4 Rachid Ait Jilal
Charles-Olivier Dumont
Rachid et Mohammed nous accueillent avec des dattes fraîches, quelques pâtisseries et une tasse de thé à la menthe. J’emmène avec moi un cahier et un ami, simplement curieux de vivre l’expérience et d’en apprendre davantage. C’est sans l’ombre d’un doute à mon esprit que j’ose décrire cette rencontre comme extrêmement enrichissante. Non pas seulement dans l’objectif d’écrire un papier intéressant, mais bien dans celui de se rapprocher d’une culture qui semble si différente de la nôtre. À travers cette discussion sont nées de nombreuses réflexions alimentées par le passé de mes interlocuteurs en terre québécoise. Certes, Rachid et Mohammed ont connu quelques épisodes difficiles, toutefois c’est avant tout un récit d’espoir qu’ils nous dessinent ici, un récit qui a commencé il y a près de dix ans, dans le nord du Québec.
D’El Jadida à Val-d’Or
C’est à El Jadida que débuta l’aventure de Rachid Ait Jilal au Canada. Jeune finissant dans le domaine des télécommunications, il cherchait un pays d’accueil pour poursuivre ses études. « Au départ, c’était la France », mentionne spontanément Rachid. Or, c’est finalement pour le Québec qu’opta le jeune diplômé, notamment en raison de la langue et des recommandations d’un ami. Rachid fut alors accepté à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et arriva à Val-d’Or en 2008.
Le campus de l’Université n’ayant pas encore de résidence, il contacta directement les responsables qui le mirent en contact avec d’autres étudiants pour se trouver un appartement. L’année d’après, c’est son ami d’enfance Mohammed B. qui cherchait à son tour un pays pour poursuivre ses études. Rachid le convainquit alors de venir le rejoindre en Abitibi. Toutefois, son arrivée fut plus ardue que celle de son compatriote. Fraîchement débarqué de l’avion, Mohammed découvrit pour la toute première fois le Québec. Il se rendit ainsi à la station de métro Berri-Uqam pour trouver un moyen de transport vers l’Abitibi où il se fit dérober l’entièreté de ses effets personnels incluant passeport, diplômes et pièces d’identité. Comble du malheur : il devait obligatoirement avoir au minimum une pièce d’identité pour déposer une plainte aux autorités. N’ayant pas de choix, Mohammed se dirigea donc vers l’ambassade marocaine à Montréal où il fit les démarches pour retrouver son identité. Heureusement pour lui, une femme prénommée Carole retrouva ses effets personnels. Le voleur ne désirait que son argent et s’était débarrassé du reste. Carole contacta alors la famille de Mohammed au Maroc pour leur annoncer sa trouvaille. Ne parlant qu’arabe, la famille de Mohammed trouva alors un interprète pour comprendre la dame. « Encore aujourd’hui, chaque fois que je passe par Montréal, je vais la saluer », dit Mohammed, huit ans après les faits.
Cette mésaventure, bien qu’anecdotique, fut formatrice pour le jeune Mohammed. D’un malheur est née une amitié nouvelle, dans un pays où tout lui restait à découvrir. Quelques années d’études bien remplies en Abitibi permirent aux deux comparses marocains de découvrir la société québécoise à leur manière, tout en conservant cet héritage du Maghreb qui leur est cher.
Préjugés, racisme et histoires d’amour
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas dans les régions éloignées que Rachid et Mohammed furent traités différemment en raison de la couleur de leur peau. Val-d’Or fut une terre d’accueil des plus agréables à leur égard. De nouvelles amitiés virent le jour sur le campus; Rachid pratiqua le soccer avec Mohammed et de solides liens se tissèrent avec la ville. « Encore aujourd’hui, je retourne à Val-d’Or pour voir des amis », mentionnent-ils à l’unisson, dans un élan de nostalgie. Non, c’est plutôt une fois rendu dans la capitale administrative, en raison de son nouvel emploi, que Rachid connut un premier épisode de discrimination. « Les gens pouvaient être plus craintifs. Surtout au moment du projet de loi sur la charte des valeurs », avoue-t-il à demi-mot. Heureusement, il fit également la connaissance de sa future femme, une jeune étudiante marocaine résidant à Québec. De leur union naquirent deux enfants. Après Val-d’Or, Québec ne devait être qu’une ville de passage pour Rachid. C’est son amour pour Mina qui le força finalement à adopter la ville.
Mohammed et Rachid ne sont pas les plus grands admirateurs de la vieille capitale. Bien qu’ils lui reconnaissent un charme indéniable, c’est la froideur des gens au sein de la ville qui les dérange quelque peu. « C’est comme ça dans toutes les capitales administratives. Tu sais, au Maroc, à Rabat, les gens sont pareils », dit Rachid, le sourire aux lèvres. Même constat pour Mohammed. Ayant récemment rencontré une Québécoise d’origine, il demeure pour l’instant dans la capitale, mais envisage de déménager vers Gatineau ou encore Montréal.
Quelques recommandations pour un avenir meilleur
En fin de rencontre, je demande simplement à Rachid et Mohammed ce que nous devrions faire en tant que citoyens pour améliorer la convivialité dans notre ville ou, à tout le moins, favoriser les échanges interculturels. « Arrêtez d’écouter les radios poubelles! », me répond instantanément Rachid. « Posez des questions poliment en cas de doute », ajoute Mohammed. À Québec, il semble exister cette culture de la peur de l’autre. Ou plutôt la peur de perdre notre culture au détriment d’une autre, devrais-je écrire. Or, après discussions, il est difficile de percevoir Rachid et Mohammed comme une menace à la culture québécoise. Il s’agit davantage d’une richesse que d’une menace, et les stations de radios ont parfois tendance à l’oublier, car rien ne sert d’ostraciser une culture que nous ne connaissons qu’imparfaitement. En franchissant la porte de Rachid, nous ne nous sentions pas chez un individu si différent de la culture québécoise : un téléviseur, quelques jouets, une bassine pour enfant. La maison typique d’un jeune couple de parents québécois, bref. Puis, c’est en quittant nos hôtes que je me rendis compte de la valeur des paroles de Mohammed. Après tout, si chaque individu posait une question lorsqu’il ne comprend pas quelque chose, il serait bien difficile de cautionner les discours racistes. « Ma femme s’est déjà fait crier des insultes à place Fleur de Lys en raison de son voile », nous avait dit Rachid plus tôt dans la rencontre. Or, après nos discussions, il est difficile de s’imaginer de quelle manière quelqu’un pourrait en vouloir à un couple aussi charmant, voile ou pas voile. Si l’offenseur avait pris la peine de questionner sa femme ce jour-là à place Fleur de Lys, il aurait probablement réalisé que son racisme n’avait pas lieu d’être.