’immigrant-e-s et espère que nous continuerons d’en accueillir. Il s’agit donc d’un travail important et déterminant pour l’avenir de notre société. C’est également un travail en lien avec ses valeurs : la générosité, la curiosité et l’entraide.

Parfois, la différence fait peur, mais lorsqu’on apprend à connaître les réfugiés, on voit que ce sont des êtres humains, comme tout le monde. Et ça, ça facilite l’intégration dans la société.

Abigaël considère aussi que le fait de travailler avec différentes nationalités lui permet de voyager, tout en restant au Québec : « Il m’est déjà arrivé d’avoir une classe de 17 étudiant-e-s dans laquelle on ne comptait pas moins de 11 nationalités! Je voyageais donc un peu tous les jours ». Selon elle, il s’agit d’un travail très valorisant, car les personnes réfugiées ont besoin d’elle et de son équipe pour survivre : « On leur apprend le français et on les aide à s’intégrer, on joue vraiment un rôle clé ».

Francisation

Abigaël explique que les classes de francisation sont très routinières. En effet, il y a deux volets : l’animation et l’enseignement. Chaque semaine, les enseignantes de l’équipe présentent des thèmes aux débutants FIPA (groupe de « francisation des immigrants peu alphabétisés » dans lequel les personnes réfugiées sont souvent classées), comme celui du logement, par exemple. Elles commencent souvent leur journée en parlant de la date ou de la météo. Puis les élèves tracent quelques lettres, mais certains ont parfois besoin d’aide pour tenir leur crayon : ils et elles n’ont souvent pas eu la chance d’apprendre à les utiliser, car habituellement peu scolarisés. Ensuite, les enseignantes entrent dans le vif du sujet de la journée. Il y a des intentions de communication dans toutes les activités, c’est une constante. Le corps enseignant essaie de parler le plus possible de situations courantes de la vie, de ce que les personnes réfugiées vont vivre tous les jours (par exemple : les baux). Du vocabulaire leur est donné pour ensuite le mettre en contexte avec des questions simples comme : « Si jamais ton évier est brisé, comment demandes-tu de l’aide à ton concierge? ». Bref, les activités se font surtout à l’oral pour qu’ils et elles soient capables de se débrouiller dans la vie de tous les jours.

Difficultés des personnes réfugiées

Abigaël soulève plusieurs difficultés rencontrées par les personnes réfugiées à Québec. À l’école, elles sont souvent désorientées et ne savent pas où aller ni comment prendre l’autobus. Il est rare qu’elles mangent des collations et certaines ne mangent pas le midi parce qu’il est trop tôt et qu’elles n’ont faim que plus tard. En général, leurs habitudes sont différentes des nôtres en matière d’alimentation et certains ne s’alimentent pas bien. L’habillement est aussi une difficulté : « J’ai déjà vu des enfants porter des gougounes en plein mois de mars. La famille n’avait pas fait la distinction des saisons. Comment s’habiller, quoi manger, arriver à l’heure… c’est souvent une difficulté ». À ce sujet, Abigaël ajoute que les enseignantes sont empathiques et patientes : « On ne les chicane pas beaucoup, surtout au début, parce qu’on s’attend à un comportement comme ça ».

La langue est aussi une barrière importante. Les personnes réfugiées ont parfois appris l’anglais (au Népal ou en Afrique dans les camps de réfugiés, par exemple) : elles sont alors désorientés parce qu’elles ont développé des « réflexes anglais ». Un autre élément pouvant être difficile concerne le fait qu’elles habitent au Centre multiethnique de Québec. Elles se regroupent alors par pays ou par ethnie, ce qui nuit à leur intégration parce qu’elles restent toujours ensemble et parlent uniquement dans leur langue maternelle. Aussi, selon Abigaël, il y a parfois des conflits en classe entre différentes cultures. Il peut notamment y avoir des tensions entre les Bhoutanais et les Népalais par exemple, parce que certain-e-s sont nés au Bhoutan, mais ont vécu toute leur vie dans un camp népalais, ce qui crée une certaine confusion sur leur appartenance.

Bon encadrement à Québec

En contrepartie, l’un des points forts au Québec est l’accueil. Les personnes réfugiées sont toutes bien suivies par le Centre multiethnique de Québec et sont parfois même parrainées : quelqu’un est présent à leur arrivée et de l’argent leur est remis. Beaucoup de ressources sont disponibles au Centre, comme des interprètes et des travailleurs et travailleuses sociales. Tous ces services sont gratuits. L’école est aussi proposée aux personnes réfugiées. « Ce que j’aime moins, c’est que la francisation n’est pas obligatoire. Je crois qu’elle devrait l’être », dit Abigaël. À leur arrivée au Québec, les personnes réfugiées sont informées quant au fait qu’elles peuvent aller en francisation et sont encouragées à participer. Au cégep de Sainte-Foy par exemple, elles reçoivent 100 $ par semaine pour assister aux cours. Cela leur fait un peu d’argent de poche pour survivre, en plus de les inciter à s’y rendre et à étudier. Certaines personnes attendent très longtemps avant de se rendre aux cours, ce qui fait qu’elles restent isolées.

Abigaël est ferme : « Je pense que si ces personnes ne parlent pas un minimum de français, elles vont s’enfermer et ne pourront pas vivre pleinement leur vie québécoise. Ce qu’on souhaite éviter à Québec, c’est que les quartiers se développent comme à Montréal : un quartier russe, un quartier chinois, bref un quartier par ethnie ».

De plus, elle souligne que lors des cours, les enseignantes leur enseignent non seulement la langue, mais aussi la manière de vivre et la culture d’ici, ce qui est acceptable ou non, etc. : « C’est le meilleur tremplin pour leur intégration dans notre société. On leur apprend beaucoup plus que le français, on leur apprend à vivre en français et à vivre à Québec (se trouver un logement, se trouver un emploi, acheter sa carte d’autobus, etc.) ». Toutes les enseignantes ont d’ailleurs de très bons contacts avec des entreprises d’insertion.

Quand ils arrivent ici, on leur donne tout : vêtements, carte d’assurance-maladie, argent. C’est bien pour le départ, mais si on veut qu’ils deviennent indépendants, ils doivent apprendre la langue et comprendre comment notre société fonctionne. C’est vraiment important, même pour ceux qui ne sont pas scolarisés du tout.

Recommandations

Si elle devait s’adresser publiquement aux Québécois et Québécoises qui s’inquiètent de l’arrivée de personnes réfugiées, la jeune étudiante mentionnerait que tout est encadré, qu’il ne faut pas s’inquiéter et qu’on s’occupe bien d’eux. « Essayez d’être ouverts d’esprit. Au Québec et au Canada, on est un peuple ouvert et on essaie de donner une deuxième chance à ceux qui en ont besoin. C’est une belle valeur et ce sont de belles initiatives dont nous devrions être fiers ». Selon elle, il faut s’informer davantage. De plus, les bulletins de nouvelles ne donnent pas toujours les bonnes informations pour sensibiliser la population à cette cause. « La différence fait peur, mais il ne faut pas y céder. Souvent, c’est plus eux qui ont peur de nous, c’est eux qui ont tout perdu et qui recommencent à zéro sans aucun repère ».

Népal. Source : https://pixabay.com/fr/montagnes-n%C3%A9pal-nature-paysage-2470053. Crédit : bijjayadav

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