32 Bianca Smith, École Rochebelle
Véronique Paquet
Bianca Smith, une jeune femme québécoise de 34 ans, a décidé de consacrer ses énergies aux personnes réfugiées au Québec et plus particulièrement aux élèves de l’école De Rochebelle. Travaillant pour cette école secondaire de la Commission scolaire des Découvreurs, Bianca est en contact permanent avec des jeunes de 90 nationalités différentes, à qui elle peut offrir son dynamisme et ses compétences. La Commission scolaire a d’ailleurs créé son poste sur mesure à la suite du projet pilote de Motivaction Jeunesse, une première dans les commissions scolaires de la région. En effet, Bianca peut répondre aux différents besoins des élèves réfugié-e-s grâce à une formation très diversifiée (éducation spécialisée, études en développement international et action humanitaire). Elle a également suivi de nombreuses formations offertes par le Haut Commissariat aux réfugiés, concernant notamment l’élève réfugié en situation de grand retard scolaire, l’intervention interculturelle, les conditions des réfugiés, la francisation ainsi que l’adolescent et l’hypersexualisation. Portrait d’une jeune femme engagée.
Un voyage, une révélation
Bianca avait 20 ans lors de sa première visite au Paraguay, en Amérique du Sud. À cette époque, elle n’avait jamais voyagé au-delà des frontières du Québec. L’initiative était venue d’un professeur paraguayen de son cégep. Malgré certaines embûches et le retrait du professeur à cause d’une maladie, sa détermination, son esprit d’initiative et son leadership lui permirent de prendre en main la suite du projet. Avec dix autres bénévoles, elle partit ainsi à Encarnación au Paraguay, grâce à des levées de fonds qui permirent de financer le voyage en plus de mettre sur pied des projets d’aide humanitaire.
« J’ai eu un coup de cœur, une révélation en arrivant là-bas », raconte-t-elle avec émotion. Le professeur avait tenté auparavant de préparer ses étudiants au choc culturel. Ils avaient par exemple mangé des mets typiques et écouté de la musique du pays. Toutefois, en arrivant dans un milieu plus rural, leur premier contact avec une population locale de 250 familles fut brutal. En effet, ces familles avaient érigé leur milieu de vie autour d’un dépotoir qui fournissait de la nourriture, des vêtements, etc. Très rapidement, son projet pilote Solidarité Québec Paraguay fut mis sur pied afin de venir en aide à cette communauté. Dès lors, Bianca s’investit totalement auprès des populations du Paraguay et organisa des activités de financement en plus de donner de la formation. Ensuite et parallèlement, elle travailla pour l’entreprise Voyage tour étudiant comme guide touristique dans les villes de New York, Miami et Virginia Beach. L’intérêt pour la nouveauté, la découverte et son désir de faire partager une expérience aux gens la poussèrent à exercer ce métier pendant sept ans. Par la suite, elle participa à un projet pilote dans des écoles primaires et secondaires dirigé par l’organisme Motivaction jeunesse.
Agente interculturelle et accueil des élèves réfugiés et immigrants
Son emploi actuel d’agente interculturelle en milieu scolaire l’amène à exercer diverses fonctions. D’abord, il s’agit de favoriser l’intégration des nouveaux élèves. Une rencontre est prévue à chaque début d’année avec les familles des jeunes adolescent-e-s, qui comprend :
- Une distribution de dépliants dans les différentes langues, la promotion du service de francisation et de l’information sur les différentes ressources du quartier (vêtements, nourriture, épicerie spécialisée, etc.)
- Une présentation sur les lois, les valeurs québécoises, la protection de la jeunesse, les obligations de scolarisation, etc.
Bianca explique qu’à son arrivée, chaque jeune réfugié-e est jumelé-e avec un-e élève de la même origine ethnique et avec un-e élève né-e au Québec. Les élèves du Québec lui font visiter l’école, l’aident à s’intégrer à un groupe d’amis, etc. Ensuite débutent les cours de francisation, d’arts plastiques et d’éducation physique. En francisation, il y a quatre classes de jeunes de 12 à 17 ans :
- Deux classes de jeunes sous-scolarisés ou de niveau débutant (alpha-1 et alpha-2), regroupant les jeunes qui ont de la difficulté à écrire ou à lire dans leur langue d’origine et ceux qui n’ont pas été à l’école depuis plus de trois ans;
- Une classe de niveau débutant-intermédiaire, regroupant les jeunes qui sont déjà scolarisés dans leur langue;
- Une classe de niveau intermédiaire-avancé, regroupant les jeunes des deux groupes précédents, souvent un an ou plus après la première étape de francisation franchie.
Cours de francisation
Étant donné la présence de 90 nationalités à l’école, il y a dans une même classe de français des jeunes qui parlent de nombreuses langues différentes. Le déroulement du cours se fait toutefois uniquement en français, bien que Bianca parle aussi anglais, espagnol et un peu portugais, ce qui facilite les communications avec les enfants et les parents. C’est avec l’aide du langage non verbal, des pictogrammes et des dictionnaires de traduction des langues que l’enseignante parvient à enseigner le français aux adolescent-e-s. « C’est une étape très exigeante pour les jeunes réfugiés », affirme-t-elle.
Bianca a également pour fonction d’organiser des activités d’intégration culturelle : cabane à sucre, pêche sur glace, camping, rallye dans le Vieux-Québec, visite au musée. Les activités se déroulent parfois en situation de jumelage avec des groupes de jeunes Québécois-e-s, pour favoriser l’immersion, la mixité et l’intégration. Ensuite, elle est responsable d’une partie du suivi pédagogique lorsque les jeunes s’intègrent aux classes régulières. Bianca participe aussi à l’aide aux devoirs, aux côtés des élèves québécois du Programme d’éducation internationale (PEI), puisque ces derniers ont des heures de services communautaires à faire. De plus, la jeune femme s’occupe des activités de sensibilisation pour l’ensemble de la communauté-école : conférences dans les classes, journées thématiques, projets spéciaux interculturels, vidéo Planète Rochebelle, groupe de musique, forum jeunesse sur l’immigration, etc.
Enfin, Bianca fait aussi beaucoup de suivis individuels afin de soutenir les jeunes dans diverses problématiques, et ce, en communication régulière avec le CLSC et la DPJ : violences, rejet, troubles de comportement en classe, signalements à la DPJ. Puisqu’il existe certains agissements qui ne sont pas tolérés au Québec, notamment ceux qui contreviennent aux droits des femmes ou des enfants, une partie de son travail consiste à contacter les familles et à discuter avec la personne à la source du conflit afin « d’accompagner la famille à changer de comportement ». Elle se rend extrêmement disponible, ils peuvent même l’appeler le soir s’ils ont des problèmes. « Je suis toujours contente de pouvoir les aider ». Ainsi, ce n’est pas un emploi de 8 h à 16 h, mais bien un dévouement complet qui nécessite beaucoup d’énergie et de temps. Mais comme Bianca le fait remarquer, l’échange avec les personnes réfugiées lui apporte beaucoup.
Son intérêt ne s’arrête pas sur une culture en particulier, mais s’étend à toutes les cultures. « Je suis vraiment in love avec le multiculturalisme ». Elle apprend une phrase dans plusieurs langues afin d’établir un meilleur contact lors de l’accueil des nouveaux élèves et elle aime connaître les particularités culturelles de leurs pays d’origine. Les valeurs relatives à l’ouverture et au partage sont importantes pour Bianca, car comme elle le dit, « on les aide beaucoup, mais ils nous aident beaucoup aussi ». En effet, elle trouve que les interactions et les interventions avec ces élèves favorisent une meilleure connaissance de soi.
Les difficultés ressenties par les personnes réfugiés
Selon Bianca, les principales difficultés des personnes réfugiées à Québec dépendent de leur statut. Les réfugié-e-s politiques, par exemple, ne proviennent pas de camps de réfugiés et sont souvent scolarisés. Ils et elles arrivent au Québec soulagés et voient leur arrivée comme un renouveau. Il y a certes le choc culturel et le déchirement d’avoir laissé leur famille derrière, mais ce changement brutal est moins grand que pour les réfugié-e-s issus de camps. De plus, certain-e-s réfugié-e-s politiques, comme ceux et celles de la Colombie, ont une culture similaire à la nôtre. Leur intégration en est donc facilitée. Les réfugié-e-s provenant des camps constituent les cas les plus difficiles, car il s’agit souvent de personnes sous-scolarisées ayant vécu de nombreux traumatismes. Leur prise en charge est donc plus complexe et les ressources mobilisées doivent être plus nombreuses.
Les autres défis importants sont reliés au climat, à notre manière de fonctionner, à la langue. Bianca ajoute : « L’égalité entre les hommes et les femmes, ça, c’est un gros morceau, car dans certains pays, c’est comme s’ils vivaient il y a cinquante ans ». Elle mentionne également que, dans la majorité des foyers québécois, les parents peuvent avoir des discussions avec leurs adolescent-e-s concernant la sexualité, alors que c’est un sujet tabou dans de nombreux pays. Mais elle remarque que les parents des élèves réfugiés sont tout de même ouverts au cours d’éducation à la sexualité qui est donné dans les écoles secondaires, car ils veulent s’intégrer.
Ils ne sont pas obligés d’être d’accord, mais il faut qu’ils essaient de comprendre comment ça fonctionne ici. Ce n’est pas de dire que lorsque tu arrives ici, tu oublies tout ce que tu as appris avant. C’est de les accepter avec leur bagage, puis de tranquillement les amener à s’ouvrir aux nouvelles choses qu’il y a ici, tout en valorisant le bagage qu’ils ont déjà.
Si la transition est plus difficile pour les personnes plus âgées, qui ont grandi toute leur vie dans certaines traditions, les jeunes adolescent-e-s réagissent différemment. Bianca indique que lorsqu’ils et elles arrivent à l’école, « c’est le paradis, la lune de miel ». Les installations, la piscine, les gymnases, les sorties scolaires, les activités, etc. les impressionnent beaucoup. Les enseignant-e-s sont souvent moins sévères et on peut les regarder droit dans les yeux, ce qui pouvait être mal vu dans leur culture d’origine. Il est même possible de discuter et argumenter avec les enseignant-e-s! Cette nouveauté est positive à leurs yeux, même si cela reste difficile de modifier leurs habitudes. Bianca a d’ailleurs un rôle à jouer à cet effet : elle tente de valoriser et de renforcer leur identité culturelle (en la partageant avec les autres élèves, en la faisant connaître) tout en les amenant à ajouter de nouvelles facettes à leur identité.
Québec : des infrastructures et des organismes prêts à accueillir les réfugiés
L’une des forces de Québec est l’existence de plusieurs infrastructures et organismes qui permettent l’accueil des personnes réfugiées. Le Centre multiethnique, par exemple, possède des installations et des logements temporaires pour les accueillir. Il y a aussi l’organisme en alphabétisation Lis-moi tout Limoilou, la Section d’appel à l’immigration (SAI) du gouvernement, l’organisme Mieux-être des immigrants ou encore Ressources espace familles. Selon Bianca, les gens sont bien formés dans ce réseau et représentent un important soutien pour les personnes réfugiées. De plus, au Québec, il y a plusieurs lieux de culte de différentes religions qui leur permettent de maintenir un lien d’attachement avec leur passé. « Quand tu arrives dans un autre pays, la seule chose qui te reste, c’est ta religion. Alors, en partant, il y a un ancrage ».
Des préjugés malgré tout
Bianca déplore les préjugés et les idées toutes faites à l’endroit des personnes réfugiées. Par contre, elle croit qu’ils proviennent d’une minorité de personnes, car, selon elle, Québec est une ville très accueillante. Le message qu’elle veut transmettre aux Québécois et Québécoises est court et simple : « Informez-vous ». Les Québécois-e-s semblent manquer d’information sur la réalité des personnes réfugiés même si Immigration Canada, le Centre multiethnique et le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion publient régulièrement sur le sujet. « Quand tu ne connais pas, tu as peur », affirme Bianca. Mais quand les gens s’informent, ils comprennent la grande richesse que constitue le fait de s’ouvrir davantage aux nouveaux arrivants.
Recommandations
Les recommandations de Bianca aux nouveaux arrivants sont d’aller vers les Québécois et vice versa. Plus les personnes réfugiées vont s’isoler, plus difficiles seront l’intégration, l’entrée sur le marché du travail québécois et l’apprentissage de la langue française. « Plus vite tu seras capable de retourner sur le marché du travail, plus vite tu retrouveras ta dignité et plus tu seras apte à soutenir tes enfants ». En effet, Bianca explique qu’à l’arrivée, les enfants exercent souvent le rôle du parent en raison de leur plus grande capacité d’adaptation. Ainsi, elle suggère aux adultes de converser avec leurs voisins et d’essayer de se faire des contacts qui feront partie de leur vie quotidienne.
Les personnes désirant s’impliquer bénévolement peuvent se présenter dans l’un ou l’autre des organismes communautaires afin d’offrir leur aide. Il y a beaucoup de bénévoles au Québec : des couples retraités, des étudiants de l’Université qui font de l’aide aux devoirs, des familles qui parrainent, etc. Le parrainage implique un accompagnement des personnes réfugiées et immigrantes similaire à celui offert par le Centre multiethnique : comment trouver un logement, de la nourriture, effectuer l’inscription aux écoles, etc.
Bianca est très valorisée dans son travail et éprouve beaucoup de fierté en constatant ce que les élèves réfugiés accomplissent : terminer leur secondaire, réussir un cours de francisation et passer à la prochaine étape, réaliser un projet artistique, etc. Tout est un défi pour ces jeunes qui doivent redoubler d’effort. Malgré les difficultés qu’ils affrontent, Bianca note qu’ils et elles restent positifs et sont fiers d’être ici. Pour eux, « chaque jour est une fierté ».