5 Mohamed X, Afghanistan

Geneviève Tremblay-Bruyère

L’Afghanistan est un pays qui a connu de nombreux conflits armés. Que ce soit l’invasion du pays par la Russie, les nombreuses guerres civiles ou bien la prise du pouvoir par les talibans en 1996, l’Afghanistan n’a pas connu beaucoup de longues périodes de stabilité. Depuis son plus jeune âge, Mohamed X est habitué à vivre dans un climat de guerre. Pourtant, avant l’arrivée des talibans, le quotidien était surmontable. « Avant que les talibans ne prennent le pouvoir, ma vie était assez normale. Malgré les bombardements qui se produisaient de temps en temps, ma vie n’avait rien de particulier », relate-t-il. Mohamed et sa famille demeuraient alors à Kaboul, la capitale de l’Afghanistan. Il arrivait parfois qu’ils ne puissent pas sortir de la maison à cause de bombardements ou que les écoles soient fermées pour les mêmes raisons. Son père travaillait au sein du gouvernement, tandis que sa mère était enseignante.

Avant le départ

C’est en 1996 que tout bascula pour lui, comme pour tout le peuple afghan. Cette année marqua en effet l’arrivée au pouvoir des talibans qui imposèrent aussitôt un régime politique radical prônant la Loi islamique. La Sharia se définit comme étant « le chemin, la voie d’accès pour respecter la loi de Dieu [1]». Le peuple afghan était habitué de vivre dans un climat de guerre, mais rien ne l’avait préparé au régime qui fut alors imposé par les talibans. La vie telle que les Afghans l’avaient toujours connue se termina brutalement. Les femmes ne pouvaient plus sortir de la maison sans être accompagnées d’un homme, comme en témoigne Mohamed : « Dès que ma mère ou une de mes sœurs désiraient se rendre quelque part, automatiquement elles devaient être accompagnées de moi ou de l’un de mes frères ». De plus, les femmes étaient dorénavant contraintes à porter la burqa, un vêtement couvrant entièrement la tête et le corps, avec un grillage dissimulant les yeux[2]. Les femmes ne possédaient plus aucun droit, pas même celui d’aller à l’école. Le non-respect d’une des règles de la Sharia entraînait des sanctions parfois très sanglantes. Un véritable climat de terreur s’installa au sein du peuple qui craignait les représailles en cas de manquement à la nouvelle Loi. La qualité de vie qui régnait dans ce pays avait complètement disparue et de nombreuses personnes désiraient le quitter.

Avant l’arrivée des talibans au pouvoir, le père de Mohamed travaillait au gouvernement. À cause de son opposition à l’idéologie politique des talibans et de son refus de s’y conformer, il fut emprisonné durant six ans. Mohamed et sa famille croyaient ne jamais le revoir : « C’était horrible, nous étions impuissants et dans l’ignorance. Il nous était impossible d’obtenir des renseignements sur notre père ». Grâce aux nombreux contacts que son père avait au gouvernement, celui-ci put échapper à une mort certaine en demeurant très discret. C’est en simulant sa mort et en étant ensuite évacué au Tadjikistan qu’il réussit à survivre. Il fut d’ailleurs déclaré mort par exécution dans les médias. Toute la famille crut à son décès. Cependant, un ami entra par la suite en contact avec la mère de Mohamed pour lui annoncer que son mari était toujours vivant et qu’il les attendait au Tadjikistan. Un vol fut planifié afin d’évacuer Mohamed, à l’époque adolescent, et sa famille. Ils durent abandonner tous leurs effets personnels et n’apporter avec eux que le strict minimum.

Avant de venir au Canada, ils habitèrent quelques années au Tadjikistan, pays voisin de l’Afghanistan, où plusieurs autres familles afghanes avaient également migré. Si la majorité de ces Afghans possédaient un statut de résident permanent au Tadjikistan, il leur était impossible d’obtenir la citoyenneté tadjike. C’est alors que le Haut Commissariat des Nations Unies (HCR) pour les personnes réfugiées intervint afin de leur proposer un autre pays d’accueil.

Vers le Canada

Le Canada est un pays reconnu comme offrant une très haute qualité de vie. Il représentait donc une terre d’accueil attrayante pour Mohamed et sa famille. Il est cependant important de mentionner que les critères du Canada en matière d’immigration sont très stricts. Sa famille et lui durent passer trois entrevues avant de savoir s’ils pouvaient déménager au Canada. La première entrevue consistait en une évaluation de leur situation. Lors de cette entrevue, les membres de la famille durent prouver, à l’aide de documents, qu’ils étaient bel et bien des personnes réfugiées de guerre. C’est également lors de cette première rencontre qu’ils apprirent que leur demande d’asile était acceptée.

La deuxième entrevue consistait en une rencontre avec un agent d’immigration canadien accompagné d’un agent des Nations Unies qui devaient évaluer la province dans laquelle les membres de la famille désiraient loger. Ce sont ces deux agents qui proposèrent le Québec et la famille accepta. Durant la dernière rencontre, les membres de la famille durent passer différents tests médicaux. Puis on leur annonça que leur départ se ferait en février.

Le voyage dura deux jours. À leur arrivée à Montréal, les huit membres de la famille furent accueillis par un agent d’Immigration Canada. Il y avait également des membres d’un organisme présents pour faciliter leur intégration, mais Mohamed ne se souvient plus de quel organisme il s’agissait. Sa famille et lui prirent ensuite un autocar à destination de Québec. Il se souvient avoir trouvé le climat particulièrement glacial à son arrivée. C’est après avoir passé 14 jours à l’hôtel que les clés de leur futur appartement leur furent remises. Durant ces deux semaines, la famille se sentie privilégiée. Elle ne faisait que manger au restaurant, se détendre et remercier la vie de lui avoir offert un nouveau départ. Les membres de la famille étaient, à ce moment-là, bien loin de se douter à quel point l’adaptation à une culture aussi différente de la leur serait difficile.

Le défi de l’intégration

Ce n’est qu’une fois installés dans leur appartement que les membres de la famille commencèrent à rencontrer des difficultés. Puisqu’ils ne connaissaient pas encore le français, chaque aspect de leur vie devenait une épreuve. Des actions courantes telles que demander des indications pour trouver différents commerces posaient problème. Mohamed se souvient que même l’achat de beurre comportait ses difficultés puisque lui et sa famille cuisinaient avec du beurre non salé et qu’au Québec, ils devaient choisir entre le beurre salé et le beurre non salé.

Il suivit par la suite quelques cours de francisation. Un premier cours d’un an ne fut cependant pas très bénéfique puisqu’à la fin de celui-ci, il ne maîtrisait aucunement la langue française. Il tenta toutefois de poursuivre son éducation à l’école secondaire Joseph-François-Perrault. Cependant, il échoua tous ses cours. Malgré les efforts qu’il fournissait, il ne comprenait pas ce que le professeur enseignait la plupart du temps. Ayant atteint la majorité au cours de l’année, il choisit de poursuivre ses études au Centre Louis-Jolliet, centre d’éducation pour adultes où la majorité des étudiants et étudiantes étaient des personnes issues de l’immigration ne possédant pas beaucoup de connaissances en français. Peinant toujours à bien maîtriser le français, il abandonna finalement ses études.

Durant sa fréquentation du Centre Louis-Jolliet, il fit cependant plusieurs rencontres. C’est d’ailleurs grâce à l’une de ses connaissances qu’il réussit à se trouver un emploi. Cet emploi ne demandait pas de curriculum vitae et n’exigeait pas de parler couramment le français. C’est ainsi qu’il commença à travailler dans une cuisine. Les années passèrent et, fréquentant plusieurs Québécois et Québécoises dans le cadre de son travail, il apprit finalement petit à petit la langue de Molière. Aujourd’hui, il est relativement à l’aise avec la langue même s’il rencontre de petites difficultés de temps en temps. C’est également grâce à une connaissance du Centre Louis-Jolliet qu’il rencontra, il y a de cela six ans, sa conjointe actuelle, une Québécoise.

Avant de devoir fuir l’Afghanistan, il aspirait à une carrière en politique, tout comme son père avant lui. Cependant, en raison de son départ vers le Canada et de la barrière de la langue qui constitua un obstacle dès le début, il ne put jamais étudier à l’université.

À ce jour, il occupe toujours un emploi dans une cuisine. Puisqu’il est le plus vieux de sa famille et que son père est âgé, il tient le rôle de pourvoyeur. Il se doit de veiller au bien-être de ses frères et sœurs, c’est pourquoi il occupe deux emplois depuis plusieurs années. Il travaille jusqu’à 90 heures par semaine afin de bien remplir son rôle : il désire offrir une bonne qualité de vie à sa famille.

Le fait qu’il ait dû prendre soin de sa famille lorsque son père était en prison a très certainement contribué à développer chez lui un sentiment de responsabilisation très fort. Il a d’ailleurs réussi, en juin 2015, à acheter une maison pour lui et sa famille.

Il admet que le fait de n’avoir été entouré que de personnes afghanes a probablement contribué à rendre plus difficile et plus longue son intégration à la langue et à la culture québécoise. Il est très fier de ses origines afghanes et sa culture est très ancrée en lui. Il démontre une grande incompréhension envers certains aspects de la culture québécoise et de ses coutumes. Il a beaucoup de mal à comprendre, par exemple, que les aînés, hommes et femmes, soient placés dans des foyers. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles il ne désire pas réellement adopter toutes les valeurs québécoises. Par ailleurs, il est choqué de constater l’ignorance du peuple sur les causes réelles de la guerre en Afghanistan. Le fait que les musulmans et musulmanes aient tendance à être mal perçues par la population le dérange au plus haut point et il considère que les journaux font du profilage envers les musulmans et musulmanes. Il se dit régulièrement victime de stéréotypes négatifs. Il affirme toutefois que le fait d’être entouré par une communauté afghane lui permet de mieux vivre avec les préjugés dont il est victime. La place de cette communauté, constituée de compatriotes, hommes et femmes, est très importante pour lui. Il aimerait que les Québécois et Québécoises soient plus ouvertes d’esprit envers les musulmans et musulmanes.

Objet afghan SOURCE

  1. Boireau, Mathilde. s.d. « Qu’est-ce que la charia? » Ça m’intéresse. http://www.caminteresse.fr/economie-societe/quest-ce-que-la-charia-117578/ (consulté le 28 mars 2016)
  2. Agence France-Presse. 2010. « Hidjab, niqab, tchador ou burqa? » La Presse.ca. http://www.lapresse.ca/international/201001/26/01-943044-hidjab-niqab-tchador-ou-burqa.php (consulté le 23 août 2017)

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