16 Ignace X, Congo
Geneviève Guillemette
Imaginez : vous évoluez dans un domaine de travail dans lequel vous excellez. Toutefois, certaines personnes refusent votre expertise pour des raisons personnelles. Comment vivez-vous ce rejet? Pour Ignace, c’est un coup dur. Malheureusement, cette situation n’est pas nouvelle pour lui. Cet immigrant congolais, devenu préposé aux bénéficiaires, s’est souvent vu refuser l’exercice de son travail auprès de ses patients par les familles de ces derniers. Une réalité qui, même après plusieurs années passées au Québec, est toujours aussi difficile à encaisser. Toutefois, depuis le temps, Ignace assure qu’il s’est créé une carapace.
Arrivée au Québec
Arrivé au Québec le 23 août 2000 à l’âge de 34 ans, Ignace, accompagné de sa femme et de ses trois enfants, s’est vu offrir la possibilité de recommencer une nouvelle vie. À leur arrivée au Canada, Ignace et sa famille furent accueillis par divers organismes. Le Centre multiethnique de Québec et le SOIIT (Service d’orientation et d’intégration des immigrants au travail) de Québec les prirent en charge. Que ce soit pour dénicher un logement, s’orienter ou trouver un emploi, les organismes leur furent d’un grand secours. D’ailleurs, Ignace est toujours en contact avec « Madame Carole », rencontrée il y a 15 ans, avec qui il communique lorsqu’un détail sur son C.V. doit être changé.
Ignace se considère très chanceux d’avoir été « sélectionné » pour venir au Canada. Natif du Congo, le désordre politique de son pays l’obligea d’abord à se réfugier dans le pays voisin, la Tanzanie. Lorsqu’il était au Congo, le dictateur politique en place fut défié par son opposant, ce dernier venant de la même tribu qu’Ignace et sa famille. Cela entraîna des persécutions à l’endroit de la tribu de cet opposant, et donc de la famille d’Ignace. Heureusement, des représentants du Canada vinrent à eux : « Ils venaient nous recruter, voir nos profils, lesquels peuvent bien s’intégrer dans les différentes provinces ». C’est contemplant des images de ces différentes provinces en question, ainsi que le coût de la vie de chacune d’elles, que le choix d’Ignace s’arrêta sur le Québec. La raison principale : le français. La réalité rattrapa toutefois rapidement ce Congolais. Arrivé au Québec, il fut difficile pour lui de comprendre le « français rapide » de Québécois. À l’inverse, les Québécois connaissaient aussi des difficultés à comprendre Ignace lorsque ce dernier s’exprimait. Heureusement, cette difficulté d’adaptation s’est effacée avec le temps.
S’installer et travailler
À son arrivée, Ignace se tourna d’abord vers le bien-être social, le temps de bien s’installer au pays. Puis, il se mit rapidement à travailler. D’ailleurs, travailler lui permit non seulement de gagner sa vie, mais de se tenir occupé à la suite du choc culturel qu’il avait vécu. Il travailla tout d’abord pendant trois ans aux champs de l’île d’Orléans, cueillant des fraises, des piments et des choux, pour ensuite aller travailler chez Savoura, à Portneuf, où il cueillait des tomates. Ces expériences de travail enrichissantes lui permirent de rencontrer bon nombre de gens, immigrants ou non. Après ces quelques années à travailler dans les champs, Ignace décida de retourner sur les bancs d’école. C’est au cégep Garneau, en soins infirmiers, qu’Ignace entama une nouvelle étape dans sa vie. Toutefois, un défi de taille l’attendait, non pas au niveau académique, mais plutôt au niveau social.
En effet, bien qu’il réussissait très bien dans ses cours, il sentait peser sur lui le regard de ses collègues et professeurs. À sa troisième année, lors de ses stages, cette pression sociale eut raison de lui : « Lorsque tu es en stage, tu es plus vulnérable, il ne suffit alors que d’un professeur qui ne t’aime pas, et ce, peu importe ce que tu fais ». Ainsi, malgré qu’il était à quelques pas d’obtenir son diplôme, en plus d’être déjà engagé comme infirmier lorsqu’il aurait complété son cours, Ignace dut tout abandonner. En deuil face à son rêve, Ignace resta positif : « Il faut les comprendre, j’étais peut-être le seul noir en classe, les profs ne sont pas formés pour composer avec les étudiants immigrants ». C’est ainsi qu’il est allé travailler comme préposé aux bénéficiaires à l’endroit même où il avait été engagé comme infirmier. Cependant, après quelques années, ce congolais se tourna vers une école professionnelle. Avec tout le bagage qu’il avait accumulé dans le domaine de la santé, Ignace ne voulait pas « perdre » ses connaissances : il compléta alors sans problème un diplôme comme infirmier auxiliaire. Toutefois, encore aujourd’hui, il connaît des injustices dans son milieu de travail : « Il faut vivre avec ça, c’est la nature humaine ».
Ce qui manque
Pour de nombreux Africains, immigrer au Canada, c’est « gagner à la loterie », voire même « aller au ciel ». Ignace n’est jamais retourné dans son pays natal. Bien que sa famille et ses proches lui manquent, il assure qu’ici, rien n’est comparable à ce qu’il vivait en Afrique. La « chaleur humaine » des gens de son pays lui manque, certes, mais une association regroupant d’autres immigrants à Québec lui a permis de retrouver cet esprit. Cette association lui donne notamment l’occasion d’assister à des soirées, de célébrer des naissances, de souligner les différentes fêtes de l’année et même de vivre un deuil. Ignace a d’ailleurs été membre du conseil d’administration de cette association, envers laquelle il est très reconnaissant. En effet, c’est elle qui l’a accueilli et dirigé lors de son arrivée.
Malgré toute l’aide reçue, cet immigrant congolais affirme que plusieurs choses manquent aux nouveaux arrivants : « L’esprit de pouvoir entreprendre des choses, de créer, ça nous manque ». Effectivement, au Congo, les habitants ne gagnent pas assez d’argent et n’ont pas l’habitude d’en mettre de côté pour épargner pour un projet futur. Au Canada, toutefois, épargner est pratiquement de mise. Ainsi, l’idée lui est venue de créer une nouvelle association pour permettre aux immigrants d’introduire les « manières de faire » des Canadiens, dont celle d’épargner de l’argent et d’entreprendre des projets. Afin de sensibiliser les immigrants, des entrepreneurs québécois y font des conférences pour raconter leur parcours et inspirer les immigrants à entreprendre à leur tour. L’association a notamment créé un fonds pour aider les immigrants qui veulent se lancer en affaires : « On ne peut pas toujours travailler, mais on peut créer des emplois ». Sa famille est toujours au Congo et Ignace l’aide financièrement, ce qui est la réalité de plusieurs immigrants. Bien qu’il se considère chanceux d’être au Canada, il se sent très redevable envers sa famille. Les parents d’Ignace n’ont plus la force de travailler, les aider est donc tout naturel pour lui. Toutefois, il considère que ses frère dépendent de lui, car ils sont plus jeunes et ne travaillent pas. C’est pourquoi il aimerait fonder quelque chose ici qui aiderait à créer des emplois dans son pays d’origine. C’est d’ailleurs la philosophie de son association :
Si nous sommes capables de créer des emplois ici, cela peut nous donner un levier pour créer des emplois là-bas, au lieu de donner de l’argent qui ne sert qu’à la consommation. Eux, là-bas, dépendent de nous. Nous, ici, nous nous appauvrissons, et eux aussi, car ils prennent l’argent aux fins de consommation seulement et ils n’ont pas d’emplois.
Évolution des perceptions
Depuis son arrivée, Ignace assure qu’il y a eu une évolution dans la perception des immigrants par les Québécois. À son arrivée au Québec, le siège à côté de lui dans l’autobus restait la plupart du temps vide. Lorsqu’il entrait dans un magasin, il se sentait toujours épié. Certes, il s’est rapidement adapté à ces nouvelles situations. Il a appris, par exemple, à ne plus entrer dans un magasin avec un grand sac pour ne pas attirer l’attention sur lui. Ce qui est paradoxal, c’est que dans son pays natal, les gens voient les étrangers blancs comme des héros : « Ils doivent être compétents, ils doivent avoir étudié dans des grandes écoles ». Il se souvient d’ailleurs qu’à l’âge de cinq ans, un curé blanc était venu dans son village. Admiré et regardé par tout le monde, il avait fait la rencontre d’Ignace. Ce dernier, mangeant une canne à sucre, en avait offert un morceau au curé juste pour voir comment celui-ci mangeait.
Il est certain qu’avant de mettre les pieds au Canada, Ignace avait des préjugés positifs à l’endroit des Canadiens. Son opinion a changé, puisqu’il y a partout, dans tous les pays, des « mauvaises personnes ». Toutefois, il assure que du point de vue matériel, le Congo n’est pas comparable au Canada : « Lorsqu’on est malade, ici, on ne paye pas. Oui, nous avons des assurances à payer, mais nous ne sommes jamais laissés à nous-mêmes ». Dans son pays d’origine, les gens peuvent mourir, car ils n’ont pas d’argent pour se faire soigner. « On est au paradis ici quand on voit la qualité de vie, les soins médicaux, etc. ». Également, il mentionne que lors de son arrivée, le gouvernement lui a prêté tout l’argent qui lui fallait. Cependant, « il faut rembourser un jour ou l’autre ». À cet effet, nombreux sont ceux qui pensent que les immigrants reçoivent sans rembourser : « Les gens pensent qu’on nous aide et que c’est fini, mais non, on rembourse, il n’y a rien pour rien ». Une chose est sûre, le parcours tumultueux d’Ignace Kalala en a valu la peine. Une de ses plus grandes fiertés? « Une fois que tu voles de tes propres ailes, tu participes à l’économie d’ici et c’est ce qui te rend fier ».