30 Victor X., la CASA latino-américaine
Élisabeth Vincent
Victor travaille pour la CASA latino-américaine, un organisme qui a comme mission première d’accueillir des réfugié-e-s. Les objectifs principaux de cet organisme sont d’« aider les membres de la communauté latino-américaine à s’établir et s’intégrer dignement dans la société d’accueil; favoriser le rapprochement et les relations fraternelles entre les membres de notre communauté et la société québécoise; encourager la découverte mutuelle de nos diverses cultures et celle du Québec et œuvrer pour la défense des valeurs démocratiques et pacifiques ». Il est à noter que la CASA est le seul organisme au Québec qui vient en aide spécialement aux personnes réfugiées latino-américaines.
Anthropologie et intérêt pour les autres cultures
Victor détient le titre d’anthropologue et ses fonctions au sein de l’organisme sont principalement reliées à la recherche. Ayant lui-même vécu dans plusieurs pays d’où proviennent les personnes réfugiées, il est en mesure de bien comprendre leur situation. En effet, Victor connait très bien le Paraguay, l’Argentine, le Chili et le Brésil, car il a vécu dans ces différents pays. Évidemment, il s’intéresse aux différentes cultures en général, mais il indique que la culture et l’identité québécoises l’intéressent particulièrement. Étant lui-même arrivé comme réfugié au Québec, il est en mesure de bien cerner les besoins et d’offrir une aide convenable aux nouveaux réfugiés. C’est en partie pourquoi il a décidé de travailler à la CASA.
Pour Victor, la notion d’aide est une valeur humaine fondamentale et son travail au sein de l’organisme lui permet de combler cette valeur. Aussi, il mentionne qu’il y a un besoin réel quant aux postes à combler dans les organismes qui accueillent des réfugiés; il est donc heureux de pouvoir contribuer à combler ce manque. Par contre, Victor a mentionné que, ces temps-ci, l’arrivée de réfugié-e-s qui viennent de l’Amérique latine n’est pas à son apogée. C’est pourquoi la CASA offre aussi ses services à toutes les personnes immigrantes qui arrivent dans la région de Québec. Ceci est la preuve que leurs portes sont ouvertes autant que leurs esprits.
Difficultés
Selon son analyse et surtout son expérience, Victor est en mesure de cibler plusieurs difficultés concernant les réfugié-e-s au Québec. Des difficultés au niveau culturel sont remarquées quant à l’apprentissage de la langue et des codes culturels du Québec. Aussi, un problème au niveau de la scolarité est très présent, en ce sens où les réfugié-e-s ont beaucoup de difficulté à faire reconnaître leurs diplômes et expériences acquis dans leur pays. Victor affirme que ce problème est transposé tant aux personnes réfugiées elles-mêmes qu’à la société d’accueil, qui pourrait bénéficier de leur expérience de travail. Comme Victor le dit, « la société se prive des connaissances et de la culture des nouveaux arrivants ». De ce fait, le volet économique est aussi touché, puisque les personnes réfugiées qui se voient refuser la reconnaissance officielle de leurs diplômes et de leurs expériences passées ne sont pas en mesure de se trouver un emploi, de faire de l’argent et de contribuer à faire rouler l’économie. Par ailleurs, Victor indique que les besoins de base des personnes réfugiées sont bien pris en charge par les services d’accueil. Par exemple, il est relativement facile pour une personne réfugiée de se trouver un logement, des services de traduction, des écoles pour les enfants, etc.
En revanche, beaucoup d’autres points seraient à améliorer selon lui. Par exemple, il faudrait rendre plus accessibles les cours de français pour les personnes réfugié-e-s. Dans un même ordre d’idée, il pense qu’il faudrait concevoir des cours adaptés selon la profession : de cette manière, une personne réfugiée qualifiée pour telle ou telle profession serait en mesure d’apprendre les termes essentiels pour pratiquer au Québec. Enfin, Victor offre toutes ses félicitations aux gens qui se dévouent à l’aide et à l’accueil des réfugiés, il considère que leur travail et leur empathie sont remarquables.
Sa vie passée comme réfugié politique
Avant de s’installer au Québec et d’offrir son aide aux personnes réfugiées dans le cadre de son travail, Victor a lui aussi vécu une vie de réfugié politique. Étant originaire du Paraguay, il a dû quitter son pays persécuté par la dictature du général Stroessner. Même si cette dictature a pris fin en 1989, Victor affirme que les injustices et l’appauvrissement continuent de toucher la population. Les répercussions de ces années de malheur se font encore sentir de nos jours. Lorsqu’il a fui le Paraguay, il a trouvé refuge en Argentine, où il espérait rester pour de bon. Par contre, quelque temps après son arrivée, des militaires ont pris le pouvoir… Victor mentionne que le pire était Augusto Pinochet, un militaire chilien qui a fait tuer plus de 3 500 personnes. Un climat de peur et d’insécurité régnait, c’est pourquoi Victor a décidé de fuir pour enfin se réfugier au Québec.
À leur arrivée à Montréal, des hispanophones ont bien reçu Victor et sa femme et les ont accompagnés pendant quelques jours. Après une semaine, ils ont été envoyés à Gatineau pour y étudier le français, langue totalement inconnue pour eux. Les premiers mois ont été éprouvants, Victor avoue que rien n’a été facile. Il compare même sa situation d’alors à celle d’un bébé qui n’est pas capable de s’exprimer et qui ne connait rien de son monde. Il a même fallu qu’il réapprenne à marcher en hiver avec la grande quantité de neige que nous avons ici au Québec, de même qu’à s’habiller pour s’adapter au froid. Il s’exprimait un peu en anglais, mais surtout en faisant des mimiques.
En plus d’avoir de la difficulté à s’exprimer, Victor ne connaissait pas tellement le Canada ni le Québec. Les cours de géographie de l’Amérique du Nord enseignés en Amérique du Sud ne fournissaient que des informations très générales, il était donc difficile pour Victor de comprendre ce nouveau territoire. Heureusement, le volet religieux a été plus facile, puisqu’en Amérique latine, c’est aussi la religion catholique et d’autres religions chrétiennes qui prédominent. Le volet politique était pour sa part différent, mais c’était pour le mieux. En effet, Victor avoue que de ne plus vivre dans une dictature lui a enlevé la crainte constante pour sa vie qu’il entretenait depuis longtemps.
Recommandations
Victor recommande fortement aux personnes réfugiées d’apprendre la langue et la culture du Québec afin de faciliter leur expérience lorsqu’elles arrivent. Il propose même un jumelage de familles qui pourrait contribuer à une découverte mutuelle entre deux cultures.
Au-delà de nos différences culturelles, nous sommes tous des êtres humains qui avons les mêmes besoins de manger, de s’habiller, d’avoir un toit, d’être aimé et d’aimer et d’avoir une racine sociale pour s’épanouir.
Étant maintenant au Québec depuis plusieurs années, Victor est en mesure de cerner ce qu’il aime et ce qu’il aime moins de notre province. Premièrement, il admire la capacité des Québécois et Québécoises de dialoguer même en ayant des opinions divergentes. Aussi, la notion de partage fascine Victor, ainsi que le fait d’avoir conservé notre culture intacte. Paradoxalement, il trouve que le peuple québécois manque de confiance en lui et est individualiste. Il ne comprend pas pourquoi les Québécois n’ont pas confiance qu’ils seraient capables de devenir un pays : ont-il peur de se prendre totalement en main ou peur de la liberté? Finalement, voici le message que Victor adresse aux québécois qui s’inquiètent de l’arrivée de personnes réfugiées :
Aujourd’hui, on diffuse la peur de l’autre, du différent, de l’étranger. La peur est une très mauvaise conseillère, car on ne raisonne plus, on agit par instinct, à l’aveugle, sans différencier les situations véritablement dangereuses de celles qui ne le sont pas. Le résultat, c’est le repli sur soi, l’appauvrissement culturel et le recul de la société qui met en pratique la fermeture en relation à l’autre. Les moments les plus riches en développement des sciences, des arts et de la pensée ont été ceux de l’ouverture à l’autre, à la différence.