35 Nicole Landry, Lis-moi tout Limoilou (organisme en alphabétisation populaire autonome)
Simon Gamache Fortin
Nicole Landry est impliquée dans le domaine de l’alphabétisation depuis 1974. Véritable femme de cœur, elle fonda en 1996 Lis-moi tout Limoilou, un organisme d’alphabétisation pour les résidents du quartier qui s’ouvrira, quelques années plus tard, aux personnes réfugiées et immigrantes. Pour madame Landry, la francisation est la clé pour l’intégration des nouveaux arrivants.
Originaire de la Gaspésie, Nicole Landry débuta sa carrière d’enseignante dans sa région natale. Après huit ans dans les écoles primaires et secondaires, la soif de nouvelles connaissances se fit sentir chez elle. Elle s’inscrivit donc au baccalauréat en sociologie. Sa passion pour l’éducation la conduisit à réaliser de nombreux travaux dans cette discipline au cours de ses études.
Au terme de son baccalauréat en sociologie, elle rencontra un directeur d’établissement scolaire de Loretteville qui désirait mettre en place un programme d’alphabétisation. Elle décida d’embarquer dans le projet. C’était en 1977; elle y passa 15 ans. Au début des années 1980, le ministère de l’Éducation décida que l’alphabétisation se ferait dans les commissions scolaires et dans les groupes d’alphabétisation populaires. L’idée de fonder un organisme avec cette mission commençait à germer dans la tête de Nicole Landry.
Elle avait d’ailleurs eu la chance de collaborer avec le ministère de l’Éducation sur différents projets. Ce dernier lui suggéra donc, à l’époque, de présenter un projet d’organisme d’alphabétisation à Limoilou. C’est ainsi que naquit Lis-moi tout Limoilou. Dans ses dix premières années d’existence, l’organisme accueillit une clientèle québécoise. Mais, au fil des ans, de plus en plus de nouveaux arrivants vinrent cogner à la porte de l’organisme.
Avec l’arrivée de nombreuses personnes réfugiées et immigrantes à Québec, l’organisme participa à un projet-pilote du ministère de l’Immigration pour faire de la francisation. Plusieurs réfugié-e-s du Bhoutan eurent recours à la formation donnée par Lis-moi tout Limoilou. Pour madame Landry, le mélange des cultures fait la force de ses groupes. Cela favorise les interactions qui sont essentielles à l’apprentissage du français. Elle est également fière de dire que de nombreux bénévoles collaborent au sein de l’organisme. « C’est important, la participation des gens du milieu ! »
Une question de valeurs
Aider les gens à s’intégrer, voilà ce qui motive cette enseignante de formation à travailler depuis de nombreuses années dans le milieu communautaire auprès de personnes réfugiées ou analphabètes. « Une personne analphabète, c’est une personne qui n’est pas intégrée dans son milieu. C’est une personne qui peut être isolée », explique-t-elle. C’est justement pour éviter l’exclusion de ces personnes qu’elle travaille de nombreuses heures chaque jour dans l’organisme qu’elle a fondé il y a 20 ans.
Travailler avec la différence apporte beaucoup à madame Landry. L’ouverture est une valeur qui guide sa vie depuis des décennies. « On est tous différents, mais on est pareils. On est des êtres humains avec un cœur, une tête, mais surtout avec un cœur », lance-t-elle avec passion. « Il faut montrer qu’on est ouvert à la différence. Il y a plusieurs types d’adultes ici [à Lis-moi tout Limoilou] », ajoute-t-elle.
L’empathie est également une valeur qui oriente son travail. Les histoires des adultes qui fréquentent Lis-moi tout Limoilou sont parfois déchirantes. Certaines personnes réfugiées, au fil des ans, se confient à elle. Elle tient à soutenir ces gens dans plusieurs sphères de leur vie. Elle va même chercher des élèves à la maison. En effet, il arrive que certaines personnes aient beaucoup de difficulté à s’orienter pour venir dans les locaux de l’organisme. « Je fais parfois le trajet en autobus avec eux », affirme-t-elle avec fierté. La volonté d’aider et de faire une différence dans la vie de ces gens continue de la motiver après tant d’années dans le domaine.
L’aspect « affectif » du travail de coordonnatrice de Lis-moi tout Limoilou motive encore plus madame Landry dans sa « vocation ». Selon elle, pour arriver à bâtir une relation de confiance avec les personnes réfugiées, il faut du temps, de l’intérêt et il faut être attentif à leurs émotions :
On est tous des enseignants de formation ici. Quand on enseigne, c’est à partir de l’affectif. Il y a beaucoup d’affectif. On veut créer un lieu d’appartenance, donc il faut travailler l’affectif pour que la personne soit bien ici avec les autres.
La francisation, la clé de l’intégration pour les personnes immigrantes analphabètes dans leur langue maternelle
Pour Nicole Landry, l’apprentissage de la langue du pays d’accueil par les personnes réfugiées est plus qu’essentiel. « Les personnes immigrantes, leur seul moyen de s’intégrer, à mon avis, c’est par la francisation. Si elles ne passent pas par la francisation, elles ne pourront pas s’intégrer adéquatement ». Madame Landry, qui considère ses groupes d’alphabétisation comme sa famille, est d’avis que l’intégration directe en emploi ne favorise pas l’inclusion. « Ce n’est pas par les emplois qu’on intègre, c’est par la francisation ». Les personnes réfugiées ou immigrantes peuvent s’isoler au travail si elles ne sont pas fonctionnelles en français.
Les familles réfugiées qui arrivent à Québec comportent très souvent de nombreux membres. Quand les enfants sont plus âgés, ils prennent souvent davantage de responsabilités pour aider les parents. Comme l’explique madame Landry, lorsqu’ils quittent le nid familial, il peut y avoir des conséquences sur la vie des parents :
Quand on dit intégration, c’est aussi [pour les réfugiés] de prendre leur place dans leur famille. C’est sûr que pour nos Bhoutanais, par exemple, la famille est importante. Souvent, les parents arrivent avec leurs enfants plus âgés au pays. Leurs jeunes deviennent très vite Québécois et quittent la maison. On s’aperçoit que nos adultes perdent leurs enfants. C’était souvent [ces derniers] qui les dépannaient avec la langue.
Nicole Landry et ses formateurs travaillent beaucoup à prévenir ce genre de situation auprès de certains adultes fréquentant l’organisme. Elle croit que ce phénomène, chez les familles en question, mine encore plus les chances d’intégration.
L’intégration, c’est l’autonomie. C’est d’être capable d’aller à l’épicerie seul ou d’aller chez le médecin seul.
Cela revient encore à l’apprentissage de la langue. Elle travaille fort avec ses formateurs à favoriser l’autonomie des élèves.
Madame Landry croit que les propos parfois déplacés tenus au cours des derniers mois à Québec sont reliés à un manque d’interaction entre certains Québécois et d’autres personnes réfugiées déjà intégrés ici. Elle admet avoir été affectée par tout ce qui a circulé. « Si nos personnes immigrantes ou réfugiées parlaient plus le français, il y aurait plus d’interactions et il y aurait moins de réactions comme la banderole « Réfugiés, non merci » ». Il est important que le gouvernement soutienne la francisation pour les personnes réfugiées qui viennent d’arriver. Par expérience, elle croit que c’est le meilleur soutien qu’on peut leur offrir pour les intégrer.
Que peut-on souhaiter à Nicole Landry pour le futur? « Continuer à avoir de beaux groupes », laisse-t-elle tomber à brûle-pourpoint. Elle aimerait aussi être en mesure d’offrir davantage de formation en francisation impliquant « le transfert d’apprentissage ». À son avis, les personnes réfugiés, par leurs connaissances et leurs expériences de vie, ont tant à partager à la communauté. « Pourquoi ne pas essayer de trouver des moyens pour que les Québécois et les Québécoises soient plus positifs avec les personnes immigrantes? », lance-t-elle en souriant.