33 Issam X.
Jolyane Trudel
Issam grandit à Casablanca, au Maroc, entouré de ses parents et de ses deux frères. La principale raison qui le poussa à quitter le nid familial fut la poursuite de ses études supérieures. Issam recherchait une qualité d’éducation que la France ou bien le Québec possède. Le choix naturel aurait été pour lui de choisir la France, mais ça ne l’intéressait pas : « En France c’est beaucoup plus cher, le système est très élitiste et il y a beaucoup de racisme là-bas ». De plus, son frère habitait déjà Montréal depuis 1998. Il quitta donc Casablanca pour Montréal le 3 août 2003, il avait 18 ans.
Arrivée et adaptation à la vie québécoise
Issam habitant avec son frère, son intégration au quotidien québécois en fut facilitée. Il put développer des relations sociales assez rapidement avec les amis de son frère. Ces derniers étaient autant des Québécois que des individus d’autres nationalités. Son arrivée s’est donc plutôt bien déroulée. C’est lorsque l’hiver arriva que les choses se gâtèrent. Issam avait déjà vu de la neige au Maroc, mais il n’avait jamais vécu dans un environnement hivernal comme celui du Québec. Ce fut un choc pour lui de voir autant de neige et c’est entre autres pour cette raison qu’il décida au dernier moment de retourner au Maroc pour les fêtes. Il se posait beaucoup de questions : « Pourquoi suis-je venu ici? Pourquoi pas en France? J’avais beaucoup d’amis qui étaient partis étudier en France ». Tous ces questionnements minèrent son moral. Même s’il était près de son frère, vivre loin de sa famille était difficile.
Issam parlait déjà le français avant d’arriver au Québec, puisqu’il avait fréquenté un lycée francophone à Casablanca. Même si, au Maroc, il n’y a pas nécessairement un rapport à la culture comme ici, le fait d’avoir eu la chance de grandir dans un environnement avec une grande ouverture d’esprit aida beaucoup. Il fut aussi très influencé par le cinéma, son père étant cinéphile. Son accès à la culture venait donc en grande partie du cinéma. Il regardait autant des films japonais que des films nord-américains et tout ça contribua vraiment à enrichir sa culture des autres pays. Plus jeune, il avait voyagé en Europe avec ses parents et il était déjà venu à Montréal en 1999 dans le cadre d’un voyage scolaire. En venant ici, il avait donc déjà une petite idée de ce qu’était la culture québécoise. Ce n’était donc pas une barrière pour lui en arrivant au Québec. La difficulté rencontrée par rapport à la culture fut plutôt en lien avec la compréhension du dialecte québécois. Au début, il ne comprenait pas toutes les expressions. Le fait d’être curieux de nature et sa facilité à effectuer des recherches sur Internet facilitèrent son intégration.
Issam commença son baccalauréat en marketing aux HEC de Montréal assez rapidement, ce qui simplifia son adaptation. En effet, les différentes activités organisées par l’université et l’encadrement offert aux nouveaux étudiants lui permirent de s’intégrer sans trop de difficultés. Par contre, les étudiants étrangers du HEC devaient d’abord faire une année préparatoire avant d’intégrer le cursus régulier afin d’avoir l’âge minimum requis et acquérir certaines connaissances que les étudiants québécois voient au Cégep. Issam avait donc peu de contact avec les étudiants québécois parce qu’il côtoyait principalement des étudiants étrangers dans le cadre de cette année de mise à niveau. Il y avait des gens de partout, c’était très multiculturel, mais en même temps il n’avait pas accès à la culture québécoise. C’est vraiment après avoir intégré les cours réguliers qu’il côtoya plus de Québécois. « Avec du recul, je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose, mais ça permet de vraiment prendre le temps de s’intégrer tranquillement à la culture québécoise ».
Lorsqu’il arriva sur le marché du travail, il se rendit compte de ce qu’était vraiment la culture québécoise.
Au travail, c’est une autre dynamique. La concentration d’étranger est encore plus réduite qu’à l’université et où je travaillais au début, j’étais le seul étranger.
Tout ça fit en sorte qu’Issam dut véritablement s’immerger dans notre culture. Quand, sur l’heure du lunch, tout le monde parlait de hockey et que lui ne connaissait pas vraiment ça, il se sentait mal. Il raconte aussi qu’une fois, le directeur de création à l’agence dans laquelle il travaillait à l’époque lui avait demandé de dessiner le logo du Canadien de Montréal. Issam avait une petite idée, mais après l’avoir dessiné, il était vraiment de travers et ce n’était pas vraiment clair. Le directeur de création n’en revenait vraiment pas qu’Issam n’ait pas été capable de le dessiner! Ce moment fut un genre de wake-up call pour lui dans le sens où il se rendit compte qu’il devait vraiment faire des efforts pour connaître les trésors de la culture québécoise. C’était le cas pour le hockey, mais aussi pour les artistes, la littérature, le cinéma québécois, etc. Il savait que ça existait, mais il n’avait jamais eu de motivation intrinsèque à aller vers ces choses-là.
Ça m’a permis de découvrir un paquet d’affaires.
Faire sa vie au Québec
Au départ, il pensait faire ses études ici et retourner au Maroc par la suite. Mais aujourd’hui, il ne retourne au Maroc que pour les vacances, il ne retournerait pas habiter là-bas. Il ne pensait pas faire sa vie ici, mais dès qu’il commença à travailler et à avoir un salaire, son quotidien changea et, en cours de route, il s’habitua au rythme de vie d’ici. De plus, ses expériences de travail furent très positives. Aujourd’hui, Issam a la double nationalité. Il avait sa résidence permanente qui lui garantissait les mêmes droits qu’un Canadien, sauf pour le vote et le passeport canadien. C’est lorsqu’il demanda sa citoyenneté canadienne et lorsqu’il se prépara pour le questionnaire de citoyenneté qu’il réalisa à quel point le système politique du Maroc était différent du Canada, à tous les niveaux. Au Maroc, le concept de démocratie avait toujours été pour lui très lié à la corruption. Lorsqu’il arriva au Canada, il réalisa que ce pays était une vraie démocratie et que voter apportait un certain pouvoir aux citoyens. De plus, Issam étudie présentement à l’UQÀM en communication et jeux vidéo. Son passage des HEC à l’UQÀM, une université qui est très active politiquement, lui fit comprendre qu’il y avait des alternatives au capitalisme sauvage. Qu’il pouvait réellement faire des changements en ouvrant les yeux. Le passeport canadien lui permet de voyager plus facilement que le passeport marocain.
Les valeurs québécoises appréciées
Issam trouve que les Québécois sont « accessibles ». Contrairement à la France, où c’est plus individualiste qu’au Québec, il peut rencontrer des gens plus facilement, par exemple, lors des soirées organisées après les cours universitaires, les 5 à 7 après la journée de travail.
Le modèle du Maroc est un peu calqué sur celui de la France. Le boulot, c’est le boulot et tes amis, c’est tes amis.
Aussi, ce qui le frappa fut la notion de la famille.
Au Québec, c’est difficile pour un inconnu d’intégrer la famille. Elle est importante, mais pas aussi importante qu’au Maroc où la notion d’intégration est très présente.
Par exemple, dans sa famille, les amis de chacun sont les amis de tous.
La religion comme héritage
La religion n’avait pas une grande place dans la vie d’Issam. Ses amis n’étaient pas vraiment religieux et ses parents ne sont pas pratiquants. Il n’eut donc jamais à gérer de questions quant à sa religion lorsqu’il arriva ici. Par exemple, lorsqu’il y eut le débat sur les accommodements raisonnables, il ne savait pas trop quoi en penser, il ne se sentait pas concerné.
Une partie de moi me rappelle d’où je viens. Oui, je bois de l’alcool et je fais des trucs funky, mais aussi, dans mes valeurs profondes, dans mes ancêtres et ma famille, ce n’est pas du tout ça. Parfois, ça me fait réfléchir. Est-ce que cet héritage et ces valeurs seront transmis?
Message pour les Québécois qui s’inquiètent de l’arrivée des immigrants
Relativisez. La population musulmane au Québec représente seulement 3 %.
Selon lui, à force de diaboliser la religion, ça aliène davantage de musulmans qui voient dans l’extrémisme une manière de se comprendre.
À un moment, ces gens-là se demandent : est-ce que j’ai fait quelque chose de pas correct? T’es tout seul dans ton coin à faire ta prière à la mosquée, tu lis le Coran, et là, du jour au lendemain, c’est comme si ce n’était plus correct de faire ça.
C’est donc important de relativiser. Il aime l’histoire de Batman[1], cet homme masqué qui a aidé les gens pris dans la neige après la tempête survenue au mois de mars 2017. C’était un Marocain.
C’est ça, montrer l’image de l’immigration. C’est des histoires comme ça qu’il faut montrer. Pas des gens qui prient et qui se mettent des ceintures pour se faire exploser.
Les médias ont un rôle dans cette représentation des musulmans. Il devient donc important de diversifier ses sources d’informations. Il insiste sur le fait que c’est beaucoup mieux de lire trois journaux différents que d’en lire un seul.
Les Québécois ne devraient pas avoir peur des immigrants, au contraire! Ils apportent une nouvelle source d’innovation et de créativité. (…) Il ne peut pas y avoir de prospérité économique sans immigration.
Il ajoute aussi que c’est le rôle des immigrants aussi de faire des efforts, ça va dans les deux sens.
Recommandations pour les nouveaux immigrants
Ce qui aida le plus Issam lorsqu’il immigra au Québec fut de parler la langue française. Il considère que c’est majeur pour venir ici et que si ce n’est pas le cas, il conseille aux gens de prendre des cours le plus rapidement possible.
Apprendre la langue, surtout que tu peux le faire de manière gratuite au Québec.
Après, c’est de s’intéresser à l’actualité. Il considère que c’est la meilleure façon de comprendre les différentes valeurs, les normes, la culture locale, pour ainsi s’intégrer plus facilement. Lorsqu’on arrive dans un nouvel environnement, notre premier réflexe est souvent d’aller vers les gens qui font partie de la communauté qui nous ressemble. Mais Issam suggère de résister à cet appel qui nous pousse à rester proche de notre communauté culturelle immédiate et de faire l’effort de s’intégrer, de rencontrer d’autres personnes, de se joindre à des organismes ou faire du bénévolat. Il dit aussi d’utiliser aussi les technologies de l’information pour s’ouvrir à d’autres.
- Agence QMI. 2017. « Un super-héros aide les gens à pelleter à Montréal ». Journal de Montréal. En ligne. 17 mars. http://www.journaldemontreal.com/2017/03/17/video-un-super-heros-aide-les-gens-a-pelleter-a-montreal. Consulté le 27 mars. ↵