34 Najia X.

Priscilla Tremblay

Au premier abord, Najia me semblait plutôt réservée. Puis, petit à petit, elle prit la conversation en main, enchaînant avec entrain. Par ailleurs, son langage non-verbal indiquait qu’elle était enchantée de raconter son histoire. Il ne faut pas toujours s’empêcher de poser des questions sur le passé de ceux qui nous entourent, de peur de les agacer. Et si, au contraire, ça leur faisait plaisir?

Décision de partir

Najia grandit dans la capitale du Maroc : Rabat. Âgée d’une soixantaine d’années, elle y vécut la majeure partie de sa vie et y habite encore épisodiquement. Effectivement, il est important de mentionner que cette femme d’origine marocaine ne détient pas la citoyenneté canadienne, mais possède plutôt un visa canadien pour « résidents temporaires », qu’elle renouvelle à chaque année. Ainsi, chaque six mois, elle doit quitter le Québec afin de retourner au Maroc, et inversement.

Mais pourquoi faire tous ces va-et-vient au lieu de s’établir pour de bon à l’une ou l’autre place? Tout simplement parce que Najia veut passer du temps de qualité avec ses filles qui habitent à Québec depuis maintenant une vingtaine d’années, sans renoncer à son pays. En effet, ses enfants sont venus habiter à Québec dans le cadre de leurs études universitaires. À l’époque, en 1995, cette décision de partir avait été fortement influencée par Najia elle-même, car elle voulait que ses filles puissent bénéficier d’études supérieures d’une excellente qualité. Effectivement, le système scolaire québécois était bien reconnu au Maroc. Par ailleurs, comme son frère habitait déjà à Québec, il était plus facile de valider le fondement de ces propos : c’était rassurant. À partir de 1995, Najia adopta un nouveau mode de vie pour assurer un avenir prometteur à ses filles.

Arrivée et adaptation à la vie québécoise

Lors de son arrivée, Najia ne fut pas déçue par la propreté de la ville de Québec, sans compter le sentiment de sécurité qui y était rattaché. Les rumeurs étaient bel et bien fondées : il semblait bon vivre dans cette ville.

Tout au long de sa vie, Najia enseigna le français à de jeunes élèves du primaire. Ainsi, Najia ne croyait pas que la langue serait une embûche à son adaptation, mais elle eut quelques difficultés avec l’accent québécois.

Même s’ils parlaient français, par moment j’avais l’impression qu’il s’agissait d’une tout autre langue. Que ce soit parce qu’ils parlaient trop vite, parce qu’ils utilisaient des expressions que je ne connaissais pas ou bien parce qu’ils raccourcissaient les mots, je n’y comprenais presque rien!

Dans le même ordre d’idées, elle trouva qu’il y avait de nombreuses différences entre les cultures québécoise et marocaine. Pouvant sembler anodines, ces distinctions étaient flagrantes aux yeux de cette nouvelle venue et pouvaient parfois même être choquantes. Notamment, la façon d’être des Québécois était beaucoup plus froide que celle des Marocains.

Je marchais tranquillement dans la rue et j’ai croisé une inconnue qui marchait dans le sens contraire. Par habitude, je l’ai saluée. Eh bien, croyez-le ou non, elle m’a totalement ignorée! J’étais tellement offensée, qu’une fois à la maison, j’en ai parlé à ma fille! Je n’en revenais pas, quel manque de savoir-vivre! C’est là que ma fille m’a expliquée qu’au Québec les gens n’ont pas l’habitude de saluer les gens qu’ils ne connaissent pas, et surtout pas d’entamer une conversation avec eux. C’est plutôt l’inverse qui est considéré comme bizarre.

À Rabat, Najia avait l’habitude de saluer les inconnus et, par le fait même, de s’informer de leur santé, en plus de leur demander comment allaient leurs proches. Il faut préciser que Najia n’était pas l’exception à la règle. Au contraire, c’est coutume pour quiconque du Maroc d’agir de la sorte, c’est une forme de politesse.

Dans le but de lui faire vivre « le moment Québec » de fond en comble, à son arrivée, la première chose que ses enfants lui ont fait goûter fut la poutine de chez Ashton. Elle s’en souvient comme si c’était hier. Non pas parce que son repas était savoureux, mais bien parce que c’était simple et plutôt décevant! Selon elle, les plats représentant une population se doivent d’en projeter une image positive, ce qui n’était pas le cas des frites molles avec une sauce brune et du fromage. La cuisine épicée et colorée des Marocains répond mieux à ses critères, avec ses plats généralement très goûteux.

Parallèlement, toujours en lien avec les habitudes de vie, voici une autre découverte de Najia : l’heure du souper. À Québec, la norme est de souper aux alentours de 18 h. Donc, en majorité, les Québécois ne soupent pas à 21 h comme au Maroc. Il a donc fallu qu’elle s’adapte à ce mode de vie, car il n’était pas question qu’elle soupe toute seule à 21 h!

La religion comme héritage

Najia se considérait comme une personne modérément pratiquante. En effet, elle n’allait que rarement à la mosquée et portait peu le voile. Cela dit, elle ne mangeait pas de porc et ne buvait pas d’alcool. Encore aujourd’hui, elle garde ces mêmes habitudes. Cela peut sembler anodin; pourtant, aux yeux de quelques Québécois, c’est loin d’être le cas. Certains Québécois ont peur de l’Islam et confondent cette religion avec l’État Islamique (organisation terroriste extrémiste, militaire et politique), ce qui est déplorable.

Najia clarifie le fait qu’elle n’est en aucun cas obligée de porter le voile, contrairement à ce que plusieurs Québécois croient. Elle précise que ce vêtement est symbolique d’un point de vue religieux et qu’il ne s’agit pas d’une quelconque forme de soumission. Évidemment, dans un pays extrémiste tel que l’Irak, ce n’est pas pareil.

Tant qu’à moi, la mode des jeunes québécois qui portent une tuque l’été est beaucoup plus ridicule qu’une femme qui couvre ses cheveux pour ses croyances!

Faire sa vie à Québec

Najia parle couramment le « québécois ». À première vue, cet apprentissage semblait être un énorme défi, mais comme la majorité des immigrants, elle y est arrivée avec le temps et la pratique.

Elle apprécie toujours les moments qu’elle passe à Québec, surtout depuis le décès de son mari. En effet, comme celui-ci est décédé il y a une dizaine d’années, être à Québec lui permet d’être entourée de sa famille mi-marocaine mi-québécoise, plutôt que d’être laissée seule à elle-même. À vrai dire, elle est émotive lorsqu’elle pense au fait qu’elle a souvent la chance, ici, de cuisiner et de manger en compagnie des gens qu’elle aime, comparativement au Maroc, où elle soupe seule.

La seule raison pour laquelle je ne vie pas à Québec en permanence, c’est parce qu’il fait beaucoup trop froid l’hiver! Et je n’aime pas porter un équipement de pingouin pour sortir dehors : porter une tuque me décoiffe et je déteste ça, parce que j’adore avoir des beaux cheveux.

Vue à l’arrière de la maison de Najia, à Rabat, par l’un de ses petits-fils.

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