3 Saoussene X.

Marie-Eve Desgagné

Au Maroc, les jeunes n’envisagent pas leur avenir sous de meilleurs auspices. En effet, malgré leur niveau d’éducation suffisamment élevé, ils ont de la difficulté à trouver un emploi correspondant à leur longues études et, pour celles et ceux qui y parviennent, les conditions de travail sont parfois difficiles. Il n’existe pas non plus de classe moyenne au Maroc. Il y a d’un côté les riches et, de l’autre, les pauvres. Ne trouvant pas de repères dans ce modèle de société, c’est son père qui entreprit les démarches d’immigration au Canada.

Pour le père de Saoussene, le choix du Canada tenait à son expérience de voyageur. Ainsi, il considérait l’Europe comme déjà trop saturée pour être une terre d’opportunités. Le Canada était pour lui un pays grand, propre et vert. Comme il enseignait la physiologie végétale et était passionné des grands espaces verts, cela avait tout pour lui plaire. Également, il avait des amis marocains établis à Québec qui avaient de très belles conditions de vie. En 2001, il se fit offrir un contrat d’auxiliaire d’enseignement à l’Université Laval par le professeur Khaled Belkacemi, un ancien collègue marocain qui est malheureusement décédé lors de l’attentat à la mosquée en janvier 2017.

Souhaitant un avenir radieux pour leurs deux filles, ses parents choisirent ainsi de partir pour le Canada et leur point de chute fut le Québec.

L’arrivée à Québec

La famille s’installa à Québec en mars 2001, bien avertie du froid de l’hiver québécois et préparée à l’affronter. Sa mère, connaissant un peu la couture, avait même confectionné des vêtements chauds pour toute sa petite famille. Le choc climatique fut toutefois moins brutal que ce à quoi ils s’attendaient.

Après avoir subi des tests pour vérifier ses acquis, Saoussene entra en première année de l’école primaire. Pendant un an, son père fit des allers-retours entre son pays natal et son pays adoptif pour des raisons professionnelles, n’ayant toujours pas donné sa démission de son emploi au Maroc. Pendant ce temps, le reste de la famille demeura à Québec avec le statut de visiteurs. C’était en quelque sorte une année test. Mais après un an, ce fut clair pour tout le monde que la qualité de vie était largement meilleure au Canada qu’au Maroc. C’est à ce moment que son père prit sa retraite de l’enseignement au Maroc et décida de s’installer de façon permanente à Québec.

Un départ difficile

Saoussene ne le cache pas, leurs premières années ici furent plutôt difficiles. Même si ses parents parlaient très bien français, ils eurent beaucoup de difficultés à s’habituer au fameux accent québécois. Financièrement, ils y arrivaient, mais ne roulaient pas sur l’or. Même si son père travaillait au Maroc en même temps qu’ici, la valeur du dirham marocain était très basse lorsque converti au dollar canadien. Sa mère resta d’abord à la maison pour s’occuper des enfants. Elle mit au monde un troisième enfant en 2002, le seul fils. Oui, ils recevaient des allocations gouvernementales, mais celles-ci ne suffisaient pas à subvenir aux besoins de la famille. Une fois son contrat à l’Université Laval terminé et sa retraite au Maroc prise, le père de famille eut beaucoup de difficulté à se trouver un emploi. Ses diplômes étaient reconnus, mais on lui demandait quand même d’obtenir un baccalauréat en français pour pouvoir enseigner ici. Il entama donc son baccalauréat qu’il abandonna quelques années plus tard afin d’ouvrir un restaurant avec un ami marocain. Son épouse se vit obligée de refaire des cours complémentaires pour pouvoir, elle aussi, pratiquer comme infirmière au Québec. Elle réalisa que cette profession, qui était considérée comme vulgaire au Maroc, était plutôt valorisée au Canada et qu’elle demandait un niveau de scolarité assez élevé. Pour toutes ces raisons, elle prit la décision de faire son baccalauréat en sciences infirmières à l’Université Laval. Le fait qu’ils avaient des amis ici les a beaucoup aidés à s’intégrer.

Se faire accepter quand on est un « étranger »

De son côté, Saoussene connut également quelques déboires à l’école. Pour ce qui est des notes, tout allait bien. Par contre, le fait d’être arrivée dans sa classe vers la fin de l’année n’était pas à son avantage. Au primaire, se faire ignorer par ses pairs l’affectait beaucoup. Elle était une étrangère parmi les enfants qui se connaissaient déjà tous. Elle se souvient qu’elle n’avait qu’une ou deux amies au début. « Je sais que je ressentais une différence ». Elle se remémore quelques petites remarques moqueuses à son endroit et de petits rires lorsqu’elle passait. Heureusement, il y avait des rapports de solidarité et d’entraide entre les enfants issus de minorités dans son école. C’est dans ce cadre qu’elle se fit une amie marocaine et une amie tunisienne, ce qui l’a énormément aidée à surmonter cette situation. Elle s’était aussi liée d’amitié avec une Haïtienne dont elle se sentait proche parce qu’elles vivaient toutes les deux les mêmes choses. À son avis, ses enseignants ne réalisaient même pas que les autres enfants étaient méchants à leur égard. Il aurait été important de faire de la sensibilisation chez les jeunes du primaire. Heureusement, la situation s’améliora énormément à l’école secondaire.

La mère de Saoussene aussi a connu quelques désagréments en raison de son appartenance à une minorité visible. Après son baccalauréat en sciences infirmières, elle fut engagée comme infirmière. En juin 2015, elle termina sa 3e maîtrise, cette fois en développement des organisations dans un contexte de programme de la relève des cadres. En effet, en arrivant au Canada, elle avait déjà une maîtrise en agrochimie, ainsi qu’un MBA en gestion pharmaceutique et système de santé. Habituellement, les finissants de ce MBA obtiennent de l’aide pour se placer comme cadre, mais deux ans plus tard, elle œuvre toujours comme infirmière. Saoussene me parle d’un certain plafond de verre : « Ce n’est pas le plafond parce que tu es une femme, mais c’est le plafond parce que tu es une minorité visible ». C’est plus difficile de faire ses preuves quand on est une minorité visible, « c’est un combat de tous les jours », me dit-elle.

Être arabe à Québec en 2017

Aujourd’hui, la famille possède un restaurant. À leur restaurant, les clients ont beaucoup de question sur les recettes et sur le Maroc. Le père de Saoussene, grand bavard, est toujours ravi d’en apprendre aux gens sur son pays. De cette façon, la famille contribue à sa manière à éduquer les gens sur le Maroc et sur l’islam et à défaire les préjugés. Ce que la plupart des gens ne savent pas, c’est que la religion n’est pas aussi présente dans la vie des Marocains qu’on pourrait le penser. Elle prend surtout de la place au sein de la culture marocaine. En tant que québécoise de confession musulmane en Occident, c’est une religion qui se vit au quotidien de manière complexe si on désire la pratiquer à 100 %. En soi, la religion la comble parfaitement, mais c’est plutôt sa pratique au Québec qui reste un art puisqu’il faut expliquer à l’entourage certains choix, certaines fêtes, etc. D’autant plus qu’il y a énormément d’amalgames avec des événements qui surviennent partout dans le monde, ce qui rend la tâche plus désagréable.

Mais il est faux de croire que cette religion est très patriarcale et sévère. Elle me lance même à la blague que son père n’est pas sévère du tout, « il a un grand esprit de tolérance et d’ouverture »! Bref, il y a beaucoup d’ignorance sur son pays et sur sa religion. Selon elle, les médias encouragent une image négative de l’islam. Par exemple, le mot « djihad » signifie « lutte », « effort (pour aller vers le bien) ». On pourrait faire la lutte pour l’amour. Ça ne devrait pas être une terminologie péjorative telle que présentée par les médias. Aujourd’hui étudiante en relations industrielles à l’Université Laval, Saoussene encourage les gens à poser des questions pour combattre l’ignorance et les préjugés. Lorsqu’on évoqua l’attentat de Québec, elle me dit, le cœur ouvert, qu’il « faut en parler ». C’est ainsi qu’elle expliqua comment la tuerie de Québec a touché sa communauté. Elle me parla avec émotion du boucher que tout le monde connaissait et du professeur décédé, car il s’agissait de Khaled Belkacemi, celui-là même qui avait trouvé le premier emploi à son père au Canada et grâce à qui ils purent immigrer au Canada. L’entraide au sein de la communauté arabe de Québec est palpable et ces événements tragiques sont venus resserrer davantage ces liens. Saoussene croit qu’ils ont également réveillé les consciences. Sa famille et elle ont ressenti une belle vague de soutien à la suite des événements.

Regard sur le Québec

Même si elle a passé la plus grande majorité de sa vie au Québec, Saoussene est toujours très attachée à son pays natal. Elle s’informe beaucoup sur l’actualité marocaine et est en contact constant avec les nombreux membres de sa famille via l’application WhatsApp. Elle parle avec ses grands-parents aux deux semaines, ce qui lui fait pratiquer son arabe. Avec ses parents, son frère et sa sœur, ils essaient de retourner au Maroc à tous les deux ou trois ans, mais le transport pour s’y rendre coûte très cher. À l’inverse, des membres de sa famille en provenance du Maroc, des États-Unis ou de France viennent passer des vacances chez eux chaque été.

En discutant avec Saoussene, on réalise rapidement l’importance qu’a la famille dans sa culture. Lorsque je la questionne sur les valeurs québécoises, elle me parle tout de suite du respect. Malgré les quelques accrochages que sa famille et elle ont vécus, elle dit que le respect est présent partout ici, que ce soit au niveau des institutions, des écoles, du travail, de l’épicerie, de la route ou dans les transports en commun. Le respect des femmes est important ici, ainsi que le respect de la diversité. Elle se souvient de professeurs qui ont fait attention pour trouver des substituts au porc pour elle lors d’activités scolaires. Elle me parle également de l’honnêteté, de la transparence et de l’assiduité traditionnelle québécoise. Sans me nommer des valeurs qu’elle aime moins, elle croit qu’il y a toujours du progrès à faire, surtout concernant la diversité. Il faudrait que l’ouverture d’esprit des Québécois s’applique de façon plus concrète au quotidien. Selon elle, tout ce qu’il faut, c’est de la sensibilisation, mais surtout, du temps.

Photo du Maroc. Crédit : Saoussene X.

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