41 Nadia Tawbi

Mélanie Dion

Enfant de la guerre

Dans les années 1970, une jeune fille aux cheveux et yeux de couleur marron vivait dans une famille de huit enfants au Liban. Sa vie a été complètement chamboulée lorsque la guerre civile a éclaté. Le conflit a rapidement changé le rythme de vie des habitants du pays. Les bruits des bombardements constituaient désormais la trame de fond de leur quotidien. La guerre teintait ainsi graduellement la vie de chacun.

Pour les jeunes étudiants, certaines précautions devaient être prises. « On étudiait pendant les trêves et on se cachait chez nous quand il y avait des bombardements », raconte Nadia Tawbi. C’est dans ces circonstances qu’elle termina ses années d’étude du cycle secondaire. À l’âge de 17 ans, elle commença à travailler à temps plein. À cette époque, sa vie se résumait à travailler le jour et étudier le soir.

Je suis rentrée à l’université à 17 ans avec la lumière de la chandelle et les bombes en musique de fond. C’est ça, la représentation de mes études.

Elle avait le désir de poursuivre ses études. Cependant, son pays n’offrait pas la possibilité de faire un doctorat à l’époque. Nadia s’est ainsi mise à redoubler d’efforts. « Il fallait que j’obtienne une bourse pour pouvoir compléter mes études. Je m’étais donc mise à travailler très fort. Je ne faisais rien en dehors de manger, dormir, travailler et étudier. »

Le départ pour la France

En 1983, Nadia obtint une bourse du gouvernement français. Elle prit alors la décision de quitter le Liban pour aller poursuivre ses études en France. Cependant, il lui était impossible de faire le voyage en avion puisque l’aéroport était fermé en raison de la guerre.  Elle a dû prendre le bateau jusqu’à Chypre pour être en mesure de continuer vers la France.

Malgré la guerre qui faisait rage dans son pays d’origine, Nadia n’avait pas l’intention de quitter définitivement.

J’ai quitté le pays dans l’espoir de revenir. Je voulais devenir professeure à l’université là-bas, je voulais y travailler.

C’est donc avec plein d’espoir que Nadia quitta le Liban dans le but de compléter son diplôme d’ingénieure en France.

Au même moment, elle commença à travailler à temps complet pour le centre de recherche de Bull SA en France. Au fil du temps, l’idée de revenir au Liban commençait à s’estomper.

Petit à petit, je ne voulais plus rentrer dans un pays en guerre où, pour trouver un emploi, je devais connaître telle ou telle autre personne. Le pays ne fonctionnait pas bien à cause de la guerre, donc, je ne suis pas rentrée.

Vers un Québec enneigé et froid

Après l’obtention de son doctorat, elle souhaitait revenir à l’enseignement. « Durant mes études doctorales, j’ai fait un peu de charges d’enseignement et j’aimais ça. J’ai donc commencé à postuler partout. J’ai postulé au poste de maître de conférences partout en France, en Australie, puis au Québec et on m’a convoquée pour une entrevue à l’Université Laval », expliqua-t-elle.

C’est donc après treize années à Paris qu’elle décida de traverser l’océan afin de venir s’installer à Québec. « Je suis arrivée ici au mois de février. J’ai eu froid. Je ne sortais pas, je restais à l’intérieur et je commandais des pizzas. J’avais si froid, je voyais la neige dans les rues et je me mettais à trembler », raconta-t-elle avec un air amusé.

L’ouverture des Québécois

Malgré l’obtention de son poste à Québec, elle n’avait pas nécessairement l’idée de résider sur le territoire québécois bien longtemps. « Au début, j’avais juste une envie, c’était de revenir en France. J’avais tous mes amis, une partie de ma jeunesse là-bas. » Toutefois, son intention initiale a évolué au fil du temps en raison de la convivialité des Québécois. « La gentillesse des gens a pris le dessus. Les gens ici sont gentils. C’est-à-dire, il y a beaucoup de convivialité. On marche dans la rue, les gens sourient, ils ne sont pas agressifs. La qualité de vie que j’ai ici, je ne l’aurais nulle part ailleurs. Donc, je ne voulais plus rentrer », s’exprima-t-elle avec un sourire au visage. Avec les années, Nadia est tombée sous le charme de la ville.

Ce que j’aime de la ville de Québec, c’est que c’est une ville de taille humaine. Dans les grandes villes comme Paris ou New York, les gens n’ont pas le temps de se dire bonjour. On monte dans le métro, on est fatigué… Ici, c’est différent.

Un environnement paisible

La transition d’un pays à un autre n’est pas toujours une étape facile. Cependant, au tout début, lorsque Nadia a déposé sa valise à Paris, la transition était plus simple puisqu’elle habitait dans une résidence d’étudiants. « Une résidence d’étudiants, c’est comme un micro-cosmos. C’est différent de tout le reste. Moi, j’ai eu la chance d’avoir des amis de toutes les nationalités avec qui je garde encore des contacts aujourd’hui. Alors ça, ça facilite la transition », expliqua-t-elle.

Étant une fille de la guerre, le changement d’environnement a été marquant.

L’environnement de mon pays d’origine était une prison. Alors, je m’en suis allée à Paris, la ville des lumières et des cultures. J’étais étudiante, je sortais avec des amis, je respirais la culture et j’en mangeais.

« Vous ne pouvez pas imaginer la chance qu’on a ici de vivre dans un pays en paix. C’est réellement une chance », continua-t-elle. Cette paix sociale est réellement un enjeu important aux yeux de Nadia Tawbi.

Vous avez un joyau qui s’appelle la paix. Donc, goûtez-y et conservez-le. On veut la paix, la paix sociale, la paix avec les autres, le bien-vivre ensemble. C’est ce qu’on veut, ce qu’on souhaite pour ici, que ça reste longtemps comme ça et que ce ne soit pas entaché de problèmes.

Le « nous » du Québec

Malgré toute la bonne volonté des habitants d’un pays en paix, il peut toujours se présenter des événements qui rappellent que cette quiétude est fragile. L’attentat survenu le 29 janvier 2017 dans une mosquée de Québec est un événement qui a laissé tout le monde sous le choc et sans mots. À la suite de ce drame, de nombreux voisins de Nadia ont frappé à sa porte pour lui témoigner leur affection et tous ses collègues sont venus la voir pour lui dire qu’ils l’aimaient. C’est avec émotion qu’elle se remémore ces moments d’un passé pas si lointain.

Avec son parcours de vie et ses expériences passées, Nadia souhaite transmettre un message afin de favoriser le vivre ensemble dans la société.

N’abandonnez jamais l’esprit critique. N’élevez pas vos enfants dans la haine. Il faut plutôt miser sur l’esprit critique et l’ouverture du cœur, l’humanisme. On a beaucoup plus de choses en commun que de choses qui nous différencient. Il faut mettre l’accent sur ce qui nous rassemble. Tout cela dans le but d’élargir le nous. Il faut éviter de le réduire ou de le restreindre, le nous doit être large.

Ce malheureux événement de janvier 2017 a soulevé différents débats sur la présence des musulmans et la radicalisation au Québec. C’est avec émotion qu’elle conclut en mentionnant : « Tout ce qui s’est passé ici après le 29 janvier, les politiciens qui ont oublié leurs différences politiques et qui se sont exprimés pour dire aux musulmans « on ne vous considère pas tous comme ça, on ne vous haït pas, on vous aime », c’est ça le Québec que j’aime, le nous que j’aime. »

Nous devons tous nous mobiliser contre l’extrémisme, contre les préjugés, les sentiments haineux envers ceux que nous ne connaissons pas ou que nous jugeons différents, nous devons prôner l’ouverture. La responsabilité de faire des efforts incombe aux nouveaux arrivés ainsi qu’à ceux qui les reçoivent. Nos efforts porteront certainement fruit, comme des graines qui fleuriront plus tard.

Crédit : Université Laval

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