Module 2 : Du mémoire au projet de recherche, en passant par la thèse : les métiers de la recherche
10 Réduisez les incertitudes! Faire une thèse ou un mémoire : vocation à la recherche, recherche d’un grade et choix de l’université
Dali Serge Lida
Chers tous, chères toutes (étudiant-e-s en master de recherche et doctorant-e-s),
Je me permets cette intrusion dans vos plans, votre « vie », non pour en rajouter à vos difficultés quotidiennes, mais plutôt pour partager avec vous mon expérience des études doctorales, surtout celle relative à la préparation de ma thèse de doctorat. Je veux partager non pas que des incertitudes, des peines, de la détresse, mais également des moments de joie et de satisfaction qui marquent cette période des études universitaires. C’est enfin l’occasion de partager quelques leçons et conseils avec tous ceux et toutes celles qui sont à cette étape de leurs études, que dis-je, de leur vie professionnelle, et qui se reconnaitront dans le tableau que je tente de dresser ici.
J’ai vu sinon connu trois grands types de doctorant-e-s africain-e-s. Comme toute typologie, celle-ci est toute aussi arbitraire et discriminante. Elle est discutable, puisque je ne pouvais pas avoir eu à me confronter à toutes les expériences possibles. Ce que je veux partager avec vous relève de ce fait de mes expériences de doctorant africain (avec une expérience antérieure d’étudiant dans une université africaine) dans des universités européennes (françaises, notamment), puis d’enseignant-chercheur dans une université africaine.
Dans les universités européennes comme dans les universités africaines, j’ai pu déceler un premier type de doctorant-e-s constitué de ceux et de celles qui sont inscrit-e-s dans des programmes interuniversitaires subventionnés. Nombreux de ceux-là et nombreuses de celles-ci m’ont paru contraint-e-s par leurs propres résultats des années de licence et de master (des résultats excellents) et par les exigences de finalisation liées au programme auquel ils et elles sont inscrit-e-s.
Il y a également les étudiant-e-s qui se lancent dans la réalisation d’une thèse pour se donner plus de chance d’insertion professionnelle. Ceux-ci et celles-ci sont convaincu-e-s que l’incertitude réelle d’emploi, en contexte de crise, peut être surmontée avec un doctorat comme diplôme.
Enfin, il y a ceux et celles qui finissent par s’inscrire au doctorat à la recherche d’un titre de séjour européen. Ce type d’étudiant-e-s est celui qui, pour moi, porte peu de foi aux études doctorales, à la thèse de doctorat et au-delà, à la recherche. Normal, ils et elles y sont arrivé-e-s, un peu par obligation et de façon subsidiaire. Au bout de l’inscription en thèse et des possibilités de son renouvellement, il y a la possibilité, de la chance de s’insérer autrement, pour eux et elles…
Ces catégories, je ne les invente nullement. J’ai moi-même été étudiant à l’Université Félix Houphouët-Boigny, de 1995 à 2000, qui se nommait à l’époque l’Université de Cocody. Je fais partie de ceux et de celles qui, face à l’incertitude de l’emploi, étaient convaincu-e-s que la thèse de doctorat était le sésame. Il fallait, pour cette catégorie, se confronter aux difficultés économiques, à l’absence de cadres et de plateformes d’échanges scientifiques entre chercheurs, chercheuses et étudiant-e-s ou entre étudiant-e-s. Il fallait faire avec les moyens du bord : les ouvrages suggérés par le directeur ou la directrice, seules ses orientations, son timing ont constitué pour bien de ces cas, la structure et l’architecture du travail de thèse de cette catégorie de doctorant-e-s.
Ces catégories, je les tire également de ma propre expérience d’étudiant en France (Université Paris Dauphine de 2001 à 2003 et Université Paris Ouest Nanterre (2004 à 2008). Arrivé, en effet, à Paris Dauphine pour un diplôme professionnel, ma conviction que la thèse de doctorat m’aiderait à m’insérer professionnellement ne m’avait point quitté. J’ai donc fini le diplôme professionnel et pris une inscription dans un parcours de recherche. Je le réussis, puis je fus admis à préparer une thèse de doctorat au sein de l’École Doctorale Économie, Organisations et Société (EOS-Ecole des Mines), à l’Université Paris-Ouest Nanterre. De ce parcours, je puis retenir que mes compatriotes africain-e-s et moi-même avons été longtemps, quasiment et systématiquement confronté-e-s à une curiosité : notre parcours, notre choix de faire une thèse de doctorat et notre avenir. Autant, nos condisciples européen-ne-s, asiatiques, latino-américain-e-s, américain-e-s et canadien-e-s nous renouvelaient ces questions, autant nous les leur retournions.
Enfin, en tant qu’enseignant-chercheur, cofondateur d’un laboratoire de recherche au sein de l’Université Félix Houphouët-Boigny, j’ai continué à me poser les mêmes questions sur le compte des étudiant-e-s et à les leur poser également. Les réponses à ces questions varient bien évidemment, mais sans toutefois sortir totalement de la typologie que j’ai indiquée ci-haut.
Je n’en veux donc à aucune des catégories de doctorant-e-s décrites ici. Je ne les dénigre pas, d’autant plus que je suis convaincu du poids de la variété des contingences liées au parcours qui mènent à la soutenance d’une thèse de doctorat. Autant pour ceux et celles des étudiant-e-s africain-e-s qui poursuivent leurs études dans les universités étrangères que pour ceux et celles resté-e-s dans leur pays, je mesure l’ampleur des pesanteurs sociales (les socialités primaires mêlées aux socialités secondaires) sur les choix des parcours universitaires, y compris sur le temps à y consacrer.
Mon propos vise essentiellement à partager une vision de la thèse de doctorat. Être inscrit-e ou s’inscrire en thèse de doctorat augure l’entrée dans une profession : la recherche scientifique. Ce n’est donc pas seulement un niveau dans un processus d’apprentissage ou d’instruction. C’est aussi, et bien plus, l’entrée dans un processus d’articulation, de l’instruction à la formation et à l’insertion professionnelle.
En vous inscrivant en thèse de doctorat, dites-vous, en premier lieu, que vous entrez dans une carrière professionnelle qui peut demeurer la vôtre, toute votre vie ou bien qui est celles d’autres personnes. Puis, en la considérant comme telle, respectez-en les codes et les pratiques. Faites comme si c’était un travail à plein temps, le vôtre.
Une fois ce premier niveau acquis et adopté, réorganisez votre vie en fonction de votre recherche. Je veux dire par-là qu’il vous faille réorganiser votre quotidien en y intégrant votre recherche, en termes d’activités concrètes à mener, de temps à y consacrer en moyenne, de moyens à déployer, de ressources sociales à mobiliser, y compris les personnes à solliciter ou avec qui interagir autour de votre objet de recherche selon son évolution.
Cela suppose auparavant que vous avez choisi de ne travailler que sur des objets scientifiques qui vous intéressent, même dans le cas où ceux-ci s’avéreraient vous être suggérés par un directeur ou une directrice de recherche. Même dans le cas d’un contrat ou d’une quelconque convention d’étude, faites en sorte de participer de manière active à la construction ou à la co-construction de l’objet d’étude. Souvenez-vous, il s’agit d’un travail à plein temps qui rentre dans votre carrière professionnelle. Il faut que vous soyez vraiment intéressé-e par ce que vous vous engagez à faire. C’est un engagement à conduire une recherche scientifique.
La thèse de doctorat est un processus contraignant. Elle est une activité sociale qui consacre le début de la carrière de chercheur ou de chercheuse. Elle consiste en l’élucidation d’un problème social par sa transformation en un problème scientifique, qu’on finira par solutionner ou expliquer par la mobilisation de théories et de pratiques (méthodologiques). Il faut donc la commencer et la terminer. Mais, il n’est pas facile de se contraindre soi-même. C’est pourquoi, j’invite ici les doctorant-e-s à s’inscrire dans des groupes de recherche formels (laboratoires, centres et instituts de recherche). Si cela paraît évident ailleurs en Occident, ce n’est pas le cas en Afrique. Je sais qu’en Afrique, les thèses de doctorat se font parfois en errance, pour qualifier la situation d’étudiant-e-s qui sont inscrit-e-s, très nombreux et nombreuses, avec des directeurs ou directrices de thèse qu’ils et elles rencontrent très peu, d’autant qu’il n’y a pas ou qu’il y a très peu de laboratoires ou de centres de recherche qui fonctionnent comme tel. J’encourage donc les étudiant-e-s qui vivent une telle situation à former des groupes de recherche informels (des associations de doctorant-e-s de spécialités) et à y interagir régulièrement. Cela vous maintient dans votre activité de recherche et les échanges vous aident à avancer.
Assumez vos recherches, rendez-les visibles; c’est votre travail, votre profession sinon l’un des indicateurs de votre profession. Plus les autres en savent davantage, plus ils et elles peuvent y apporter des observations, des critiques, plus vous vous convainquez d’être sur la bonne voie et plus vous acceptez le métier de chercheur ou de chercheuse. L’intellectuel-le, c’est certes celui ou celle qui est radical-e, mais d’une radicalité fondée en théorie et en pratique. Accepter que les autres portent des regards différents sur votre recherche peut transformer vos convictions dans la démonstration ou les conforter.
Je ne pense pas avoir fait le tour de la question, mais je voudrais terminer mon propos en vous souhaitant du courage, une fois que vous êtes engagé-e-s ou que vous souhaitez vous engager dans des études doctorales, avec pour objectif d’obtenir une thèse de doctorat. Ayez la conviction suivante : « Ton travail ou ta carrière professionnelle se trouve dans ta thèse de doctorat, si tant est que tu as choisi d’en faire une… ». Cette conviction, je la tiens du professeur Alain Aymard de l’Université Paris-Dauphine, à qui j’étais venu expliquer tout un tas de difficultés relatives à mes études en France.
Je sais que vous vous attendiez certainement à ce que je touche à des questions beaucoup plus techniques, méthodologiques ou académiques concernant la thèse de doctorat, j’y reviendrai à une autre occasion. J’espère juste que le survol de ces quelques aspects vous aidera à prendre la bonne décision.
Bien à vous.
Dali Serge LIDA,
Maître de Conférences (Sociologie Économique),
Laboratoire de Sociologie Économique et
d’Anthropologie des Appartenances Symboliques
(www.laasse-socio.org)
Université Félix Houphouët-Boigny (Abidjan)