11 Nabil X.
Roxane Boisjoly
La jeunesse au Maroc
Nabil est originaire de la ville de Casablanca, la plus grande métropole du Maroc. Il y a passé pas moins d’une trentaine d’années auprès de ses parents et de sa sœur ainée. Sa mère était enseignante dans une école et son père était commerçant. D’ailleurs, son père l’amenait parfois dans son atelier de meubles pour lui apprendre le métier. À l’époque, le commerce fleurissait et il semblait judicieux d’envisager le transfert de l’entreprise de père en fils. Le commerce et les meubles ont donc pris une grande place dans la vie du jeune Nabil. Les études ont occupé une autre grande partie de sa jeunesse. La langue maternelle de Nabil est l’arabe. En plus de l’arabe, il a appris dès son jeune âge à parler le français, puisqu’il a été scolarisé dans une école privée francophone. Ses parents ont toujours voulu s’assurer que Nabil et sa sœur reçoivent la meilleure éducation possible. Dans cette optique, ils leur achetaient régulièrement des livres et des encyclopédies. Son père lui disait souvent que l’éducation, c’est très important et qu’il ne devait pas se contenter d’être dans la moyenne, mais qu’il se devait de la dépasser.
La décision de venir vivre au Canada
Au début des années 2000, le père de Nabil lui proposa, ainsi qu’à sa sœur, de déménager au Canada. Il expliqua à ses enfants que le Maroc n’était pas un endroit avec un grand avenir. Il faut noter qu’à cette période-là, l’industrie du commerce avait ralenti considérablement. De plus, Nabil et sa sœur avaient obtenu leurs baccalauréats, lui en finance et elle en biochimie. Leur père les encouragea donc à partir dans un pays où leurs compétences seraient réellement appréciées. Il leur recommanda le Canada, en leur suggérant de revenir au pays s’ils n’y trouvaient pas leur compte. Au départ, Nabil ne voulait pas partir, arguant que son pays avait besoin de lui. En réalité, cet argument n’était qu’un prétexte qui cachait le pessimisme de Nabil devant un tel projet. Il remplit tout de même une demande officielle sur le site Internet d’immigration Canada. Quant à leurs parents, ils restèrent au Maroc, satisfaits de leur situation, mais espérant mieux pour leurs enfants.
L’arrivée au Québec
La sœur de Nabil est partie en premier et s’est installée dans la ville de Québec. Elle avait une amie qui faisait ses études à l’Université Laval et cela a facilité son arrivée. Nabil est venu rejoindre sa sœur environ un an plus tard. Son intégration dans la société québécoise a grandement été facilitée par sa sœur. Elle l’a hébergé à son arrivée, ce qui lui a donné le temps de se fixer des repères et de trouver un appartement. Elle lui a fortement recommandé de suivre un cours d’anglais à l’Université Laval.
Québec, dix ans plus tard
Nabil est très satisfait de son expérience au Québec. Il avait beaucoup d’attentes concernant la vie au Canada avant son arrivée, il voulait réaliser son canadian dream. À son arrivée, il voulait discuter avec des gens, débattre des grands enjeux politiques. Mais il a fait face à un désintérêt marqué des Québécois pour les grandes questions internationales. Ce fut une déception pour Nabil. Il a ensuite compris que ce manque d’intérêt était entretenu par le manque de temps et par une confiance absolue des Québécois envers leurs médias. Pour faire le parallèle avec son pays d’origine, Nabil a expliqué que le Maroc est un pays stable dirigé par une monarchie. L’un des inconvénients de ce système est que l’information est donnée sous forme de version officielle autorisée par le roi. Ensuite, chaque personne peut choisir de croire la version officielle ou aller chercher des compléments d’information. Là-bas, la population ressent un besoin de confronter la version officielle et de la comparer à d’autres sources.
Malgré ce constat de réserve chez les Québécois, Nabil a été agréablement surpris par la ville de Québec, mais également par ses habitants. Il a été rapidement charmé par les grands espaces verts bien aménagés et accessibles à tout le monde sans distinction de quelque nature que ce soit. Sa ville natale a une superficie similaire à la ville de Québec, pour un nombre d’habitants beaucoup plus important. La priorité pour Casablanca est d’avoir suffisamment de résidences, qu’ils construisent en hauteur, pour tous les citoyens. Le souci des espaces verts est alors bien secondaire. Ainsi, seules les classes sociales les plus riches peuvent se permettre de partir à l’extérieur de la ville profiter des espaces naturels. Au Québec, Nabil considère les espaces verts comme un bel exemple de justice sociale. Pour ce qui est des habitants de la ville, il a trouvé qu’ils sont parfois difficiles d’approche, mais qu’ils sont tout de même très gentils et serviables.
Sur la question de justice sociale, Nabil explique qu’ici, bien évidemment, il y a des riches et des pauvres, mais cette variante est beaucoup moins marquée qu’au Maroc. En effet, dans son pays d’origine, le filet social repose surtout sur la solidarité entre les membres de la famille. Une assurance-chômage vient d’être instaurée durant les dernières années au Maroc, mais ça n’ empêche pas vraiment d’endiguer le fossé entre les riches et les pauvres. Le Maroc a, selon Nabil, une justice à deux niveaux : « Si tu fais partie de l’élite et que tu as des contacts, les lois ne s’appliquent pas vraiment à toi ». Au Québec par contre, si un politicien ou un homme d’affaires commet une infraction, un excès de vitesse par exemple, il recevra une contravention. De plus, cela assure des chances égales à chacun. Il en est de même pour les emplois, le mérite étant ici le seul critère d’embauche.
Stéréotypes et religion
L’Islam est une religion bien mal comprise par les Occidentaux. Plusieurs la voient comme une religion d’oppression et d’interdits. Selon Nabil, c’est plutôt l’inverse. Il explique que c’est une religion qui accepte que les autres soient différents. Il cite une référence du Coran : « Ô hommes! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle, et nous avons fait de vous des nations et des tribus, pour que vous vous entreconnaissiez ». C’est une religion qui veut que la personne soit la meilleure version d’elle-même. Par exemple, l’interdiction de consommer de l’alcool s’explique parce que l’alcool fait agir les gens différemment. Ils ne réfléchissent pas de la même manière sous l’influence de la boisson. Pourtant, Nabil explique qu’à Casablanca, non seulement on trouve des bars, mais ceux-ci sont ouverts 24 heures sur 24. Bien sûr, ces bars ont pour clientèle principale les touristes et les gens d’affaires, mais si une personne musulmane veut boire un verre, le barman ne refusera pas de la servir et les gens ne la jugeront pas. Les musulmans peuvent pratiquer et adapter la religion à leur mode de vie. Ils prennent ce qui s’applique à leur quotidien et laissent ce qui ne s’y applique pas. Il n’y a pas de réelle obligation.
Un autre exemple qui a fait couler beaucoup d’encre au Québec est le port du voile. Pour Nabil, la question de la justice est très importante et c’est de cet angle qu’il explique le port du voile par les femmes. Il explique que selon les critères de beauté établis dans une culture ou une population, certaines femmes sont considérées plus belles que d’autres, ce qui les rend plus désirables pour les hommes. Le voile est donc une manière, entre autres, dans la culture musulmane de donner une apparence similaire aux femmes afin de donner les mêmes chances à chacune d’entre elles de trouver un compagnon de vie. Ainsi, l’homme ne peut pas seulement se baser sur le physique de la femme quand vient le temps de choisir sa conjointe. Ainsi, les femmes peuvent faire valoir leur personnalité et leur intelligence pour gagner l’attention et le respect des hommes. Lorsque sa femme est venue le rejoindre au Canada, elle pensait porter le voile. Nabil lui a expliqué qu’ici, puisque ce n’est pas une pratique répandue, elle risquait davantage d’attirer l’attention en le portant, ce qui est le but inverse du voile. Sa conjointe est en réflexion sur ce sujet et n’a pas encore pris sa décision.
La peur injustifiée de l’immigration
Plusieurs citoyens canadiens voient l’immigration comme une menace. En effet, ils sont inquiets de perdre leur emploi face à la concurrence que pourraient représenter les immigrants. Selon Nabil, les immigrants constituent plutôt une belle opportunité pour le pays, car ils arrivent déjà instruits pour la plupart. Dans son cas, Nabil avait un emploi haut placé dans une banque au Maroc. Maintenant, il est fonctionnaire. Son salaire dans son pays d’origine était plus élevé et le coût de la vie au Maroc était moins cher. Il va donc de soi que son immigration au Canada n’a pas changé de façon significative sa situation sociale ou financière. Nabil insiste néanmoins sur le fait qu’il ne regrette pas du tout son choix. D’ailleurs, il pense que son fils aura un avenir brillant au Canada. Nabil croit que le Canada est le meilleur choix pour élever une famille.