26 Sophie X.
Roxanne Tremblay
Arrivée au Canada
Sophie a immigré à Québec il y a de cela 34 ans. « Ma mère était déjà ici », explique-t-elle. La mère de Sophie avait été parrainée par une famille de Québécois ayant vécu au Maroc pendant quelques temps et pour laquelle elle avait travaillé comme gouvernante, s’occupant des enfants et de tout ce qui avait trait au bon fonctionnement de la maison. Sophie raconte que lorsque cette famille revint au Canada, les enfants, très attachés à leur gouvernante, se révoltèrent contre leurs parents et refusèrent de retourner dans leur pays natal à moins que la mère de Sophie les accompagne. Elle fut donc parrainée par la famille, ce qui lui permit de s’installer à Québec. « Je l’ai rejointe un an plus tard avec mon grand frère », explique Sophie. Son frère et elle s’envolèrent du Maroc et firent une escale à New York avant de repartir pour Montréal. Sophie se souvient avec amusement de son escale à l’aéroport JFK : « Mon frère m’avait perdue, il ne savait plus où j’étais… On peut dire que la dame qui devait nous escorter nous a ensuite surveillés de près après qu’ils m’aient retrouvée! ».
Cependant, Sophie était malheureuse lors de son arrivée au Canada. Elle avait vécu plusieurs années en France avec son père avant de revenir au Maroc.
Je commençais à m’habituer au Maroc, donc quitter mes amis pour repartir et m’installer ici où je n’avais personne… C’était très difficile.
Sophie raconte le choc culturel qu’elle vécut alors, non seulement sur le plan de la langue, puisqu’elle s’était habituée au français de France, mais aussi sur le plan de la nourriture. Comme sa « relation avec le brocoli », lâche-t-elle en riant.
Au Maroc, ça n’existe pas, le brocoli. Les poivrons étaient toujours grillés, jamais on ne les mangeait crus. Même le céleri a un goût différent de celui du Québec; j’étais habituée à son goût plus prononcé.
Sophie fut particulièrement marquée par son arrivée dans la ville de Québec. Elle remarqua tout de suite que les rues étaient désertes : « C’était comme dans les films de cowboy, juste avant une bataille. Il n’y a personne… Seulement une botte de foin qui flotte au vent! ».
Elle ne put s’empêcher de comparer la haute-ville de Québec avec son pays natal et avec la France. En effet, le grand manque d’achalandage dans les rues la déstabilisa et la fit se sentir bien seule. Heureusement, l’été arrivait à grands pas et la période du Festival d’été de Québec permit à Sophie de sortir de chez elle et de découvrir la ville de manière plus positive cette fois. Entre temps, elle s’était fait quelques amis, notamment des voisins qu’elle côtoyait et qui comprenaient sa situation, eux qui étaient également immigrants.
Même si l’été prit une tournure plus agréable, la rentrée scolaire affecta beaucoup Sophie. Elle raconte qu’à l’époque, on pouvait compter sur les doigts d’une main le nombre d’élèves immigrants dans son école. Elle fut donc victime de la peur et de l’ignorance de ses camarades. Sophie ne cache pas avoir vécu de la discrimination : les différentes injustices qu’elle subissait eurent même un impact sur ses résultats académiques. C’est pourquoi elle décida de changer d’école. Sa vie prit alors un tournant différent : Sophie choisit de s’impliquer au sein de la vie étudiante. En plus de jouer au soccer, son implication lui permit de rencontrer des gens et de s’occuper, en plus de contribuer à la communauté étudiante. Un ami québécois marqua particulièrement Sophie. Leur relation était précieuse : étonnée par cette amitié authentique, par rapport aux rejets qu’elle avait subis dans le passé, Sophie lui demanda un jour pourquoi il était ami avec elle. Il lui répondit que son origine ne représentait pas un obstacle pour lui, car il l’appréciait pour ce qu’elle était.
L’âge adulte
Après l’école secondaire, Sophie décida de laisser les études de côté pour travailler. En effet, ayant atteint l’âge de 16 ans, elle n’avait plus l’obligation d’aller à l’école et pouvait donc faire ce qu’elle désirait. C’est pourquoi elle déménagea à Montréal pour un an, avant de faire le grand saut vers Toronto l’année suivante, afin d’apprendre l’anglais. À la suite de ces séjours, Sophie constata le manque d’ouverture des habitants de la ville de Québec en comparaison avec Montréal, par exemple. Elle avait l’impression qu’il était plus difficile de s’y intégrer. Plusieurs facteurs pouvaient en être la cause selon elle, notamment la population, mais aussi l’immigration. En effet, la métropole accueille aujourd’hui encore bien plus de nouveaux arrivants que Québec.
À Montréal, les gens ne s’en font pas avec tes origines, la couleur de ta peau ou la langue que tu parles.
Ce qui la fit revenir à Québec, c’est sa mère qui y demeurait toujours.
À son retour, elle épousa un homme d’origine marocaine. Ce fut un mariage court à la suite duquel elle occupa plusieurs emplois. Son préféré fut un poste d’aide aux touristes et immigrants. En effet, celle qui adorait s’impliquer dans sa communauté avait trouvé un emploi qui lui plaisait vraiment et qui la passionnait. Aujourd’hui fonctionnaire fédérale, elle s’assure de mettre de l’avant ses valeurs à travers son activité professionnelle, d’abord en s’impliquant dans le syndicat, mais aussi avec la mise en place d’un comité qui permet aux employés de son département d’être en contact avec d’autres cultures. D’ailleurs, elle défend non seulement l’égalité entre les cultures, mais aussi l’égalité homme-femme. Selon Sophie, la discrimination, le racisme et les préjugés sont, la plupart du temps, des conséquences du manque d’éducation et de la peur qui en découle.
Une femme forte
En tant qu’immigrante, elle trouve important d’affronter directement les discriminations, de ne pas se laisser faire. Sophie dit qu’elle aurait pu décider de ne pas de s’impliquer dans son milieu scolaire ou dans son milieu de travail, par facilité. « Mais les portes, je les ouvre », affirme-t-elle. Lorsqu’on lui demande ce qu’elle pense des gens qui sont plus fermés d’esprit par rapport à ses origines et à sa culture, Sophie s’oblige à ne pas leur donner raison. C’est ce qui la motive à travailler d’arrache-pied.
Elle croit fermement que c’est en allant vers les autres qu’on brise les idées préconçues. Ce n’est pas en alimentant une relation de haine et de crainte que les choses avanceront. Elle pense que cela fait partie de son devoir de citoyenne de contribuer à ouvrir les yeux des gens sur différents sujets. En fait, il s’agit selon elle du devoir de tout citoyen face aux injustices. Elle trouve que la société dans laquelle on vit est à blâmer lorsqu’il est question de racisme. « On a tendance à se déresponsabiliser de tout », affirme-t-elle. Elle mentionne que si un sans-abri titube et tombe dans la rue, la plupart des gens ne lui viendront pas en aide, simplement parce que c’est un itinérant. Cependant, pour Sophie, cet homme qui tombe est avant tout un être humain qui a besoin d’aide. « On se met la tête dans le sable, on se mêle trop de nos affaires! », souligne-t-elle en faisant référence aux tendances individualistes de la société occidentale.
Les préjugés s’arrêtent là où l’éducation survient. Selon Sophie, il serait important de se questionner, en tant que société, sur l’éducation donnée tant aux Canadiens d’origine qu’aux immigrants. « Dans certains pays, explique-t-elle, le paiement d’une facture peut être remis à plus tard sans qu’il n’y ait de problème. » Par contre, au Canada, les délais de paiement sont très stricts. Sophie considère que ce genre de détails, qui pourraient sembler évidents pour des citoyens canadiens, ne le sont pas nécessairement pour les nouveaux arrivants. « À certains endroits, il est permis de frapper ses enfants, en guise de punition. Ici, c’est interdit, mais il ne suffit pas de dire que c’est interdit, les gens qui arrivent ici devraient se faire expliquer pourquoi certaines lois sont en vigueur », afin d’éviter de futurs problèmes qui nourrissent parfois les préjugés. Présenter les règles, sans explication, ne suffit pas à bâtir une société qui fonctionne.
Sophie considère qu’elle n’a pas eu un parcours facile. Cependant, il lui a permis de devenir la femme forte qu’elle est aujourd’hui et de travailler pour la communauté, afin de faire évoluer la société vers le bien-commun.