16 Yassir X.
Alice Demange
Yassir vient du nord du Maroc. Il est d’origine berbère.
Un départ réfléchi
Yassir est arrivé au Québec il y a maintenant six ans. Quitter son pays ne fut pas le résultat d’une décision hâtive, mais le fruit d’une réflexion longuement menée. Il pensa d’abord à rejoindre l’Europe. En effet, il connaissait déjà le continent pour y avoir effectué ses études, notamment en Belgique. Alors qu’il s’y trouvait, il fit une demande de CSQ (Certificat de Sélection du Québec) auprès du service d’immigration du Québec. Puis il revint au Maroc à la fin de ses études, car il a eu une opportunité de travail. Pendant ce temps, sa demande a été étudiée et on l’a convoqué pour une entrevue. Comme son emploi au Maroc était bon, il suspendit les démarches d’immigration. En parallèle, il se maria et eut une petite fille.
Avec le temps, Yassir commença à se lasser des conditions de vie du pays : appartenir à la classe moyenne était devenu un inconvénient pour son épanouissement. Yassir dénonçait les pratiques de « piston » qui gangrenaient le milieu du travail : il n’y avait aucune perspective d’évolution dans une entreprise car c’était toujours les « fils de » qui obtenaient les promotions. Aussi, même s’il avait réussi à s’insérer professionnellement, c’était le parcours du combattant. Il n’était pas toujours évident de faire des choix, tracer son parcours académique et par la suite professionnel. Les systèmes éducatifs et de santé ne cessaient de se dégrader. Il y avait également d’autres raisons comme le souhait du gouvernement de faire fluctuer la monnaie, ce qui aurait comme conséquence une inflation galopante et donc une diminution du pouvoir d’achat. À long terme, cela lui aurait coûté cher d’envoyer ses enfants faire leurs études dans un autre pays. Ne voulant pas faire laisser ses enfants faire cette amère expérience un jour, Yassir décida de quitter le Maroc. Yassir aimait également découvrir et voyager. Il restait cependant un point important : il fallait convaincre sa femme de quitter le pays, ce qu’elle finit par accepter.
En 2009, après deux ans en emploi, il reprit les démarches d’immigration. Au total, ce processus a mis environ deux ans et demi.
L’arrivée dans un nouveau pays, entre difficultés et découverte
Yassir arriva en février 2011, avec sa famille. Il a choisi le Canada, car c’est un pays d’immigration, « c’était à la mode de partir au Canada », avoua-t-il. Suite à des discussions avec ses amis, on lui avait conseillé d’aller dans d’autres provinces qui bougent plus, comme l’Alberta, car il y avait un taux de chômage assez élevé au Québec. Yassir décida d’aller en Alberta en passant par le Québec. Cependant, ses amis montréalais le persuadèrent de rester au Québec. À son arrivée à Montréal, ils furent accueillis par un ami, en attendant de trouver un logement. Ils profitèrent de ce temps pour acheter petit à petit le nécessaire, notamment des meubles. C’était l’hiver. Yassir et sa famille découvrirent la neige et achetèrent les équipements vestimentaires de circonstance.
Yassir fut frappé par le sourire des gens et par la qualité du service. « Dans la rue, les gens sont souriants, ce qui n’est pas le cas dans mon pays », dit-il.
Pour Yassir, les premiers mois et la découverte du pays furent très positifs. La langue d’abord fut un problème. Au téléphone pour les démarches administratives, il avait de la misère à comprendre ses interlocuteurs. Cependant, après quelques semaines, cela été réglé.
Le seul point négatif fut le troisième mois après leur arrivée, lorsque tout l’argent qu’il avait mis de côté fut utilisé. En prise avec des difficultés financières, il demanda de l’aide sociale en parallèle de sa recherche d’emploi. Au bout de six mois, il accepta un travail de manutention dans une compagnie de transport, tout en continuant de chercher un emploi dans son domaine, la finance. Des organismes d’aide à la recherche d’emploi le soutinrent dans ses démarches, mais cela n’aboutissait jamais. Yassir a donc abandonné son emploi et est revenu aux études en janvier 2013. Pour compléter ses compétences, il fit une AEC (Attestation d’Études Collégiales) en programmation web. Après un an et demi de formation, il se remit à chercher du travail dans ce domaine, mais les débouchés étaient peu nombreux. Il commença donc à faire du bénévolat pour le CITIM (Clef pour intégration au travail d’immigrants), auquel il proposa une refonte du site Internet.
En août 2015, Yassir déménagea dans la ville de Québec car sa femme s’était inscrite au cégep. Il se mit directement à la recherche d’emploi.
Dès son arrivée au Québec, Yassir passa plusieurs concours pour intégrer la fonction publique. Yassir obtint finalement un contrat permanent.
Des doutes qui s’installent
Yassir a connu un moment de doute quant à son avenir au Québec lorsque le Parti Québécois a gagné les élections et que Pauline Marois est devenue Première Ministre du Québec, en 2012. D’après lui, elle a voulu faire campagne « sur le dos des musulmans » à travers la Charte des valeurs québécoises. Les musulmans étaient alors devenus la cible des Québécois, des femmes voilées se faisaient agresser dans la rue. Comme plein d’autres musulmans, il a pensé à quitter le Québec car il ne supportait pas ces faits. Cependant, il a préféré rester et se mobiliser pour les élections suivantes afin que la situation soit meilleure. Ce fut le moment le plus difficile pour Yassir depuis qu’il est arrivé.
Yassir a surtout l’impression que la discrimination se fait à l’emploi. Il confie que « quand on voit ton nom, on met de côté ton CV, voire on le jette ».
Yassir a subi un cas de racisme une seule fois, depuis son arrivée. Il se trouvait dans le métro à Montréal avec un ami lorsqu’une personne leur a adressé des paroles désobligeantes du genre : « vous ne parlez même pas français, vous nous dérangez ». Yassir eut le sentiment leur présence le « dérangeait ». Il apprécia cependant que d’autres personnes les aient défendus.
Une adaptation progressive
Lorsque Yassir est arrivé à Montréal, il n’a connu aucune difficulté concernant la religion. En effet, Montréal étant une ville multiculturelle et cosmopolite, il s’y trouve de nombreuses mosquées. Yassir, de confession musulmane, trouvait facilement de la viande halal et plus globalement de la nourriture maghrébine, tandis qu’à Québec, il est plus compliqué de se procurer ces aliments.
Il vivait également dans un quartier ou il y avait beaucoup de Maghrébins, ce qui lui avait évité le dépaysement. Cependant, cette population connait un fort taux de chômage et en souffre. Cette négativité se transmettait et jouait énormément sur le moral de Yassir.
Les valeurs québécoises la plus appréciée par Yassir sont l’ouverture d’esprit, la joie de vivre et l’entraide institutionnelle qu’il peut y avoir, notamment à travers le bénévolat. « C’est quelque chose de très précieux » reconnait-il. À l’opposé, dans certains cas, Yassir trouve que les Québécois peuvent être très individualistes, un trait typique de la culture occidentale. Par exemple, il est choqué de voir que beaucoup d’aînés sont abandonnés, livrés à eux-mêmes et que personne ne les aide.
Ses impressions ont également évolué quant à sa perception des Québécois. Lors des moments difficiles, il avait une mauvaise impression d’eux, « comme s’ils [les] empêchaient de s’intégrer ». À partir du moment où il a trouvé un emploi, son impression a changé. Ses collègues l’aidèrent à bien s’intégrer et l’appuyèrent au moment de l’attentat de Québec en janvier 2017. Il a souligné leur forte sympathie.
À ce jour, Yassir est content de son emploi, il entretient de bonnes relations avec ses collègues. Évidemment, il pense toujours à son pays d’origine, le Maroc. Il considère le Maroc comme sa mère, à qui il porte un amour inconditionnel, et le Canada comme sa femme, car il l’a choisi mais l’aime tout autant.
Les Québécois face aux immigrants
Avec ses collègues, Yassir parle parfois du Maroc. Il constate une méconnaissance de son pays par les Québécois, nombreux à être surpris d’apprendre qu’il y a de la neige et des stations de ski. Pour eux, le Maroc est un grand désert avec du sable et des dunes.
Pour Yassir, les Québécois ne sont pas racistes, mais ils se font manipuler par les médias qui « désinforment » et donnent parfois une image négative de la population arabe. Yassir relève cependant les remarques de ses collègues qui lui disent que l’image donnée des musulmans dans les médias ne lui ressemble pas. Yassir pense également que les politiciens ont un rôle dans le maintien de ces préjugés, car ils tentent de jouer sur la division de la société pour gagner les élections.
À tous ces Québécois qui s’inquiètent de l’arrivée d’immigrants, Yassir conseille de s’ouvrir aux gens et de demander l’information à la source lorsqu’ils ont des questions (par exemple sur le port du voile) et non pas d’écouter les médias. Yassir insiste également sur la nécessité d’éliminer les préjugés que les Québécois ont à propos des immigrants, comme le fait qu’ils viennent uniquement pour bénéficier de l’aide sociale.
Yassir a plusieurs conseils destinés aux immigrants qui souhaitent joindre le Canada. Ils ont intérêt à bien s’informer avant d’arriver, notamment sur l’emploi, la culture et d’autres spécificités. Il existe par exemple des forums sur internet pour recueillir des informations. Il faut également être très bien préparé psychologiquement aux difficultés qu’il est possible de rencontrer. De plus, une fois arrivé, Yassir conseille de commencer à chercher un emploi très rapidement et de se tourner vers un organisme de recherche d’emploi pour être aidé dans ces démarches (entrevue fictive, adaptation du CV…). Pour finir, il faut « garder l’esprit positif et éviter les gens négatifs ».