68 Monte

Paul Mvengou Cruz Merino

Monte pourrait se traduire comme la « brousse » ou la « forêt » ou le maquis. Ce terme est très présent dans le vocabulaire des communautés afro-latino-américaines. On le retrouve notamment au sein des communautés afrodescendantes au Mexique, à Cuba, en Colombie, en Équateur et au Panama. Il désigne d’abord un espace naturel qui entoure les communautés afro rurales. Dans ce milieu, sont menées certaines activités économiques : chasse, cueillette, élevage. D’autre part, le monte a une dimension épistémologique.

Premièrement, il a constitué un espace historique pour les communautés afro-latino-américaines car, durant la période de l’esclavage, le monte servit de lieu de résistance pour les esclavagisé-e-s. En effet, afin d’échapper et de s’opposer au joug colonial et racial, ces esclavagisé-e-s vont s’installer dans des zones très difficile d’accès et fonder des communautés, des villages libres qui, dans certains cas, vont être des lieux de repli après des attaques menées contre les intérêts des colons européens, comme à Panama, Veracruz et sur la Costa Chica au Mexique, et même, la tentative de reproduire une « Afrique ». Le monte est l’environnement historique de résistance noire, ce que la langue castillane consacrerait en l’associant à l’invention du terme « cimarrón ». Le monte est l’écosystème où se trouve le village marron, le palenque, kilombo. Or, pour saisir toute la portée anticoloniale du monte durant cette période d’esclavage et de traite, il faut rappeler que la connaissance intime du milieu forestier ou de certaines niches écologiques provient de l’expérience préalable en Afrique. Plusieurs esclavagisé-e-s africain-e-s ont été sociabilisé-e-s dans des écosystèmes qui ressemblent à ceux  à partir desquels ils et elles ont été déporté-e-s. En outre, certains cycles de l’activité esclavagiste ont parfois rassemblé des populations africaines issues d’aires culturelles proches dans les mêmes colonies espagnoles. Ce fut le cas des populations d’Afrique centrale déportées vers le Mexique ou vers la Colombie.

Deuxièmement, en lien avec cette dimension historique, le monte renvoie à un espace surnaturel ambivalent dans lequel se trouvent des entités et des forces capables de menacer ou de protéger l’être humain. Au sein de la religion afro-cubaine palo monte d’ascendance bantoue (Afrique centrale), le monte est l’endroit où le divin guérisseur trouve les éléments (herbes, feuilles) nécessaires à la guérison des malades. Dans les mambos (chants rituels) du palo monte, la brousse est le lieu de vie des génies et esprits. En Colombie, le monte constitue aussi un lieu d’initiation aux connaissances des guérisseurs et guérisseuses. Au sein de la Costa Chica, le monte est le lieu de vie du « double animal », de celui qui est considéré comme un « sorcier ». Dans ces communautés afro-mexicaines, certains individus possèderaient un « double » qui serait un « animal » et qui vivrait parallèlement dans le monte.

Par ailleurs, le monte a souvent été représenté dans certains discours européocentrés comme contraire aux valeurs de la civilisation. Il est vu comme le lieu d’une certaine irrationalité, d’une pensée rétrograde, d’une oralité à laquelle on ne peut se fier, de pratiques suspicieuses, d’une violence. À cela, il faut ajouter la constante racialisation du monte :  l’endroit des Noir-e-s. Dès l’époque coloniale, les colon-e-s observent, pour mieux les dénoncer, les pratiques de certaines communautés d’esclavagisé-e-s promptes à « entrer en brousse ».

Le monte apparaît comme une expérience du monde productrice de sens et de pratiques transversales aux communautés afro-descendantes en « Amérique Latine ». Bien qu’elle ne soit pas (encore?) théorisée comme une notion décoloniale, elle montre, par ses logiques empiriques et son articulation historique, qu’elle relève d’une perspective critique de la domination épistémique européocentrée. Le monte a une dimension décoloniale parce qu’il a été construit de manière subalterne, dans d’autres espaces, depuis l’époque coloniale ;   mais beaucoup des interprétations qui en sont faites ne saisissent qu’un de ses multiples versants.

Références

Aguirre Beltrán, Gonzalo. 1989. Cuijla. Esbozo etnográfico de un pueblo negro. México: Fondo de Cultura Económica.

Cabrera, Lydia. 1975. El monte, igbo finda, ewe, orisha, vititinfunda: notas sobre las religiones, la magia, las supersticiones y el folklore de los negros criollos y del pueblo de Cuba. Habana: Ediciones C.R.

Camacho, Juana et Restrepo, Eduardo (dir). 1999. De montes, ríos y ciudades: territorios e identidades de la gente negra en Colombia. Bogotá: Fundación Natura.

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