49 Globocentrisme

Claudia Bourguignon Rougier

 En 1998, Fernando Coronil écrivait dans un article sur la globalisation  :

De mon point de vue, il y a deux processus qui modifient la puissance impériale. On est passé « d’une position centrale en « Europe » ou en « Occident » à une position moins identifiable dans un « globe ». D’une part, la mondialisation néolibérale a homogénéisé et rendu abstraites diverses formes de « richesse », y compris la nature, devenue pour beaucoup de nations un avantage comparatif et une source de revenus des plus sûres; d’autre part, la déterritorialisation de l’« Europe » ou de « l’Occident » a entraîné leur re-territorialisation, dans la figure évasive du monde, phénomène moins visible, qui cache les réseaux financiers et politiques transnationaux, socialement concentrés mais diffus géographiquement, et intégrant les élites urbaines comme celles de la périphérie. Dans ce contexte, la montée en puissance de l’« Euroland » ne doit pas occulter son articulation étroite avec le « Dolarland ». La « transparence » exigée par les partisans du libre marché n’inclut pas la visibilité ou la responsabilité publique par rapport aux hiérarchies de commandement émergentes du pouvoir économique et politique mondial. (Coronil, 2000 : 62)

Il se fait l’écho des analyses du sous-commandant Marcos pour lequel ce processus est caractérisé par « la concentration de la richesse et répartition de la pauvreté; la mondialisation de l’exploitation; la migration et les guerres locales; la mondialisation de la finance, la généralisation de la criminalité et la transformation de l’État en un agent de répression sociale; l’apparition de « foyers de résistance » dont la force réside, au contraire, dans leur diversité et leur dispersion ». Et il reprend le terme de quatrième guerre mondiale qu’il emprunte au zapatiste. Marcos, effectivement, parle de troisième et quatrième guerre mondiale : s’il accepte l’interprétation de l’historiographie officielle sur les deux premières guerres mondiales comme conflits impériaux qui tournaient autour d’une redistribution des territoires et des aires d’influence des pouvoirs occidentaux, il rebaptise « troisième guerre mondiale » la Guerre froide, remarquant que ce fut une guerre très « chaude », qui coûta la vie à 23 millions de personnes dans 129 pays, et qui se produisit dans le tiers-monde. La quatrième guerre mondiale est la mondialisation néolibérale actuelle qui, selon Marcos, prend la vie d’un grand nombre de personnes soumises à une pauvreté et une marginalisation croissantes. Alors que la troisième guerre mondiale a été menée entre le capitalisme et le socialisme avec plus ou moins d’intensité dans des territoires du tiers-monde dispersés et localisés, la quatrième guerre mondiale implique un conflit entre les centres financiers métropolitains et les majorités du monde, et se déroule avec une intensité constante à l’échelle mondiale dans des espaces diffus et variables.

L’expression de « guerre mondiale » a l’avantage de dévoiler la violence qui se cache derrière l’euphémisation de la prédation, usurpation et la dépossession.

Coronil note également qu’avec le globocentrisme, le processus de disparition de l’État et des processus d’intégration sociale ont, parmi leurs conséquences, une recrudescence du racisme comme cela a pu se voir en 1999 au Vénézuela.

La globalisation libérale est la nouvelle forme de l’impérialisme.

À certains égards, nous pourrions considérer ce processus de répression comme une régression vers des formes coloniales de contrôle fondées sur l’exploitation des produits primaires et une main-d’œuvre peu coûteuse. Cependant, ce processus s’inscrit dans un cadre technologique et géopolitique qui transforme le mode d’exploitation de la nature et du travail.

Le mondocentrisme, en tant que modalité de l’occidentalisme, se réfère également aux pratiques de représentation impliquées dans l’assujettissement des populations non occidentales, mais dans ce cas leur assujettissement (ainsi que la subordination des secteurs subordonnés au sein de l’Occident) apparaît comme un effet de marché, plutôt que comme une conséquence d’un projet politique (occidental) délibéré. Contrairement à l’eurocentrisme, le globocentrisme exprime la domination persistante de l’Occident par des stratégies de représentation qui comprennent : 1) la dissolution de l’Occident dans le marché et sa cristallisation en nœuds de pouvoir financier et politique moins visibles mais plus concentrés; 2) l’atténuation des conflits culturels par l’intégration des cultures éloignées dans un espace mondial commun; et 3) le passage de l’altéralité à la subalternité comme mode dominant de l’instauration de différences culturelles. (Coronil, 2000 : 63)

Contrairement à d’autres stratégies de représentation occidentales qui mettent en évidence la différence entre l’Occident et les autres, la mondialisation néolibérale vend l’égalité et l’uniformité potentielles de tous les peuples et cultures.

Références

Coronil, Fernando. 2000. « Naturaleza del poscolonialismo : del eurocentrismo al globocentrismo ». Dans La colonialidad del saber : eurocentrismo y ciencias sociales. Perspectivas latinoamericanas. Sous la direction de Edgardo Lander, 53-67. Buenos Aires : CLACSO.
http://biblioteca.clacso.edu.ar/clacso/sur-sur/20100708044815/6_coronil.pdf

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