27 Abdelkarim Karim

Jeanne Côté

Karim est un Berbère né en 1959 à Nador, une ville du nord du Maroc. Il immigra au Québec en 1982, après avoir étudié un an en Belgique. « Je cherchais une université francophone. Il y avait un bureau de l’Université Laval en Belgique, donc je me suis inscrit. J’ai rempli le dossier et j’ai été accepté ». Il partit donc seul étudier à l’Université Laval où il logeait dans les résidences étudiantes.

Le choc de l’arrivée

Avant son arrivée, Karim n’avait pas une grande connaissance du Québec. L’information étant beaucoup plus difficile d’accès à l’époque, tout ce qu’il savait de la province était que la langue parlée était le français. Il fut donc surpris par quelques aspects de la culture auxquels il ne s’était pas préparé. Évidemment, l’accent québécois fut un léger obstacle au début. Un exemple cocasse dont il se souvient est sa difficulté à comprendre lorsque les gens de son entourage et même ses professeurs à l’Université utilisaient l’expression « ou bedon » ou encore « y fait frette dehors ». Pour s’intégrer rapidement et pour s’habituer à l’accent, il a parlé avec le plus de Québécois possible. « Dans les résidences, j’allais voir les personnes qui étaient responsables des casiers postaux et j’allais tout le temps jaser avec eux pour vraiment apprendre ». En sortant de l’Université, comme il travaillait avec des jeunes du secondaire, il apprit aussi beaucoup de termes et d’expressions. Après quelques années, la langue québécoise n’eut plus de secrets pour lui.

Un aspect du Québec qu’il aime particulièrement est le climat si différent de celui du Maroc et même de la Belgique. « J’ai vécu l’hiver en Belgique, c’était humide et c’était un froid qui rentrait dans les os. Ici, j’ai trouvé ça super ». Il se souvient très bien de sa première neige au Québec : « La veille, tout était vert. Il a neigé durant la nuit. Je me suis réveillé le matin et tout était blanc. Je capotais. Je suis allé prendre des photos pour envoyer à ma famille. J’ai trouvé ça extraordinaire ».

Des valeurs différentes

Du côté des valeurs, il trouve qu’il y a une grosse différence entre la mentalité des gens qui vivent dans les grands centres comparativement à ceux qui habitent en région plus éloignée. En effet, il trouve que les habitants des régions du Québec ressemblent davantage aux Marocains dans leur manière de vivre en communauté, d’éduquer leurs enfants et dans les rôles sociaux. « Je trouve que dans les campagnes, les familles sont plus attachées, ça me faisait penser au Maroc. Dans les villes, on dirait que c’est l’individualisme qui règne ». Un véritable choc qu’il dit avoir vécu fut l’acceptation et l’accueil des Québécois.

Les Québécois voulaient apprendre à me connaître, ils voulaient être amis avec moi. J’ai trouvé ça super. Jamais je n’ai senti de racisme ici.

La discrimination

Karim avoue ne jamais avoir subi de discrimination dans les 35 dernières années. Il dit avoir uniquement vécu des situations d’exclusion lorsqu’il était en Europe.

La discrimination et le racisme, je les ai remarqués davantage en Belgique. J’ai vécu de la discrimination lorsque j’y étais étudiant, particulièrement par certains professeurs. J’étais considéré, avec mes compatriotes, comme une deuxième classe. Ça m’a frappé et c’est ce qui m’a poussé à partir.

Il a tout de même souligné que l’attitude générale des gens envers les Arabes et les musulmans a changé depuis l’attentat du 11 septembre 2001 à New York. Il avoue ne pas avoir senti de répercussion directe sur la vision que les gens avaient de lui en particulier, mais davantage sur les communautés arabe et musulmane en général.

Les gens généralisent aussi avec les médias, on associe les termes « arabe » et « musulman » avec « terroriste ». Pourtant, les gens qui sont allés au Maroc le savent, les Marocains sont contre le terrorisme à 200 % parce que ça leur fait mal à eux aussi.

Faire découvrir le Maroc aux Québécois

En 1999, alors qu’il avait un poste en enseignement, Karim eut l’idée d’organiser un voyage d’étudiants au Maroc avec des élèves de cinquième secondaire et des membres du personnel de son école. Il avait comme mission de partager sa culture avec des Québécois et de leur montrer le vrai visage du Maroc. À l’époque, il ne se doutait pas que ce voyage deviendrait une tradition et que plusieurs professeurs et membres du personnel de l’école  voudraient eux aussi découvrir cette région avec un Marocain d’origine comme accompagnateur.

Depuis 1999, il organise donc un voyage de dix jours au Maroc tous les deux ans pour permettre à des Québécois de découvrir cette partie du monde et de changer leur vision souvent biaisée de ses habitants. Il admet qu’il pourrait se contenter de tout organiser sans nécessairement y aller avec les gens inscrits, mais il tient à les accompagner dans leur expérience.

J’y vais surtout pour les sécuriser. S’il y a quoi que ce soit, je peux aider puisque je parle arabe. C’est pour ça qu’ils viennent aussi, parce que je suis là. C’est une sécurité supplémentaire.

Les plans qui changent

En immigrant au Québec en 1982, l’intention de départ de Karim était de faire son baccalauréat en mathématiques et de retourner au Maroc après sa graduation. Évidemment, il rencontra des imprévus durant son séjour au Québec. Premièrement, il décida de continuer son cheminement scolaire au baccalauréat en enseignement secondaire après avoir complété 60 crédits au baccalauréat en mathématiques, ce qui rallongea sa période d’études. Deuxièmement, non seulement tomba-t-il en amour avec le Québec, mais il s’éprit aussi d’une Québécoise qui étudiait à l’Université Laval. C’est alors qu’il prit la décision de rester au Québec et de s’y établir de manière permanente. La jeune femme dont il tomba amoureux durant ses études est aujourd’hui sa femme et la mère de ses deux enfants. Durant ses 35 ans années au Québec, jamais il ne regretta sa décision d’être resté pour fonder sa famille et entamer sa carrière.

Un conseil pour les nouveaux immigrants

S’il pouvait parler aux nouveaux arrivants qui cherchent à bien s’intégrer au Québec, il leur expliquerait l’importance de vivre et laisser vivre.

Quand les immigrants arrivent, ils ne doivent pas imposer leur culture aux autres. Il faut respecter la majorité. C’est en imposant notre culture aux autres qu’on attise la haine. S’ils respectent la majorité, la majorité aussi va les respecter.

Cette manière de penser est probablement l’une des raisons pour lesquelles il n’a jamais vécu de discrimination au Québec et pourquoi il s’est si facilement intégré dans la société. Il ajouta que le secret de l’intégration est la tolérance.

Ce n’est pas qu’aux Québécois de nous tolérer, nous aussi on doit les tolérer. Il faut accepter le Québec comme il est si on veut être aimé, respecté et bien reçu.

Le Québec comme nouvelle identité

Karim dit retourner au Maroc presque chaque été pour visiter sa famille et ses amis, mais n’y retournerait pas pour y vivre de manière permanente. « Ma famille, je l’ai fondée ici. Ma vie est ici. Je suis content quand je vais au Maroc, mais j’ai vite hâte de retourner dans mes affaires ». Bien qu’il ait encore des amis dans son pays natal, il trouve que ces amitiés ont changé avec le temps. « Je ne sais pas si c’est eux qui ont changé ou si c’est moi, mais la mentalité est différente. En fait, je pense que c’est moi qui ai changé, parce que je me suis intégré ici. J’ai la mentalité d’un Québécois et il y a des choses au Maroc qui ne me rejoignent plus ». Après avoir vécu la majorité de sa vie ici, Karim dit être plus attaché au Québec qu’au Maroc, sans toutefois renier ses origines.

Je suis immigrant, mais je ne me considère pas comme un immigrant. Je me considère davantage comme un Québécois, puisque j’ai passé ma vie ici.

Crédit : Abdelkarim Karim

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