40 Rida Kettani
Antoine Leclerc-Loiselle
C’est à 35 ans et avec la tête pleine d’espoir que Rida Kettani, accompagné de son épouse et de leur fille aînée alors âgée de deux ans, s’envola du Maroc en direction de Québec. C’était en 1997.
Ne pressons pas les choses et revenons un peu en arrière. Tel que mentionné plus haut, Rida est originaire du Maroc, plus précisément de Fès, considérée comme la capitale spirituelle du pays. Il compléta son baccalauréat en informatique dans son pays d’origine pour ensuite faire une maîtrise à distance à la Pacific Coast University aux États Unis. N’ayant d’autres choix que de se rendre une semaine aux États-Unis à la fin de ses études de deuxième cycle afin de faire les examens et de présenter son projet de maîtrise, Rida profita de l’occasion pour visiter un peu le pays. Ce fut donc ce qu’il appelle son « premier contact avec la culture nord-américaine ».
Le choix de venir à Québec
Détentrice d’un doctorat, l’épouse de Rida n’était pas en mesure de dénicher un emploi dans son champ d’expertise au Maroc. Pour Rida, l’idée d’aller voir ailleurs se fit donc sentir et l’orienta vers Québec où les deux frères de son épouse étaient déjà établis. L’un était étudiant à l’Université Laval et l’autre professeur dans le même établissement. Cette situation, jumelée à la maîtrise de la langue locale, les amena donc à mettre le cap vers la vieille capitale. Son épouse fut entretemps acceptée pour des études postdoctorales à l’Université Laval où Rida avait également l’intention de poursuivre des études.
Un des objectifs quand on est venu ici, c’était de permettre à nos enfants d’avoir un enseignement intéressant et de baigner dans une culture intéressante. Maintenant, elles vont commencer l’université et le cégep et nous sommes contents de cet accomplissement.
En juillet 1997, le temps était donc venu de dire au revoir aux membres de leur famille.
Les premiers moments à Québec
La famille atterrit à l’aéroport de Mirabel dans un environnement « légèrement plus frais », dit-il. Ils prirent donc la route vers la Ville de Québec. Ils avaient donc un peu moins de deux mois pour se préparer à la session universitaire et pour trouver une garderie à leur fille. Rida ajouta que le fait d’avoir déjà de la famille sur place a facilité le processus d’arrivée, notamment pour le logement.
Avec trois bouches à nourrir, Rida décida finalement de ne pas poursuivre ses études pour plutôt entamer immédiatement sa carrière en tant que consultant en information stratégique. Il œuvre ainsi depuis plus de 20 ans dans ce domaine en accumulant les mandats tant dans le secteur privé que dans le secteur public dans lequel il réalisa des projets d’envergure. Si ses deux diplômes universitaires furent reconnus par l’Université Laval, ce ne fut toutefois pas le cas pour sa maîtrise et son expertise en T.I. Pour se donner de meilleures chances, il fit plusieurs certifications professionnelles de haut niveau pour se doter d’une reconnaissance sur le marché du travail.
Rida se souvient tout particulièrement de son premier hiver, non pas en raison de sa première expérience de froid intense, mais plutôt car il coïncida avec la crise de verglas à Montréal. Bien que la Ville de Québec n’ait pas été touchée, il s’agissait d’un premier contact assez particulier avec ce que pouvait offrir la province comme conditions météo. Histoire de passer confortablement au travers du premier hiver en sol québécois, la famille s’équipa du nécessaire et se fit également donner quelques effets pour compléter la garde-robe hivernale. Même si après 20 ans ils sont tout à fait acclimatés au froid, ils prennent grand plaisir à retourner au Maroc tous les deux ans afin de voir la famille et recharger les batteries sous le soleil méditerranéen.
Si Rida trouve aujourd’hui les gens de la Ville de Québec accueillants, il n’était pas vraiment en mesure de le dire dans les premières semaines, car il restait en famille et n’avait pas beaucoup d’interactions avec les Québécois. Lorsqu’il commença à sortir plus régulièrement, sa première déception au sujet de sa ville d’accueil fut le café. « Le premier café que j’ai siroté ici au Québec a été une très grosse déception parce que le café, au Maroc, c’est comme en Europe. Le café est très bon et très fort alors qu’ici j’appelle ça de l’eau de serpillère, tout simplement ».
C’est en 2002, soit deux ans après la naissance de sa plus jeune fille, qu’il obtint la nationalité canadienne avec beaucoup de fierté. Pour Rida, ce n’était que le début.
Une culture se transforme
La religion est très importante dans la vie de Rida. Il mentionne que « ce n’est pas quelque chose dont je vais me détacher, parce que c’est mon identité ». À ce sujet, il estime qu’en terme d’ouverture, on trouve de tout à Québec. Si certains sont ouverts ou plutôt neutres, il reste une minorité plus à l’écart.
Le respect du temps dans la culture nord-américaine est quelque chose que Rida apprécie beaucoup. Il tenait toutefois à préciser la différence qu’il perçoit avec son pays d’origine.
Ici on vit le moment présent pleinement, alors que de l’autre côté, on va savourer le moment présent. Ce sont deux choses différentes.
Il trouve dommage que beaucoup de gens ici ne profitent pas du temps à la table en famille. Il mentionne qu’il a dû s’adapter au rythme d’ici, mais il essaie d’instaurer un juste milieu. Au sujet de la nourriture justement, Rida estime que même si ce qu’on retrouve ici est très différent du Maroc, il n’a pas perdu de ses habitudes. Il se plaît toutefois à déguster la nourriture d’ici, dont la tourtière qu’il aime bien.
Tout ce qui est autour d’Halloween ou des fêtes du Nouvel An, on goûte à ça et on apprécie bien, mais on garde une certaine authenticité.
Il n’hésite pas longtemps pour dire que les gens d’ici sont stressés lorsqu’il compare avec son pays d’origine. Il constate toutefois une certaine prise de conscience et se réjouit de voir un peu plus de cafés et de gens sur les terrasses qu’avant.
Au Maroc, on voit un café entre deux cafés et une terrasse entre deux terrasses.
Il estime qu’ici les gens ne veulent pas perdre leur temps à ne rien dire, alors qu’ils peuvent l’investir à d’autres choses plus intéressantes.
Lorsque nous avons abordé le sujet de la discrimination, Rida se souvient d’une situation en particulier dans un contexte professionnel. Il mentionne toutefois que la personne a rapidement pris conscience de sa faute et s’est excusée. Même s’il a vécu quelques situations du genre, il a appris à vivre avec cela et il oublie rapidement. Il ajoute que dans la fonction publique québécoise, même si on retrouve déjà un certain pourcentage d’immigrants, il faudrait leur ouvrir encore davantage la porte.
Ce serait bien de construire avec ces personnes, car ils ont dans leur bagage intellectuel quelque chose à dire, quelque chose à compter et à partager avec l’ensemble de la société ici. Si on fait abstraction de ces gens, on va tout simplement rater le train de la civilisation.
Aujourd’hui
Rida apprécie beaucoup les amitiés qu’il a forgées ici. Si certains amis se sont ajoutés au fil des ans, d’autres le sont depuis les premières semaines de son arrivée il y a 20 ans. « On voyage ensemble. On a des enfants qui ont à peu près les mêmes âges, les mêmes affinités et il y a beaucoup de choses communes ».
Les deux frères de son épouse ayant maintenant fait le trajet de retour vers le Maroc, l’intention de retourner au pays un jour, bien qu’elle ne fasse que germer, est bien réelle. Lorsque leurs filles seront bien installées à l’université, ils ne ferment pas la porte.
Vivons ensemble. Les gens sont venus ici pour avoir une certaine dignité. La moindre des choses c’est donc d’accepter que ces gens vivent de façon libre. Ils sont venus pour contribuer, pas pour profiter d’un système.