93 Théologie de la libération

Claudia Bourguignon Rougier

Comme le remarque Fatima Hurtado López (2013), la théologie de la libération se différencie de la philosophie de la libération, mais certain-e-s de ses acteurs et actrices ont été impliqué-e-s dans les deux courants. Les théologien-ne-s de la libération partent du discours de la théorie de la dépendance et font de la libération sa conséquence politique. Également appelée « christianisme de la libération », cette Église des pauvres fait son apparition en « Amérique latine » au début des années 1970, dans le sillage de l’ouverture amorcée dès les années 1960 par Vatican II. Il s’agit d’intellectuel.le.s comme Frei Betto, Leonardo Boff, Juan Carlos Scannone, Enrique Dussel, pour ne citer que les plus connu.e.s. Ils et elles ont donné une grande répercussion à un vaste mouvement qui avait démarré dès les années 1960. En effet, selon Lowy Michael (2005), ce « christianisme de la libération » se manifeste à travers un réseau de pastorales populaires, de communautés ecclésiales de base, de groupes de quartier, de commissions Justice et paix, de formations de l’Action catholique (JUC, JOC, JEC), de prêtres, de religieux et de religieuses qui ont assumé de façon active ce qui deviendra l’idée centrale de la théologie de la libération : l’option préférentielle pour les pauvres ».

En « Amérique latine », avec les conférences de Medellín, puis de Puebla, un secteur radical de l’Église, engagé concrètement dans la lutte pour l’amélioration de la vie des pauvres, s’est affirmé. Cette lutte pouvait aller jusqu’à la prise des armes, comme ce fut le cas pour certains prêtres au Nicaragua dans les années 1970. Le contexte historique de l’époque, en particulier une pauvreté que les politiques de développement ne pouvaient pas éliminer, est un élément essentiel pour l’émergence de ce mouvement. Et la théorie économique de la dépendance, qui a été une critique à partir de l’« Amérique latine » de ces politiques imposées par l’étranger, avait trouvé dans la théologie de la libération un écho. Le franciscain Leonardo Boff affirmait que toute théologie se vivait à partir de deux lieux, celui de la foi et celui du monde social dans laquelle la foi était vécue.

Tout en prenant en compte la réalité économique et politique de l’oppression, les théologien-ne-s de la libération se différencient du marxisme en ce qu’ils et elles trouvent réductrices la notion de classe et préfèrent parler de peuple pour rendre compte des multiples visages de l’opprimé-e :  indien-ne, noir-e, paysan-ne. D’autre part, la théologie de la libération parle davantage de libération intégrale que d’émancipation économique.

Une des forces de cette approche est la critique du capitalisme vue comme religion. Depuis la fin des années 1980, les théologien-ne-s de la libération soulignent le caractère idolâtre du capitalisme. À leurs yeux, le problème central en « Amérique latine » n’est pas l’athéisme mais bien l’idolâtrie qui rend un culte à de faux dieux. Ainsi, des théologiens comme Franz Hinkelammert et Hugo Assmann ont développé une réflexion sur le caractère fétichiste du capitalisme, reprenant à leur compte la thématique wébérienne de la lutte des dieux.

On ne peut pas aujourd’hui envisager la théologie de la libération comme une simple version exotique de la théologie. Elle apparaît dans le mouvement d’idées particulièrement riche, révolutionnaire que connaît l’« Amérique latine » de la deuxième partie du XXe siècle. Comme l’écrit Luis Martínez Andrade (2017) : 

Si l’on ne peut parler de critique décoloniale s’agissant de la théologie de la libération sans risquer l’anachronisme, la ligne de force est pourtant bien visible. Notre but est donc de montrer que la théologie de la libération est un antécédent épistémique et géo-historique du tournant décolonial.

Références

Assmann, Hugo. 1973. Teología desde la praxis de la liberación: ensayo teológico desde la América dependiente. Salamanque : Agora.

Chaouch, Malik Tahar. 2007.  « La théologie de la libération en Amérique latine ». Archives de sciences sociales des religions : 9. 28.

http://journals.openedition.org/assr/4822

Frei Betto. 2009. « Quelles alternatives au capitalisme ». A l’independant.

http://alainindependant.canalblog.com/archives/2009/10/13/15426397

Hurtado López, Fátima. 2013. Dialogues philosophiques Europe-Amérique latine : vers un universalisme ouvert à la diversité. Enrique Dussel et l’éthique de la libération. Thèse de Doctorat.

https://digibug.ugr.es/bitstream/handle/10481/29525/21876757.pdf?sequence=1&isAllowed=y

Libanio, Joao Batista. 2005. « La théologie de la libération. Nouvelles figures », Études. Tome 402.

https://www.cairn.info/revue-etudes2005-5-page-645.htm

Lowy, Michaël. 2014. « La théologie de la libération ». L’Indépendant.

http://alainindependant.canalblog.com/archives/2014/11/24/31016995.html

Lowy, Michaël. 2005. « Religion, politique et violence : le cas de la théologie de la libération ». La brèche numérique.

http://www.preavis.org/breche-numerique/article197.html

Martínez Andrade, Luis. 2016. Écologie et Libération. Critique de la modernité dans la théologie de la libération. Paris : Van Dieren Éditeur ; 28.

Martínez Andrade, Luis. 2017. « Le capitalisme comme religion. La théologie de la libération au tournant décolonial ». Tumultes. n° 48.

https://www.academia.edu/35461525/Le_capitalisme_comme_religion._La_th%C3%A9ologie_de_la_lib%C3%A9ration_au_tournant_d%C3%A9colonial

Pasquier, Raphaël. 2009. « Dialogue avec Leonardo Boff ». Cotmec. n° 305.

http://www.ired.org/modules/infodoc/files/french/cotmec_-_dialogue_avec_leonardo_boff.pdf

Scannone, Juan Carlos. 2009. «La filosofía de la liberación: historia, características, vigencia actual». Teología y Vida, vol. L. 59 – 7.

https://scielo.conicyt.cl/pdf/tv/v50n1-2/art06.pdf

Vergara Estévez, Jorge. 2001. « Franz Hinkelammert, El nihilismo al desnudo. Los tiempos de la globalización ». Polis. 4.

http://journals.openedition.org/polis/7220

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