La métaphore de la Villa
Elena Azofra
Nota Bene : la version espagnole de ce texte est présentée dans le chapitre suivant.
De carnets et de maisons. Les origines de la Villa
C’est dans le temps pas lointain de mon enfance numérique, quand je naviguais dans la mer complexe de La pensée du discours, que j’ai entendu pour la première fois parler des carnets de recherche comme de « maisons ». Dans le billet « Le doctorant 2.0. L’Infusoir et l’Enklask à Paris 13 », où Marie-Anne Paveau résumait les points les plus intéressants de la discussion au sein d’un séminaire avec Mélodie Faury et Benoît Kermoal à propos de leurs carnets de recherche, j’ai lu ces mots qui ont attiré mon attention :
Mélodie Faury compte garder le sien [son carnet après la thèse], le «relooker », en refaire la « décoration intérieure » (nous avons souvent pendant cette séance souligné que nos carnets constituaient en quelque sorte des “maisons”, dans lesquels nous nous sentions “chez nous”)[1].
La nouveauté, le caractère spécial, métaphorique, du terme maison et de l’expression chez nous est souligné par les guillemets, ressource typographique employée pour remarquer ce caractère. Aux Espaces Réflexifs, tout au long de quinze premiers mois de l’expérience, les guillemets de « maison » ont disparu, la maison est devenue villa, puis la villa (un espace signalé par le défini, donc bien connu de la part des participants du discours), #villa ou #VillaReflexive (avec le symbole # qui nous parle des origines dans les échanges sur le réseau Twitter) et finalement notre villa (un espace accompagné d’un possessif qui rend compte du sentiment des habitants).
Évidemment, il s’agit d’un espace irréel, un endroit « au milieu de nulle part ou peut-être de partout […], un milieu idéal, rêvé, imaginé par une communauté », comme Stéphanie Messal nous le disait dans « Conte féérique pour Villa réflexive ». Je vais essayer ici de saisir comment le lieu numérique des Espaces Réflexifs est devenu villa, maison partagée, et comment les locataires successifs l’ont construite et vécue. Il y a déjà quelques réflexions et quelques analyses ; le retour réflexif de décembre 2012, sur la première année de «co-location» à la Villa, nous a laissé de beaux textes « méta-réflexifs » :
Décembre sera méta-réflexif ou ne sera pas : réflexif et réfléchissant sur la réflexivité mise en œuvre pendant ces mois créatifs (Marie-Anne Paveau, « À louer 2013 : #villa spacieuse, lumineuse et calme, locataire réflexif bienvenu »)[2].
Mais je voudrais mettre au point les détails de cette histoire que j’ai plusieurs fois mentionnée et qui m’a plu surtout pour la simplicité, le naturel, la spontanéité avec lesquels se développait cette construction collective tellement émouvante. Il y a deux billets, publiés au mois de décembre, que j’ai beaucoup utilisés pour mon analyse de la métaphore : tout d’abord, le superbe « Conte féérique pour Villa réflexive », où Stéphanie Messal nous raconte « l’histoire d’un carnet de recherche en ligne qui par le pouvoir magique de ses résidents se transforma en Villa Réflexive… », et ensuite « Liminaires. Entrer dans les Espaces Réflexifs », où Marie-Anne décrit le style « liminaire » (c’est-à-dire, le style d’entrée) de chaque locataire à la Villa. Un tissu de lien hypertextes prend forme dans ces billets qui visent à expliquer la magie de la Villa; pour moi, les billets du mois de décembre se déroulaient comme des petits cadeaux autour du sapin de Noël.
Naissance et développement de la métaphore de la Villa
« le besoin de s’approprier une réalité très différente de ce que l’on vit ordinairement dans nos vies de chercheurs »
Comment la métaphore est-elle née? Pour mieux comprendre les raisons pour lesquelles nous en sommes arrivés à construire cette Villa, il faudrait mentionner le besoin de s’approprier une réalité très différente de ce que l’on vit ordinairement dans nos vies de chercheurs (« l’étrange édifice collectif » dont nous parle Jonathan Chibois à « [Édito d’avril] De quoi le carnet est-il le miroir? »). D’après la théorie traditionnelle, la métaphore est une figure de style fondée sur l’analogie entre un terme réel et un terme figuré ; l’association se fait sans lien de comparaison et vise à exprimer des connotations ou des sens subjectifs que le locuteur cherche à évoquer.
Mais la sémantique cognitive a remarqué, surtout à partir de l’œuvre de George Lakoff et Mark Johnson, Les métaphores dans la vie quotidienne, que les métaphores ne sont pas seulement des procédés stylistiques concernant la création poétique, mais plutôt des formes de conceptualisation du monde, un essai de compréhension des réalités les plus abstraites à travers les images de réalités plus concrètes, donc plus faciles à saisir. La métaphore de la Villa, spontanément surgie dans les textes des rédacteurs des Espaces Réflexifs, serait donc une façon de comprendre et de faire comprendre aux autres un phénomène inconnu, une forme d’écriture et de partage-rencontre, d’amitié scientifique, concepts tous difficiles à expliquer. Je ne sais pas si le français utilise le mot savant dérivé du lat. ineffabilis (esp. inefable), mais je trouve qu’il convient à ce que je veux dire : l’expérience vécue aux Espaces, dès les premiers mois, a été tellement différente, tellement émouvante, qu’on n’a su la nommer que par des mots connus qui, au-delà de leur signification dénotative, possédaient des connotations qui permettaient d’appréhender le phénomène dit « Villa réflexive ».
Certes cette Villa Réflexive est un lieu peuplé de miroirs par lesquels nous tentons de comprendre nos habitudes et méthodes scientifiques, de nous représenter nos propres représentations. (Claire Placial, « Au seuil de la Villa – planter un arbre »)
La difficulté pour saisir la réalité des Espaces réflexifs a son reflet dans ces mots de Stéphanie :
Un milieu, un environnement, un endroit dont on ne peut vraiment définir la forme et les contours […]. C’est un milieu donc au milieu de nulle part ou peut-être de partout […]. Mais c’est un milieu idéal, rêvé, imaginé par une communauté. Et c’est ainsi que d’indéfini, cet espace se définit avec le temps et ses résidents. Des espaces idéaux… plus vraiment indéfinis car habités. Et en posant ses valises, le résident en dressait le nouveau décor.
Cependant, la consolidation d’une métaphore a besoin d’un partage des sens subjectifs qui y sont associés : ici, est remarquable la naturalité qu’on a perçue dans l’usage du mot figuré (la villa) pour faire référence au terme réel (le lieu numérique). Même si elle a eu besoin de quelques mois pour s’imposer, le temps d’acceptation parmi les « habitants » a été vraiment très court. On peut documenter tout ce processus dans les billets et les commentaires, comme je vais montrer tout à l’heure, mais je voudrais citer particulièrement quelques étapes qui témoignent de la naissance et de la consolidation de la métaphore :
- 4 février 2012 : « … j’ai décidé unilatéralement et en accord avec moi-même que le carnet « espaces réflexifs » était la villa médicis de la plateforme hypothèses… » (Marie-Anne Paveau, commentaire à Julie Henry dans « Les commentaires : espace et outil de réflexivité, ou occasion d’exprimer ses marottes? »).
- 10 février 2012 : Marie-Anne parle de « billets de la villa réflexive » et tout de suite Mélodie garde l’expression pour la reprendre dans un contexte de métalangage, en écrivant : « un espace que Marie-Anne Paveau qualifie désormais de “Villa réflexive” » (« Des regards qui se croisent… numériquement »).
- 1 août 2012 : On trouve le mot Villa dans un titre, dans le premier billet de la série de Claire Placial : « Au seuil de la Villa – planter un arbre ».
- 4 décembre 2012 : « La métaphore de la #villa n’est pas venue tout de suite, elle s’est imposée et s’est filée au fur et à mesure que se déroulait cette aventure carnetière. Elle est maintenant naturalisée et je pense que pour nous tous ce carnet est réellement, dans notre esprit, une maison » (Marie-Anne Paveau, « Liminaires. Entrer dans les Espaces Réflexifs »).
En somme, plusieurs étapes se sont accomplies en moins d’un an : naissance de la métaphore, intercompréhension, partage, acceptation, consolidation, naturalisation… Un tel phénomène n’aurait pu avoir lieu que par le fort lien du terme métaphorique avec la réalité (ou l’irréalité ?) évoquée.
« Mois après mois, la métaphore de la villa s’est développée avec les images apportées par chacun des locataires, qui ont agrandi la primitive “maison” en lui ajoutant des pièces, des motifs, des petits détails… »
La construction progressive de la métaphore
Mois après mois, la métaphore de la villa s’est développée avec les images apportées par chacun des locataires, qui ont agrandi la primitive « maison » en lui ajoutant des pièces, des motifs, des petits détails…[3]
En janvier 2012, Stéphanie Messal, première rédactrice-habitante, parle déjà de murs, un motif qui montre le lien entre la page d’accueil du carnet (mur numérique) et les vrais murs d’une maison ; c’est peut-être le début de la construction de la « maison ». Ainsi, on peut lire dans son dernier billet (« Je tue « Il » ») : « Désormais les mots de Mélodie Faury vont venir tapisser les murs du mois de février ». En plus, elle a peuplé de miroirs cet espace, le transformant « en un Palais des Glaces miniature, recouvrant ses murs de miroirs de toutes formes et de tout genre, créant ainsi des espaces non plus indéfinis mais bel et bien infinis » (« Conte féérique pour Villa réflexive »).
Au début du mois de février 2012, Mélodie Faury reprend le concept de décoration, qui peut s’accorder avec le mur numérique (où on change les widgets, le bandeau…) comme au murs d’une maison (où on accroche des tableaux et des étagères). Face aux portes des Espaces réflexifs (qui représentent le point de départ, le moment de prendre son tour comme rédactrice du carnet), elle parle d’un espace investi et de ses invités : le carnet est en train de se faire maison, lieu « habité ».
Moment attendu et appréhendé tout à la fois, voici que les portes des Espaces réflexifs me sont ouvertes et que je peux m’y promener, m’y installer pour un mois… […]. Vais-je revoir la décoration de fond en comble ou au contraire garder la trace de sa précédente habitante ? […] dans cet espace que j’investis, j’espère pouvoir recevoir et vous présenter quelques invités. […] [Cet espace] inséré dans une plate-forme, où les commentaires sont possibles, où l’on passe d’un carnet à l’autre, comme l’on change de maison et d’hôte, (« Indéterminée »).
On a vu plus haut comment le mot villa (d’abord villa médicis, puis simplement villa ou villa réflexive, parfois maison réflexive) est introduit par Marie-Anne et tout de suite adopté par Mélodie :
Comme Stéphanie, j’aime la nouvelle déco de la maison réflexive et je remarque qu’elle a été pensée et réalisée avec soin (Marie-Anne, commentaire à Mélodie Faury dans « Indéterminée »)
En mars 2012, Marie-Anne Paveau arrive avec ses boucles, spirales, tortillons… Toutes ces formes, introduites d’emblée comme symboles de la réflexivité, sont devenus des éléments décoratifs, parallèlement à (ou sous l’influence de) la métaphore de la maison en construction. On reprend le terme décoration (nouvelle décoration) et il y a même un billet sur quelques objets décoratifs : chaises, lampe, fauteuil… Peut-être cherche-t-on des meubles pour la maison? s’agit-il d’un ameublement? Sans doute! La métaphore se consolide, au point de susciter des motifs thématiques comme celui des meubles. Quelques mois après, Stéphanie parlera de fils de fer d’étendage et des « belles balustrades aux arabesques élégamment alambiquées » qu’elle voit dans les boucles de Marie-Anne.
Outre les boucles et tortillons, au mois de mars il faut parler de la cave, un motif qui va être repris plusieurs fois dorénavant par les habitants, surtout parce qu’il éprouve l’état d’esprit abritant de notre Villa :
… j’entre à mon tour dans la Villa Réflexive. Je m’y installe pour un mois, je l’ai agrémentée de quelques « boucles étranges, spirales réflexives et autres tortillons récursifs » et j’ai mis du Bourgogne à la cave pour recevoir les pensées amies (« Pourquoi je vois pas mes yeux? »).
Et la réception enthousiaste de la part de Stéphanie, dans un commentaire :
Tout d’abord, je vois avec émerveillement combien tu vas prendre grand soin des habitants de la Villa : un petit bourgogne pour accompagner quelques conversations, c’est avec le plus grand des plaisirs.
À ce moment, on peut dire qu’il y a eu un changement important : Stéphanie, Mélodie et Marie-Anne sont devenues des hôtesses de la maison partagée par les locataires et leurs invités. Leur esprit accueillant fait que les mots avec des connotations affectives soient une caractéristique des billets publiés aux Espaces réflexifs : rencontres, plaisirs, amitié (amitiés scientifiques), prendre soin, pensées amies… On commence aussi à voir ce temps d’écriture collective comme un séjour.
En avril 2012, Jonathan Chibois revient à l’idée originale du « carnet » : « C’est donc avec plaisir que j’ouvre le quatrième chapitre de ce carnet ». Il n’ouvre pas les « portes » dont parlait Mélodie, bien qu’il fasse mention à « cet étrange édifice collectif » où sont arrivés les Espaces :
Voilà trois mois que ce carnet de recherche nous emmène dans une spirale réflexive, déroutante mais stimulante, faites de métaphores, de confrontations et de lectures. Que soient ici remerciées nos trois agitatrices de neurones pour la dynamique insufflée et le chemin déjà parcouru, et plus personnellement pour m’avoir invité à apporter ma contribution à cet étrange édifice collectif. (« [Édito d’avril] De quoi le carnet est-il le miroir? »).
Au mois de juin 2012, le bureau de Martine Sonnet, placé sous les toits, vient agrandir le regard sur la Villa : dans « Bienvenue dans ma vie de bureau », Martine nous ouvre la porte d’un bureau avec un coin réservé pour Morwenna Coquelin, qui viendra à la mi-juin avec ses fantômes… Une villa enchantée? Oui, peut-être, mais on n’a pas peur : les fantômes sont emprisonnés dans les manuscrits et on ne les voit pas… Morwenna va partager le logement de la maison, en faisant une « colocation temporaire – une Zwischenmiete en allemand » (« Fantômes, 1 – Se montrer au travail, asseoir son autorité »).
Pendant l’été, Benoît Kermoal parcourt les couloirs de la Villa et instaure le rite du « passage des clés », que vont reprendre tous les locataires successifs (Claire, Elena, Delphine…). Un rituel domestique qui a aussi un reflet numérique : pour pouvoir commencer à écrire dans le carnet, il faut avoir des permis et des mots de passe qui jouent le rôle des vraies clés.
En août 2012, Claire fait sa vie au jardin, où elle plante un arbre, un ginkgo biloba; en plus, elle demande a Mélodie de faire faire un deuxième double des clés pour inviter Maxime, pour qui elle prépare une chambre d’amis. Elle pose ses livres sur les meubles que d’autres ont laissés, accroche ses tableaux aux murs (comme on le disait plus haut, une image très réaliste, puisque les widgets du carnet ressemblent à de vrais tableaux). C’est la première à décrire son arrivée en termes d’« aménagement » et à parler du rapport conscient image ~ métaphore ~ pensée :
Me voilà dans la Villa Réflexive. Les locataires précédents ont posté aux murs des éléments de décoration, ont laissé dans leurs chambres des meubles sur lesquels poser mes livres, et ils ont garni de leurs écrits la bibliothèque commune. À mon tour de m’installer, et pour ce premier billet, il s’agira d’accrocher des tableaux aux murs. Quand j’arrive « in real life » dans un nouvel appartement, souvent avant-même d’avoir déballé toute la vaisselle, je mets des images aux murs et des cartes postales dans ma bibliothèque. Je pense beaucoup par images et par métaphores ; il a fallu l’écriture du carnet Langues de feu pour que j’en sois vraiment consciente. La participation à ce carnet collectif m’est une occasion d’expérimenter une réflexion par images, reflets et échos – le nom même du carnet y invite. « Imagier. Avec Goethe ».
Le premier août, dans un commentaire, Marie-Anne regroupe les éléments de la maison :
… mois après mois, la métaphore de la villa s’installe et se développe : nous avions des pièces, des murs fraîchement repeints, des accrochages, du mobilier design, des réfrigérateurs pleins, une cave même; nous avons maintenant une chambre d’amis, et surtout un jardin, avec un premier arbre… à quand le potager, la piscine, le labyrinthe à l’anglaise peut-être?
L’extérieur de la maison prend son importance à la fin de l’été : août fini avec de références aux tilleuls, aux jaunissantes feuilles qui tombent, à la lumière changeante… En septembre, la nature vivante et transparente (de l’eau, des cascades, des papillons et même des méduses…) va se répandre dans le jardin, tandis qu’à l’intérieur, des rideaux sont accrochés dans la chambre d’amis. Les mots d’accueil vont se répéter pour Maxime Durisotti et Aboubekeur Zineddine, invités qui vont partager la maison.
Après, en automne, sont déjà naturalisés les symboles de l’entrée à la maison et l’image des « liminaires ». Delphine Regnard nous parlera de son arrivée à la gare, et Raphaële Bertho se promènera dans la cuisine, sa tasse de café à la main, sans savoir quelle porte choisir pour commencer le chemin réflexif. Son regard de photographe nous place à nouveau devant un élément important à la Villa : le cadre (Stéphanie affirme : « Le cadre est sûrement l’un des éléments architecturaux emblématique de cette Villa : les portes, les fenêtres, les miroirs mais aussi tous les tableaux accrochés de partout », « Conte féérique pour Villa réflexive »). Et finalement, Raphaële nous permettra même découvrir le contenu de sa valise : des livres et un appareil photographique.
Une fois fixée l’image de la villa, de nouvelles associations se déroulent, et de nouveaux motifs prennent leur tour, en même temps que les associations primaires se consolident. Et c’est ainsi qu’on est arrivés à penser le carnet comme une maison, à voir réellement notre prise de tour comme une arrivée dans un lieu que chacun rêve différent, mais qu’on voit toujours comme un lieu de partage et d’amitié. Et tout ça s’est passé au fil des mois, au fil des billets, au fil des co-locations…
Maison, j’ai dit maison? Oui, et mieux encore, je vous parle de villa! De ces villas grandes et généreuses, de celles qui évoquent cette dolce vita des vacances d’été à l’ombre des arbres (des gingkos paraît-il), et ces douces soirées d’hiver passées au coin du feu. […] je m’en vais vous raconter l’histoire d’un carnet de recherche en ligne qui par le pouvoir magique de ses résidents se transforma en Villa Réflexive… (« Conte féérique pour Villa réflexive »)
Mais notre Villa a une nature tout à fait unique :
Mais cette Villa n’était pas comme les autres. D’abord parce qu’elle était réflexive. Quelle curieuse Villa que voilà : dotée d’un esprit, capable de réfléchir, mieux de réfléchir sur elle-même. (Stéphanie Messal, « Conte féérique pour Villa réflexive »)
« Et peut-être est-on allés plus loin, jusqu’au bout des chemins de la réalité, semble nous dire Stéphanie : de Villa Réflexive à Villa Magique »
Une Villa qui réfléchit? Une Villa dotée d’un esprit? Bien sûr! Mais pour expliquer ces attributs il faudrait étudier d’autres figures de style (métonymie, personnalisation…) et ça serait une autre histoire… Et peut-être est-on allés plus loin, jusqu’au bout des chemins de la réalité, semble nous dire Stéphanie : de la Villa Réflexive à la Villa Magique…
C’est parce que des hommes et des femmes, venues de leurs contrées scientifiques lointaines avaient à cœur de partager leurs réflexions que cette Villa est née. Une Villa qui se voulait Réflexive à la base, se transforma en Villa Magique. Parce que oui, il y a encore beaucoup de magie en ce monde. C’est parce que des clés se sont passées de main en main en chaque fin et début de mois, parce que des tableaux se sont accrochés aux murs, parce que des voix se sont élevées sur des pages blanches que la Villa est née. (« Conte féérique pour Villa réflexive »).
L’expérience vécue à la Villa a déjà fourni de la matière de recherche pas seulement aux humanistes qui y habitent, mais aussi à un mathématicien qui comprend parfaitement « l’esprit Villa », et qui l’a même baptisé avec un néologisme, la Villariété :
Tout cela [l’analyse des mots utilisés pour définir la Villa ayant un usage mathématique : espace, base…] va m’amener à considérer la Villa réflexive comme une variété algébrique. Je décide de lui donner pour nom : “villariété”! Cette villariété possède donc des singularités selon le texte : on dit donc que c’est une variété algébrique singulière. […] Si je devais définir la villariété : “C’est l’ensemble des éléments (environnement et auteurs) qui constituent la Villa réflexive”. Chaque auteur serait une singularité de cette variété et engendrerait une transformation de la Villa durant son séjour (Florian Caullery, « La Villariété : variété réflexive », Presque Partout).
Finalement, la naturalisation de la métaphore s’est imposée à la réalité du carnet, à tel point qu’on ne sait plus où l’on est quand on lit les billets :
Et maintenant que je reparcours le carnet-maison rétrospectivement, la métaphore impose son “pattern” : je ne peux plus relire les billets autrement qu’avec des images mentales de pièces, couloir, salon, cuisine, chambre d’amis, cave aussi, et même extension, jardin, qui ont jalonné humoristiquement nos commentaires et nos tweets… (Marie-Anne Paveau, « Liminaires. Entrer dans les Espaces Réflexifs »).
De l’humanité du carnet et de la convivialité de notre Villa
Quand on lit nos billets « réflexifs », on a souvent l’impression de partager un esprit collectif particulièrement affectueux, chaleureux. À cet esprit répondent les mots qui expriment une connotation de chaleur, de chauffage (chaud = affectueux = humain). La seule référence « physique » au chauffage de la Villa, jusqu’à présent, c’est la cheminée autour de laquelle Stéphanie nous a raconté son superbe conte féerique. Mais il y a parfois des commentaires qui soulèvent l’idée d’échauffement des esprits qui habitent la #Villa, l’idée de convivialité :
Cet espace est un lieu de pensées multiples et parfois divergentes ou contradictoires, quelquefois convergentes, où les esprits doivent s’y “échauffer” pour résister à la tentation ou aux risques de l’isolement du chercheur, et aussi pour s’y “réchauffer” mutuellement un peu en ce début de février grelotant. (Christophe Tuffery, commentaire à Mélodie Faury dans « Indéterminée »)
Parallèlement, on retrouve plusieurs fois des mots qui expriment l’idée du partage et de l’accueil, particulièrement aux moments d’arrivée, quand les doutes et les incertitudes assaillent le nouveau locataire.[4] Le sentiment de timidité, d’embarras, avec lequel on se trouve à la porte de la maison (c’est à dire, au début du séjour) est souvent souligné dans le premier billet du mois. Les mots d’accueil, dans les commentaires comme sur Twitter, visent à éloigner les complexes, les peurs, les hontes des invités. Afin de rendre l’arrivée plus facile, Marie-Anne a placé à la porte, au début de l’année 2013, une jarre (dite « jarre aux complexes »), avec une légende très appropriée:
Cette jarre, pour moi, c’est le symbole de l’ouverture d’esprit qui caractérise notre Villa. Un lieu numérique devenu espace, où chacun garde son individualité même en partageant une maison. La maison de tous et la maison de personne. Une maison ouverte. Et surtout, un espace où la largesse des hôtesses (il est reconnu de tous, ce rôle de Stéphanie, Mélodie et Marie-Anne) a réussi à construire une communauté, pas seulement une villa. Un espace numérique fortement humain, peuplé de présences, de mots, d’échos, de pensées… Un espace bien soigné, construit avec grand soin par tous ses colocataires. Au fil des mois et des billets, mois après mois…
la Villa réflexive est un autre lieu, d’une autre forme où les mots, où les échanges et les rencontres se tissent. l’attente ici est celle de suivre là où nous emmène l’habitant.e pour un mois, le plaisir de comprendre d’où il parle et ce qu’il a à nous dire, à partir de cet objet pris en commun, la “réflexivité” (Mélodie Faury, commentaire à Raphaële Bertho dans « Par où commencer ? »)
la Villa réflexive s’étoffe de regards et d’approches, parfois de rencontres et de discussions. Beaucoup de questions se posent au fur et à mesure que le projet se développe et se partage, sur le fond du sujet que nous avons choisi d’aborder ici publiquement, mais aussi sur la forme que prend la Villa : un espace ouvert, où les locataires donnent leur écrits à voir à peu près au moment où ils les construisent. (Mélodie Faury, « Une Villa, un espace de recherche, un lieu de discussion? – Parenthèse entre juin et juillet »)
La construction de cette image de la Villa, telle qu’on l’a décrite, parle beaucoup de l’humanité présente dans les espaces numériques d’Hypothèses – ou peut-être dans les espaces des Sciences humaines et sociales, je ne peux pas l’affirmer.
L’expérience dite #VillaRéflexive
Pour finir, si l’on me permet, je voudrais placer ici deux textes empruntés qui reflètent très bien ce que j’ai éprouvé comme participante à l’ expérience collective de la Villa :
Cette expérience de carnet collectif est l’une des plus passionnantes de ma vie numérique de chercheuse et confirme la richesse tout à fait spécifique de la recherche en ligne : rencontres, dialogues, croisements, liens, collaborations. Si la recherche hors ligne est parfois, même souvent, silencieuse et solitaire (le retour sur nos travaux publiés n’est finalement pas si fréquent, explicitement en tout cas), la recherche en ligne est toujours peuplée des présences, paroles et pensées des autres. (Marie-Anne Paveau, « Pourquoi je vois pas mes yeux? », mars 2012)
Ce carnet collectif, dans sa concrétisation, est jusqu’à présent une belle surprise, et une expérience dont je n’aurais pas pu deviner l’intensité. Les échanges qui s’y nouent, et qui naissent, hors du numérique tout autant que dedans, sont irremplaçables : ce sont des discussions scientifiques, renouvelées, avec des interlocuteurs connus mais aussi avec de nouveaux regards, rencontrés. J’aime cette recherche en ligne que tu décris si bien, d’autant plus lorsqu’elle se tisse avec la recherche hors ligne. Et c’est, il me semble, ce que ces Espaces réflexifs font. (Mélodie Faury, commentaire au billet ci-dessus)
Sans aucune doute, notre #VillaRéflexive, qui va devenir peut-être #NotreVilla, est pour moi un lieu d’enrichissement pas seulement scientifique, mais aussi (et surtout?) personnel, dont le seul parallèle serait une maison. À mon avis, les chercheurs, avant tout, doivent « habiter » les lieux où ils veulent s’épanouir et doivent aussi les partager, en y traçant un chemin d’apprentissage interdisciplinaire, humain et permanent avec des autres. De vrais lieux de partage comme nos Espaces Réflexifs.
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(Texte inédit, 2019)
Crédits photographiques
Mirror par m kasahara licence CC-BY-NC-ND
Open door par Tracy licence CC-BY
Bradbury Building balustrade detail par Aude Lising, licence CC-BY-NC-ND
bureau sous les toits, Martine Sonnet, licence CC-BY
JARDIN-4D-automne-II-09854 par Méthode Jardin4D, licence CC-BY-SA
curtains par Judy van der Velden, licence CC-BY-NC-ND
« Nature transparente au jardin ». “Langue et transparences”. Photo © Elena Ruiz pour MorFlog (tous droits réservés)
« Jarre aux complexes ». Photo Le Chêne Vert, potier à Anduze – http://www.poteriedanduze.com/vert
Image « L’importance du cadre ». Hopper au Musée Thyssen Bornemisza (Madrid). Photo Elena Azofra pour Espaces réflexifs
- Les caractères gras, tout au long de ce chapitre, sont de la main de l'auteure; ils ne réflètent pas la typographie du texte original. ↵
- Rien d’étonnant chez les « réflexivistes » que nous sommes… ↵
- On a remarqué en caractère gras tous les mots ayant un rapport au terme réel maison : le lecteur peut suivre la mise en œuvre en lisant tous ces mots à la suite. ↵
- Les concepts de ‘partage’ et d'‘accueil’ sont présents dans les tweets des locataires de la Villa, souvent avec le symbole # qui sert à modaliser les énoncés, comme Marie-Anne Paveau explique très bien dans « Hashtag », sur le carnet Technologies discursives : « Emotion et modalisation. Il existe aussi des usages du hashtag liés à l’expression des émotions et aux modalisations des énoncés ». Les hashtags #partage ou #accueil, à mon avis, refléteraient la subjectivité énonciative des twitteurs liés à la communauté de la Villa. ↵