61 Malambo et Perro Viejo

Sebastien Lefévre

Malambo et Perro Viejo sont deux romans écrits par des autrices afrolatinoaméricaines. Lucía Illescas Charún est l’autrice de Malambo (2001). Elle est la première Afropéruvienne à avoir publié un roman, roman qui se situe pendant l’époque coloniale au Pérou. L’action se passe principalement dans le quartier de Malambo où vivent les esclavagisé-e-s africain-e-s.

Perro viejo (2007) est un roman écrit par Teresa Cárdenas, une Afrocubaine. L’action se situe au cœur d’une plantation durant l’époque coloniale à Cuba.

Il nous a semblé important d’inclure ces deux romans au Dictionnaire, car ils représentent une certaine rupture décoloniale. Premièrement, nous sommes face à des autrices afrodescendantes, c’est-à-dire des descendantes d’esclavagisé-e-s qui ont pris leur plume pour raconter leur propre histoire. Cet élément peut paraître ordinaire mais il reflète plutôt l’exception. Les histoires, les cultures, les religions afro, par le passé, ont presque toujours été racontées par des non-afrodescendant-e-s. Cela posait la question de la légitimité du discours et d’une certaine confiscation de ce dernier, car les Afrodescendant-e-s ne s’exprimaient pas et subissaient ces discours. Cette prise de parole constitue ’une rupture dans le champ des représentations et offre une autre vision de l’histoire, de la culture etc. des Afrodescendant-e-s.

Et cette vision autre, non hégémonique, se retrouve dans les schémas narratifs des deux ouvrages. Dans Malambo, l’action principale se passe essentiellement dans le quartier des esclavagisé-e-s. Et lorsque l’action se a lieu chez les maîtres (Ciudad de los Reyes), elle est vue en général à travers la vie des esclavagisé-e-s qui servent les maîtres. Enfin, lorsque l’action se déroule en dehors de la ville, l’autrice nous fait voyager dans les villages où les cultures populaires sont présentes.

Dans Perro Viejo, même si l’on se situe dans les habitations de la plantation, toutes les actions se déroulent là où vivent les esclavagisé-e-s (baraquement, place, arbre, champ etc.). L’habitation du maître n’est présente que très rarement.

De fait, les deux autrices opèrent un décentrement qui nous donne accès à d’autres points de vue, celui des subalternes. À travers la vision des esclavagisé-e-s, nous voyons la façon dont ils et elles vivaient, ce qu’ils et elles ressentaient, quelles étaient leurs traditions, leurs nourritures, leurs savoir-faire. Les deux romans adoptent une perspective ré-humanisante des sujets esclavagisé-e-s, en leur donnant un statut d’acteurs et d’actrices de leur propre destin, conscient-e-s de leurs trajectoires historiques spécifiques et conscient-e-s, surtout, des moyens à mettre en place pour rester libres malgré tout, soit par la fuite, dans Perro Viejo, soit par l’établissement d’espaces de négociations avec les maîtres, dans Malambo.

La religion est un autre aspect convoqué par les deux autrices. Elles font référence aux pratiques religieuses africaines des Yoruba déporté-e-s en Abya Yala. A la cosmovision de ces esclavagisé-e-s et à la science qui accompagnait leurs pratiques (ethnobotanique). La présence des Orishas montre surtout que le prétendu métissage, syncrétisme n’était pas aussi systématique que ne le prétendent bon nombre d’ouvrages historiques. Enfin, elles réinsèrent là aussi les esclavagisé-e-s dans une perspective ré-humanisante, en les dotant d’une culture. Par conséquent, ces deux ouvrages constituent des contre-discours à la modernité occidentale.

Références

Illescas Charún, Lucía. 2001. Malambo. Lima : Universidad Nacional Federico Villareal.

Cárdenas, Teresa. 2007. Perro viejo. Toronto : Groundwood Books.

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