38 Salwa Chraibi
Alexe Dupont
Du Maroc au Québec
C’est en février 2006 que Salwa Chraibi a décidé de venir rejoindre son mari au Québec. Ils se sont connus grâce à son frère qui était le meilleur ami de celui qui allait devenir son mari. Ce dernier avait immigré au Québec cinq ans avant Salwa, laissant son métier de gérant en textile pour celui de journalier. De fil en aiguille, de formation en formation, il devint opérateur numérique pour une entreprise. Pour son mari, choisir le Canada était comme choisir le paradis sur Terre. Le Canada évoquait pour lui la richesse et le bonheur. Pour Salwa, choisir le Canada était une adaptation à vivre et un compromis afin de rejoindre son bien-aimé.
Malgré le fait que leur langue première soit l’arabe, la langue française n’était pas un obstacle pour eux puisqu’ils avaient déjà eu des leçons à l’école, au Maroc. Quand le jour J arriva, le jour où elle allait quitter son pays natal pour une nouvelle aventure, ce sont les bras de son mari qui l’accueillirent à l’aéroport. Ce fut une grande étape pour elle puisqu’elle n’avait jamais vraiment voyagé. Le plus grand sacrifice était de quitter sa famille, car la valeur de la famille est très importante au Maroc. Les gens sont toujours rassemblés, plus unis. Ils vivent en communauté. C’est d’ailleurs ce qui lui manque le plus de son pays, car au Québec, elle trouve que les gens sont plus individualistes : les gens vivent « chacun pour soi ». Salwa communique régulièrement avec sa mère : « Si ma mère était au Québec, je la verrais tous les jours ». Un autre élément du Québec diffère énormément du Maroc aux yeux de Salwa et il s’agit de l’aide sociale. Au Maroc, elle et sa famille étaient considérées comme faisant partie de la classe moyenne.
Dans mon pays, si tu ne travaillais pas, tu n’avais pas d’argent.
L’aide sociale et l’organisation du gouvernement sont donc des éléments du Québec qui ont énormément surpris Salwa. Elle est impressionnée que le gouvernement vienne en aide aux plus démunis puisque cela ne fait pas du tout partie de la réalité de son pays natal. Par contre, pour elle, l’aide sociale n’était pas une option à son arrivée. Étant considérée comme faisant partie d’une classe plus pauvre au Québec, elle s’est tout de suite mise à la recherche d’un petit emploi avant de commencer ses études. C’est comme couturière dans une petite entreprise que son intégration a débuté.
Une intégration quelque peu difficile
Le départ pour le Canada a été en quelque sorte une déchirure pour Salwa. Après six mois au Canada, elle est même retournée retrouver les siens pour un moment. Lorsqu’elle est revenue, elle se sentait cette fois-ci plus prête. Bien sûr, elle devait tout recommencer à zéro, mais étant une femme travaillante, Salwa a entrepris un diplôme d’études professionnel afin de devenir infirmière auxiliaire. Emploi Québec l’a beaucoup aidée dans ses démarches de retour aux études et à trouver un emploi pour qu’elle puisse subvenir aux besoins de sa famille, ce dont elle est très reconnaissante. Par contre, son intégration n’a pas été de tout repos lors de sa formation professionnelle. Portant le voile, Salwa a senti dès le départ une fermeture envers sa religion de la part de ses camarades. Ce sentiment de jugement était présent dans le regard que les autres portaient sur elle.
Les gens ne te connaissent pas, ils te jugent, ils te provoquent, mais ils n’ont pas de raison.
La femme s’est même déjà fait refuser des formations au travail, seulement parce qu’elle portait le voile. Salwa croit que ce sentiment de peur des Québécois peut être alimenté par les croyances transmises par l’entourage, mais surtout par les stéréotypes qu’entretiennent les médias. Si cette intégration difficile l’a presque menée vers la dépression, c’est qu’elle perdait beaucoup d’énergie à toujours vouloir se justifier. Elle ressentait toujours le besoin de devoir s’expliquer aux autres. Heureusement, des gens positifs l’ont aidée à trouver la paix intérieure.
Apprendre à vivre malgré le jugement des autres
Si Salwa est heureuse aujourd’hui, c’est qu’elle a appris à ne plus s’en faire avec ce que les autres pensaient d’elle. Elle voit une évolution entre le sentiment qu’elle vit présentement et comment elle se sentait à son arrivée. Salwa et son mari ont même donné naissance à trois adorables enfants : « Je crois qu’il est plus facile de s’intégrer ici quand tu y nais que quand tu arrives », m’a-t-elle confié. Pour ses enfants, il n’y a aucun problème à l’école. Puisqu’ils sont nés au Québec, ils parlent couramment le français et n’ont pas de problème d’intégration avec leurs camarades. Lorsque j’ai demandé à Salwa ce qu’elle dirait à ses enfants s’ils subissaient des questionnements ou de mauvais commentaires sur le voile de leur mère, elle m’a dit qu’elle leur expliquerait qu’il n’y a aucun malaise ni aucune gêne à aborder le sujet, car il s’agit seulement d’une religion. À ce propos, j’ai également demandé à Salwa si les mauvaises croyances envers les musulmans provenaient des générations plus âgées. Pour elle, cela dépend énormément du milieu où tu es né et surtout de l’influence de l’entourage et des parents sur leur enfant.
Aujourd’hui
Aujourd’hui âgée de 33 ans, elle poursuit toujours ses études pour l’obtention d’un diplôme collégial en soins infirmiers. Salwa doit conjuguer une vie bien chargée, avec le travail, les études et l’éducation de ses trois enfants. Salwa a également créé un réseau de connaissances et de collègues grâce à son implication au travail et à l’école. Par contre, la majeure partie de son temps est consacrée à sa famille puisque cela est ancré dans ses valeurs. Les Québécois de son école sont plus enclins à sortir et à aller prendre un verre, mais ce n’est pas du tout dans ses valeurs.
Les attentats de la mosquée de Québec
Les attentats de janvier dernier ont atteint Salwa et sa famille. En fait, ils ne s’attendaient pas à ce que de tels événements arrivent dans un pays aussi accueillant que le Canada, où la diversité culturelle est très présente. La tragédie de la mosquée de Québec a eu des répercussions sur les enfants de Salwa. Ils lui ont dit qu’ils voulaient quitter le pays, car ce n’était pas le leur et qu’il pourrait leur arriver la même chose. Pour Salwa, c’était très difficile d’entendre de telles choses de la bouche d’enfants nés ici.
Des conseils pour les futurs immigrés
Si elle avait à donner un conseil à une personne qui souhaite faire le grand saut tout comme elle, elle lui dirait « de pas prendre les choses à cœur, d’arrêter de se justifier. Et de vivre. Si quelqu’un ne t’aime pas, il ne va pas t’aimer. Alors, fais ce que tu as à faire. Accepte comment tu es ». Vivre ici a complètement changé sa propre perception de la vie et elle affirme même être devenue une autre personne.