31 Loubna Ghaouti
Magalie Lampron
Loubna Ghaouti, 41 ans, est originaire du Maroc, un pays situé en Afrique du Nord dans la région du Maghreb. Elle y grandit avec son frère et ses sœurs et y réalisa un baccalauréat avant de décider, en 1999, d’entreprendre sa maîtrise au Québec. En effet, au Maroc il était alors réputé d’acquérir une ou deux années d’expérience de travail à l’étranger, ce qui influença la décision de Loubna. De plus, elle savait que, par la suite, trouver un bon emploi bien rémunéré lui serait plus aisé.
Arrivée difficile
Néanmoins, l’arrivée de Loubna à Québec ne fut pas telle qu’espérée : elle et son mari ne se sentirent pas accueillis. N’ayant aucune ressource pour les aider à intégrer leur nouveau milieu universitaire, ils durent s’organiser eux-mêmes pour s’installer et se préparer à la rentrée, d’autant plus qu’à la mi-août, le campus désert ne leur fut d’aucun secours. Toutefois, Loubna eut une agréable surprise en découvrant la bibliothèque de l’Université : « l’ambiance » et « l’accueil » lui furent d’un grand réconfort et elle comprit qu’elle désirait travailler dans un milieu comme celui-là. Ce fut aussi à cet endroit qu’elle fit sa première rencontre québécoise, avec monsieur G., bibliothécaire en administration des affaires. Toutefois, après deux semaines plutôt décevantes, son mari et elle en eurent assez de la ville. « On ne se sentait pas chez nous », explique-t-elle. De plus, ayant trois cours à distance, Loubna ne parvenait pas à entrer en contact avec de nouveaux étudiants. Elle discutait chaque jour au téléphone avec ses parents, leur expliquant la situation, mais ceux-ci refusaient qu’ils rentrent au Maroc. Ils réussirent finalement à se faire transférer à l’Université de Montréal, où Loubna put entreprendre une maîtrise en bibliothéconomie et sciences de l’information (gestion de l’information électronique).
Une intégration pleine de surprises
Après les premières semaines plus difficiles en raison de la séparation d’avec les parents, Loubna s’intégra facilement au Québec. Durant la première année, elle eut l’impression d’être « comme une éponge ». Son mari et elle découvrirent l’hiver québécois, affrontant cette année-là l’un des hivers les plus froids répertoriés. De retour du Maroc après le temps des fêtes, il faisait à Montréal dans les -30°C. Loubna refusa de sortir pendant près de trois semaines, recevant ses notes de cours et ses exercices à son appartement.
Je ne pouvais pas croire que les gens se promenaient sous cette température. Je trouvais cela inhumain!
La relation entre les professeurs et les étudiants fut également une découverte surprenante pour elle. Tutoyer les professeurs, les appeler par leur prénom, manger en classe, ainsi que rentrer et sortir librement durant les cours étaient des comportements inexistants au Maroc : ils témoignaient d’un rapport souple avec l’autorité, insoupçonné aux yeux de Loubna. Hormis quelques différences à l’égard de l’alimentation qui devinrent rapidement secondaires, elle et son mari durent surtout s’adapter aux spécificités de l’accent québécois. En effet, certains mots ne possédaient pas la même connotation pour eux que pour les Québécois. Par exemple, à leur arrivée à l’aéroport de Montréal, le « bienvenue » donné en réponse au « merci » provoqua de la confusion.
Nous pensions que les gens nous souhaitaient bienvenue dans leur ville!
Lors de sa dernière journée à l’Université, elle vit un poste disponible à la bibliothèque de l’Université Laval sur le projet Érudit. En lisant les exigences, Loubna remarqua qu’il convenait parfaitement à son mari. Il s’agissait d’un contrat d’un an à l’Université Laval. Sans lui en parler, elle envoya sa candidature pour lui. Une semaine plus tard, à la veille du départ au Maroc, son époux reçut un appel pour passer une entrevue. Il décida de l’effectuer, tout en mentionnant qu’il quitterait bientôt le pays.
De retour au Maroc, le mari de Loubna reçut un courriel annonçant qu’il était retenu pour le poste. Loubna et lui décidèrent alors de convaincre leurs parents qu’ils retourneraient au Québec pour seulement un an ou deux, afin d’acquérir plus d’expérience avant de revenir au Maroc pour de bon. Loubna dut aussi négocier avec le bureau d’immigration pour pouvoir partir en même temps que son mari et obtenir un visa de travail, assurant qu’elle se trouverait un emploi. En effet, de retour au Québec, c’est en moins de quatre mois que Loubna obtint un poste à la bibliothèque de l’Université Laval.
Nouvelle vie, nouvelle culture
Ils restèrent finalement quatre ans au Québec, avant d’annoncer à leur famille qu’ils y resteraient de manière permanente. « En fait, nous avions pris cette décision dès notre départ du Maroc », précise Loubna. Étant issus d’un milieu assez aisé, leur décision ne reposait pas sur des raisons financières. Il s’agissait plutôt pour eux de choisir une société dans laquelle ils se voyaient vivre, éduquer leurs enfants et éprouver leur liberté.
Pour Loubna, les valeurs du Québec ne sont pas si différentes des siennes, du moins dans sa famille marocaine. Elles sont tout simplement perçues et comprises différemment, selon elle. Par exemple, malgré l’importance de la pratique religieuse, ils pouvaient s’habiller comme ils voulaient et Loubna ne portait pas le voile. « Il n’y avait pas de barrière à la maison », explique-elle. Depuis qu’elle vit à Québec, sa pratique de l’islam ne s’est pas modifiée. Pour elle, il s’agit d’une question personnelle et de ses convictions. Elle pratique pour elle-même et pour ses enfants. Jamais elle n’imposerait sa religion aux gens qu’elle côtoie : elle la maintient dans un contexte privé.
Loubna dit n’avoir jamais été victime de racisme, tant au plan personnel que professionnel. Selon elle, c’est grâce à la rapidité de son intégration professionnelle et sociale. Elle affirme ne pas avoir perdu ses « valeurs marocaines », mais elle a certainement « trouvé un équilibre » à travers le changement de culture. Ainsi, pour elle, l’intégration n’est pas un processus négatif. Il s’agit avant tout de trouver le juste équilibre entre ses racines et les valeurs du pays d’accueil.
Son mari et elle sont installés à Québec depuis 18 ans. Ses parents viennent les visiter chaque année, sa mère pour trois mois et son père pour un seul. Loubna retourne aussi régulièrement au Maroc, car la famille est très importante pour elle. « Mon choix d’habiter à Québec n’affectera jamais ma relation avec ma famille », affirme-t-elle. Elle est aujourd’hui mère de deux enfants qui fréquentent le système scolaire public et se considèrent québécois. Loubna sent qu’elle a réussi à trouver son équilibre sans se brimer et ne pourrait être plus comblée.
Avant de venir au Québec, Loubna craignait que les Québécois ne soient pas chaleureux et valorisent uniquement la famille nucléaire. Elle appréhendait l’hiver et pensait également y vivre du racisme. Mais dès sa première session, en 1999, ces préjugés furent écartés de son esprit. Néanmoins, elle dit avoir ressenti une véritable coupure entre « l’avant » du 11 septembre 2001 et « l’après ». Loubna affirme que, comme partout, il se peut que certains Québécois aient une compréhension caricaturale de certains courants religieux, qu’ils amalgament souvent Islam et terrorisme, une peur de l’inconnu qui est tout à fait légitime. Malgré tout, elle est très heureuse d’habiter Québec avec sa petite famille et se sent aujourd’hui chez elle autant que lorsqu’elle est au Maroc.