Module 10 : Diffusion et restitution des savoirs créés

46 Écrire et publier un article scientifique

Gilbert Willy Tio Babena

Présentation du thème et de l’auteur du chapitre

La publication scientifique est une étape importante de l’activité du chercheur ou de la chercheuse. Paradoxalement, très peu d’ateliers d’écriture sont organisés dans les universités et institutions de recherche pour aider les débutant-e-s dans le métier à se faire la main. Les cours de méthodologie de la recherche consacrés à la rédaction des thèses et des mémoires sont généralistes et ne peuvent pas répondre aux besoins d’initiation à l’écriture d’un article scientifique. Ce chapitre entend proposer des repères. Pour aller plus loin, le lecteur ou la lectrice pourra se référer à la bibliographie commentée.

Ancien élève de l’École Normale Supérieure de l’Université de Maroua, Gilbert Willy Tio Babena est actuellement secrétaire général du Grenier des savoirs, directeur de la collection « Langues, linguistique et analyse du discours » aux Éditions science et bien commun et enseignant-chercheur à l’Université de Maroua. Outre ses travaux sur les discours sociaux (interactions en situation de corruption, discours politique, médiatique, littéraire…), il est fortement intéressé par des alternatives qui servent à contourner les obstacles spécifiques à la recherche du Sud.

L’écriture et la publication d’un article scientifique sont en général une source de stress dans le parcours initiatique d’apprenti-e-s ou de jeunes chercheurs et chercheuses. Cet état psychologique résulte quelquefois du mandarinat qui a cours dans le monde de la recherche scientifique ou de la violence du positivisme institutionnel. Dans ce système, l’évaluation du texte scientifique, imaginée pour contrôler et assurer la validité des résultats de la recherche, est paradoxalement devenue l’un des mécanismes pernicieux qui altèrent l’estime de soi et renforcent inconsciemment le sentiment de nullité.

Il est possible d’avancer, d’une part, que les insuffisances des auteurs et autrices moins ou non expérimenté-e-s s’expliquent par la croyance erronée selon laquelle l’enseignement de la méthodologie de la rédaction d’un mémoire ou d’une thèse serait assimilable à la rédaction d’un article. D’autre part, on soulignera le fait que bon nombre de programmes universitaires ne proposent pas des ateliers d’écriture scientifique dans lesquels les étudiant-e-s et les jeunes chercheurs et chercheuses apprendront à tremper la plume dans l’encre pour transcrire méthodiquement dans un texte les résultats de leurs travaux. L’écriture et la publication scientifiques sont très souvent un parcours solitaire parsemé de tâtonnements, d’essais et d’erreurs, d’autoapprentissage… En plus des fondements qu’il faut maîtriser pour arpenter ce chemin, j’essaierai de traduire ici les points essentiels de ces deux grands moments de diffusion des savoirs.

Précis de rédaction d’un article scientifique

Cette section tentera d’indiquer comment trouver les idées de publication. À la différence d’un mémoire ou d’une thèse, un article scientifique est une recherche moins étendue, dans la durée et dans le contenu, et présentée dans un format réduit. Il nécessite dès lors l’élaboration d’un échéancier réaliste et l’adoption d’une méthodologie qui valide les résultats.

Trouver des idées pour rédiger un article scientifique

La recherche, en tant que métier ou activité qualifiante et certificative du chercheur et de la chercheuse, amène inévitablement à se poser la question de savoir comment trouver des idées pour contribuer à l’évolution de la science. Aussi abstraite qu’elle puisse quelquefois paraître, cette dernière n’est pas coupée du monde réel qu’elle se propose d’observer et de scruter méthodiquement dans le but d’aboutir à des résultats reproductibles dans les mêmes conditions et dans d’autres contextes d’expérimentation. L’idée de la reproductibilité semble toutefois problématique en sciences humaines et sociales puisqu’elle sous-entendrait par exemple que les phénomènes humains et sociaux sont figés d’un lieu à un autre, d’une époque à une autre. C’est d’ailleurs sous cet angle que Sarah Calba et Robin Birgé (2019) proposent de déconstruire ce mythe de la neutralité scientifique.

Pour Michael Jay Katz, (2006 : ix-x), faire la science moderne revient ainsi à enrichir une collection de savoirs à partir soit de l’observation-description des phénomènes naturels, soit d’un réexamen des connaissances existantes. L’évolution de la science est mesurable à l’enrichissement de cette collection, lequel n’est possible qu’à condition d’approcher les phénomènes exogènes ou endogènes à la science à partir de la notion d’obstacle. Selon Gaston Bachelard, l’« obstacle épistémologique s’incruste dans la connaissance non questionnée » (2011 : 17), ce qui implique d’une part que toute dimension de l’univers ou tout phénomène naturel n’ayant pas encore fait l’objet d’une description est potentiellement un sujet de réflexion scientifique.

L’observation, entre autres, des sociétés humaines, des modes de vie, des façons de parler, de se déplacer, des contacts entre les groupes, des cultures et des langues peuvent ainsi nourrir les idées d’articles scientifiques en sciences humaines et sociales. La fécondité de cette expérience première doit toutefois être prise avec prudence et esprit critique quand on sait que les premiers journaux scientifiques datent de plus de 300 ans (Day, 1995 : 4) et que les vieilles civilisations – à l’instar de l’Égypte antique, de l’Arabie islamique, de la Grèce antique et de la Chine – ont légué à l’humanité un patrimoine important de savoirs. Il convient, dès lors, d’éprouver l’originalité d’une idée de recherche en la confrontant à la littérature existante. La lecture des travaux antérieurs permet non seulement de dresser un état de la question, mais elle révèle surtout les aspects non questionnés qui sont, dans la logique de l’esprit scientifique, de nouvelles voies à explorer. C’est du moins ce qui est enseigné dans les cours de méthodologie de rédaction des thèses et mémoires de recherche. Les chapitres de ces travaux académiques peuvent donc aisément être transformés en articles scientifiques.

Par ailleurs, les idées d’article peuvent découler de projets de recherche financés par les gouvernements, les universités, les institutions de recherche ou partenaires. La plupart des travaux sur le VIH-SIDA, sur le paludisme et, très récemment, sur le Covid-19 ont bénéficié de ce type de financement[1]. Les profils de candidature (job description) pour le recrutement des doctorant-e-s, postdoctorant-e-s et des chercheurs et chercheuses rappellent de plus en plus que les candidat-e-s devront rédiger des articles pendant l’exécution de leur contrat ou après la réalisation de leurs travaux. Pour ce faire, les hypothèses de base ou les premiers résultats sont généralement présentés devant les pair-e-s ou les bailleurs de fonds dans les séminaires de recherche, les conférences ou les colloques. L’idée ou le titre d’un article, la problématique et les hypothèses de travail sont alors affinés à la suite d’une évaluation sommaire et préliminaire qui s’effectue par le truchement du jeu des questions-réponses, des commentaires et suggestions. La participation à ces moments d’échange scientifique permet de se tenir informé-e de l’actualité du domaine en même temps qu’elle inspire de nouvelles pistes de recherche.

Organiser et mener sa recherche

Conduire un travail de recherche n’est pas chose aisée lorsqu’on débute dans le domaine. L’accumulation des données, informations et résultats déjà obtenus sur un sujet dans lequel on s’engage, ou alors partir des intuitions de l’expérience première, apparaît souvent comme une montagne dont l’impact psychologique est de nature à décourager. Quoi qu’il en soit, un travail de recherche doit être délimité dans le temps et comporter des étapes, lesquelles correspondent à peu près à des objectifs intermédiaires. En règle générale, la rédaction d’un article scientifique est plus rapide que celle d’un mémoire ou d’une thèse comme il a été mentionné en amont. On ne se risquerait pas d’avancer une durée précise, car cela dépend véritablement de la complexité du sujet, de la disponibilité ou non des données ou de la documentation, des équipements, des moyens financiers quelquefois, des enjeux et de la motivation, des aptitudes rédactionnelles individuelles, etc. Toutefois, entre l’acceptation d’un projet d’article proposé à une revue scientifique sous forme d’un résumé ou présenté dans un colloque sous le modèle d’une communication, on peut estimer entre deux et trois mois le délai de rédaction accordé aux auteurs et autrices pour produire le texte complet; ce délai peut être extensible en fonction des aléas. Cependant, plusieurs revues reçoivent directement les textes complets, laissant ainsi le soin aux chercheurs et chercheuses de mener leurs travaux sans pression et de leur soumettre les résultats lorsqu’ils ou elles les estiment satisfaisants ou suffisamment valides pour être acceptés par la communauté des pair-e-s.

La rédaction d’un article scientifique peut globalement s’effectuer en quatre étapes : la revue de la littérature sur le sujet, la collecte des données, l’analyse et la rédaction à proprement parler. Il convient, comme déjà évoqué, de fixer un échéancier avec un temps de réalisation de chaque étape de manière à ce que l’exécution puisse faciliter les autres étapes. La recension des travaux ou la revue de la littérature consiste à identifier et à s’imprégner des ouvrages généraux de même que les articles indispensables à la compréhension du sujet. Il n’est pas juste question d’indiquer que monsieur ou madame Untel a écrit sur le sujet, mais de mettre surtout en relation ce travail avec celui que l’on réalise après y avoir dégagé la méthode, les résultats et les conclusions qui, au demeurant, peuvent être différents de ceux qu’on obtiendra. Une recension faite à la légère pourrait négativement impacter la discussion des résultats. L’absence d’un capital de lectures rend difficile la fécondité scripturale du chercheur ou de la chercheuse. Car, comme l’écrit le poète Jean-Claude Abada Medjo, « Toute lecture est lecture, et l’écriture réécriture d’écritures » (2012 : 62). Ramené au propos de ce chapitre, cet apophtegme communique l’idée que l’activité de lecture implique, d’une part, un effort de compréhension et que l’écriture suppose, d’autre part, un réinvestissement des savoirs acquis au terme d’une revue de la littérature entre autres.

Les données, selon les disciplines des sciences humaines et sociales, peuvent être un corpus de textes de loi, un rapport financier, des discours politiques, des documents audiovisuels, un sondage, des entretiens, des images, des cartes, des événements historiques, etc. Leurs conditions de recueil sont très souvent décrites, suivant les méthodologies particulières, dans une partie spécifique de l’article ou à l’introduction. L’analyse, quant à elle, selon qu’elle soit qualitative ou quantitative, procède par la mise en place d’un ou de plusieurs paradigmes (collections) comparatifs, opposés, différentiels, statistiques à partir desquels des conclusions sont mises en évidence après une opération de déduction, d’induction ou d’abduction[2]. L’ordre des deux premières étapes (la recension et la collecte) peut être modifié si l’idée de l’article est inspirée des données et que le chercheur ou la chercheuse entre nouvellement dans le domaine. Dans certains cas, ces étapes peuvent s’effectuer concomitamment, mais la connaissance du domaine ou la réalisation antérieure de la collecte des données – effectuée soi-même, par un collaborateur ou une collaboratrice – peut réduire le nombre d’étapes à deux ou à trois.

Rédiger ses résultats dans le format article

Le chercheur ou la chercheuse consacre une part non négligeable de son temps à la rédaction des résultats de sa recherche. Outre les compétences techniques spécifiques à son domaine, il ou elle doit aussi se doter des compétences linguistiques sans lesquelles il ou elle ne pourra pas communiquer le fruit de son travail au monde en général et à la communauté scientifique en particulier. L’écriture scientifique est par définition technique dans la mesure où elle est caractérisée par un métalangage compris, d’une part, comme le lexique spécialisé et le langage formel propres à une discipline et, d’autre part, comme la structure énonciative du discours scientifique lui-même. Elle vise à rendre intelligibles des phénomènes complexes et doit, pour ce faire, être claire. La clarté suppose l’utilisation d’un vocabulaire précis et univoque pour éviter des ambiguïtés, des phrases plus ou moins courtes pour faciliter la compréhension, l’usage du présent de vérité – dans la majeure partie des cas – pour rendre compte des faits et la distance du chercheur ou de la chercheuse avec son sujet d’étude marquée par l’utilisation de l’impersonnel (Day, 1995; Katz, 2006; Belleville, 2014; Gemayel, 2016; Robitaille et Vallée, 2017).

Rédiger un article scientifique peut s’avérer un exercice plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord. L’écriture scientifique possède, en effet, son propre code qui diffère de celui qui s’applique à l’écriture utilitaire ou à l’écriture créative. (Robitaille et Vallée, 2017 : 7)

Il faut toutefois se garder d’être rigide dans l’application de ces bonnes règles puisque l’écriture scientifique relève d’un art qui vise à traduire les vérités du monde. Les approches décoloniales défendent par exemple l’idée d’une écriture située qui, en même temps qu’elle traite des phénomènes d’intérêt scientifique, reflète fortement l’engagement de son auteur ou son autrice, ou la perception subjective des phénomènes réels. La neutralité axiologique est donc une illusion qui cache intrinsèquement la floraison d’une pluralité des pratiques longtemps restées marginales (Pontoizeau, 2019). Face à l’hégémonie écrasante du positivisme institutionnel, on a vu émerger tant dans les mémoires et thèses que dans les articles scientifiques, des textes écrits à la première personne, défendant une archéologie de différents types de savoir avec en sus un positionnement militant (Brière et al., 2019). Dans la rédaction d’un article scientifique, il est désormais nécessaire d’approcher les problèmes que l’on traite en écoutant aussi bien le discours de la méthode positiviste que les voix philosophiques qui invitent à ne point désincarner la recherche.

Reprenant ainsi une vieille tradition en vigueur dans les sciences dures et médicinales, plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales ont adopté le format stéréotypé IMRAD – Introduction, Methods, Results And Discussion – qui se décline dans le détail en Abstract, Introduction, Materials and Methods, Results, Discussion, Conclusion et References (Day, 1995; Ecarnot et al., 2015; Katz, 2016). Si la méthode a fait ses preuves et reste d’ailleurs un standard de la rédaction des articles scientifiques, il ne s’agit bien évidemment pas de la seule manière de présenter les travaux de recherche, notamment en ce qui concerne le titre, les données et la méthode, les résultats et leur confrontation aux travaux antérieurs. À côté des titres plus conventionnels dits modèles parce qu’ils comportent « the fewest possible words that adequately describe the contents of the paper » (Day, 1995 : 14), nombre d’articles scientifiques affichent aujourd’hui des titres rhétoriques[3] qui se répondent en écho ou évoquent des événements factuels qui sont l’objet de l’étude[4]. Les méthodes d’analyse et de recueil des données peuvent ainsi être décrites dans l’introduction tout comme les résultats pourraient être discutés sous les titres des sections ou sous-sections qui évoquent autant les notions que les faits observés. Si les traditionalistes peuvent se fourvoyer ou trouver une « non-science » dans ces autres formes d’écriture de la science, on rappellera tout de même que la mécanique du format IMRAD peut être décourageante pour un lectorat plus habitué aux efforts de stylisation des textes de savoir. De même, le grand vent d’ouverture qui traverse la science invite le citoyen-chercheur ou la citoyenne-chercheuse à écrire désormais pour les autres parties prenantes de la production des savoirs scientifiques à l’instar des associations, des bailleurs de fonds, des municipalités, des comités de développement, des citoyen-ne-s lambda, etc. En tout état de cause, la rédaction d’un article devrait intégrer de quelque manière que ce soit les contraintes de la publication scientifique.

Publication d’un article scientifique

Même si les pratiques admettent aujourd’hui de citer ses propres textes inédits ou ceux des collègues qu’on a par exemple relus, il faut bien se résoudre à admettre que c’est la publication qui consacre les résultats d’un article scientifique. « Too many scientific papers fall silently in the woods », écrit alors Day (1995 : 2) pour signifier que plusieurs manuscrits ne connaissent pas la félicité de la publication. Au lieu de s’appesantir sur les raisons de cet échec, cette section indiquera deux grands moments qui marquent la publication.

Choisir une revue et soumettre son texte

Dans les blogs et forums dédiés à la recherche, les articles inédits sont souvent comparés à des voitures de luxe qu’on aimerait voir exposées dans les plus grands salons automobiles. Cette autodérision traduit non seulement l’appréciation méliorative que l’auteur ou l’autrice a de son travail avant de le soumettre à un éditeur ou une éditrice, mais aussi le fait qu’il ou elle aimerait le voir publier dans une revue prestigieuse afin qu’il soit abondamment lu et cité. Ce désir soulève deux questions : le choix de la revue d’une part et de l’évaluation d’autre part. En fait, la rédaction d’un article scientifique s’accompagne nécessairement de la réflexion sur la tribune dans laquelle les résultats seront publiés. A priori, la publication dans les revues spécialisées les valorise dans la mesure où elle suppose une évaluation de spécialistes. Mais un travail scientifique peut tout aussi bien trouver sa place dans des revues plus généralistes, dans les ouvrages collectifs que dans des mélanges en hommage aux collègues retraité-e-s ou décédé-e-s. Le plus important est cependant la qualité et la transparence du processus de l’évaluation par les pair-e-s (peer-review). Bien que les collègues soient aussi aptes à apporter des corrections formelles (style, grammaire et orthographe), on gagnerait à différencier le terme « révision », mot issu de l’anglais reviewing qui correspond au processus d’évaluation scientifique, de la « révision linguistique », activité de relecture d’un texte qui a entre autres pour objectif d’améliorer la communicabilité des idées et l’expression langagière, d’ajuster le contenu et la présentation au public destinataire, d’attirer l’attention de l’auteur ou de l’autrice sur les faiblesses (contresens, redites, absence ou erreurs de référencement, soupçons de plagiat, etc.), de corriger les coquilles, etc. En d’autres termes, le premier type de révision est exclusivement réservé aux spécialistes d’un domaine de recherche tandis que le second type exige des compétences langagières et est même parfois une profession à part entière dans certains pays.

Contrairement aux ouvrages, les revues ont l’avantage de paraître périodiquement et d’être généralement faciles d’accès. Leur importance est en fonction de certains indicateurs de visibilité tels que le facteur d’impact (Impact Factor ou IF) ou l’indexation. Dans le paysage francophone, une pléthore de revues en sciences humaines et sociales fait le choix de l’indexation au détriment de l’IF. La philosophie de diffusion du savoir qui me semble juste et équitable est celle qui prône une large accessibilité et se rapproche de l’idéal de justice cognitive, lequel valorise tous les types de savoir. Elle encourage l’accompagnement et la prise en considération de jeunes revues – à l’instar de celles du Grenier des savoirs – et des revues dites locales en vue de leur professionnalisation et de leur indexation dans les bases de données. Ces revues contribuent efficacement à diffuser les résultats de la recherche dans la mesure où la publication dans les grandes revues n’est pas toujours à la portée des débutant-e-s ou des chercheurs et chercheuses des Suds puisqu’elles sont très souvent restrictives et excluantes de par leur politique éditoriale ou leur accès limité. Plutôt que de choisir une revue payante, il est donc préférable d’envisager une publication en libre accès, de préférence dans les revues diamant qui ne demandent pas de frais aux auteurs et autrices, mais également au lectorat. C’est un choix qui augmente plus vite la visibilité de jeunes chercheurs et chercheuses étant donné que leur texte peut être accessible à partir d’un simple moteur de recherche et cité, à cet effet, dans le monde entier.

Outre l’accessibilité et l’indexation, le choix d’une revue doit être motivé par la qualité de son processus d’évaluation. C’est l’un des points de démarcation entre les revues sérieuses et les revues dites prédatrices – qui sont nuisibles parce qu’elles rackettent les auteurs et autrices en publiant des articles aux résultats douteux et comportant parfois des contre-vérités. La révision par les pair-e-s ou peer-review est le processus d’évaluation le plus utilisé par les milieux scientifiques. Lorsque le texte complet est soumis à une revue, celle-ci se charge souvent de l’envoyer à des collègues, généralement spécialistes et plus expérimentés, qui apprécient l’intérêt du sujet pour le domaine, le lien entre la problématique, les questions de recherche, les hypothèses, les résultats et la conclusion en passant par la méthode, les références, le respect du protocole de la revue et éventuellement le plagiat. Ce travail d’expertise débouche sur une décision argumentée (accepté en l’état, accepté après modification majeure ou mineure du contenu, refusé). À côté du peer-review, il existe d’autres types de procédure d’évaluation : ouverte croisée, par les co-auteurs et co-autrices (pour certains projets d’ouvrage), par le comité de rédaction. Du premier jet à la publication, un article scientifique peut faire entre six mois et un an dans le circuit, voire plusieurs années.

Répondre à une évaluation scientifique

Le retour d’évaluation peut être brutal pour les jeunes chercheurs et chercheuses qui n’ont pas toujours été préparé-e-s à faire face aux critiques qui leur sont adressées. La règle de l’anonymat qui encadre la révision scientifique ne prévoit pas des dispositions particulières pour apprécier le travail des novices ou des personnes moins aguerries dans un champ de recherche quoiqu’un évaluateur ou une évaluatrice expérimenté-e peut déceler les manquements ou les marques du noviciat dans un texte. Le fait que l’évaluation soit aussi un parcours solitaire, tout comme l’apprentissage de l’écriture scientifique dans bien des cas, ouvre la voie à la pédagogie de l’humiliation qui est une injustice cognitive persistante dans les milieux scientifiques (Piron et al., 2016). Mes charges de secrétaire général du Grenier des savoirs (depuis 2019) et ma propre expérience de chercheur me donnent d’être témoin des dérives autoritaristes de certain-e-s évaluateurs et évaluatrices. Parmi les réactions les plus surprenantes, on note entre autres :

  • les décisions de rejet non motivé;
  • l’absence des marques de révision dans un texte rejeté, mais paradoxalement supposé avoir été évalué;
  • les décisions fantaisistes d’acceptation en l’état d’un texte alors que tous les indices apparents amènent à recommander au moins un minimum de réaménagement;
  • la volonté d’imposer une vision monolithique et hégémonique d’une école ou des pratiques scientifiques;
  • le complexe du maître ou de la maîtresse et l’« instinct conservatif » qui, des mots du philosophe des sciences Gaston Bachelard (2011 : 17), nuisent à la science alors même que son développement dépend essentiellement de sa capacité à « accepter une mutation brusque qui doit contredire le passé » (ibid. : 16).

En dépit de ces injustices cognitives, l’évaluation de la recherche demeure une condition essentielle de la validité des résultats. L’acceptation d’un manuscrit sous réserve des modifications suggérées par les évaluateurs et évaluatrices devrait donc être perçue comme la reconnaissance que le travail présenté à la communauté scientifique est digne d’intérêt. Il faut se mettre à l’esprit que l’invitation à produire une version révisée vise à clarifier certains points et à relever le niveau de l’article. À mon sens, le chercheur ou la chercheuse est soumis-e à un devoir d’humilité et devrait bénéficier des droits à la justification et au désaccord face au rapport d’évaluation qui lui est adressé. L’humilité suppose, d’une part, la prise en compte des avis divergents aux siens, une disposition à intégrer, d’autre part, les corrections demandées et à répondre favorablement aux commentaires objectifs sur les manquements du texte soumis à évaluation.

Le droit à la justification reconnaît implicitement que le chercheur ou la chercheuse présente un travail perfectible. Concrètement, l’ajout d’un paragraphe ou le développement d’une partie peut relever de l’acte de justification quoique ce droit renvoie d’abord à la possibilité d’avancer les raisons qui ont présidé au choix du matériau d’analyse, des outils, des méthodes et qui ont, par conséquent, permis d’aboutir aux conclusions présentées dans l’article. Il est pertinent de garder à l’esprit que les commentaires de l’évaluation anticipent en général les malaises d’un lectorat potentiel ou les critiques de la communauté des pair-e-s. Ce faisant, en produisant une version révisée qui répond le plus possible aux attentes des évaluateurs et évaluatrices, on prépare un meilleur accueil du texte tout en le marquant du sceau de l’acceptabilité.

Le droit au désaccord, quant à lui, est l’affirmation d’une pluralité des pratiques, mais on peut également en user s’il se trouve que l’évaluateur ou l’évaluatrice s’est trompé-e : l’erreur est à prendre en compte dans la réalisation des activités humaines. Les comités de gestion des revues prévoient généralement des mécanismes d’arbitrage comme le fait de convoquer par exemple une troisième ou une quatrième évaluation. La persistance du désaccord peut motiver la revue à rejeter le texte tout comme elle est une raison suffisante pour l’auteur ou l’autrice de demander lui-même le retrait de son texte du circuit de la publication. Le devoir d’humilité et les droits de justification et du désaccord font résolument avancer la science de même que les pratiques d’écriture scientifique. Dans nos derniers échanges, l’anthropologue éthicienne Florence Piron me racontait son long et passionnant combat pour faire accepter sa conception de l’épistémologie du lien – parler de soi tout en (se) liant (à) l’autre – dans un contexte dominé par l’épistémologie positiviste. La publication de sa « méditation haïtienne » en 2017 s’est faite à l’issue de ce type d’interactions avec les responsables de la revue savante Sociologie et sociétés qui anime les débats scientifiques sur les questions sociales depuis 1969. Mais très souvent, il ne s’agit là que d’un coup de force ou d’un privilège accordé aux maîtres et maîtresses, aux chercheurs et chercheuses expérimenté-e-s…

Bibliographie commentée

Bachelard, G. (2011). La Formation de l’esprit scientifique. J. VRIN.

Cet ouvrage est un traité d’épistémologie des sciences qui décrit avec méthode le parcours qui mène aux découvertes scientifiques. À partir des notions centrales d’obstacle, d’expérience et de connaissance, l’auteur montre que le questionnement des phénomènes est une attitude essentielle à la démarche scientifique. https://gastonbachelard.org/wp-content/uploads/2015/07/formation_esprit.pdf

Belleville, G. (2014). Assieds-toi et écris ta thèse ! Trucs pratiques et motivationnels pour la rédaction scientifique. Presses de l’Université Laval.

Comme son titre l’indique, ce livre opte pour un style impératif pour pousser les thésards et thésardes à l’écriture. L’autrice propose une recette de petites astuces que l’on peut retrouver dans cette communication donnée en 2015 à l’Université de Strasbourg : https://www.youtube.com/watch?v=qbQ02vJkXQw. C’est un mode d’emploi qui est également transposable dans l’écriture d’article scientifique.

Brière, L., Lieutenant-Grosselin, M. et Piron, F. (2019). Et si la recherche scientifique ne pouvait pas être neutre? Éditions science et bien commun.

Les contributions de ce collectif remettent en question le modèle positiviste de la recherche à partir de l’hypothèse que l’étude des phénomènes sociaux par les disciplines rend illusoire l’idée de neutralité soutenue avec force par le positivisme institutionnel. Le livre présente donc d’autres manières de faire la science (approches décoloniales, féministes, recherche-action) qu’il serait intéressant de connaître lorsqu’on s’engage dans la recherche. https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/neutralite/

Day, R. A. (1995). How to Write and Publish Scientific Paper (4e éd.). Cambridge University Press.

Plusieurs fois réédité, le livre de Day propose trente petits chapitres qui répondent aux questions que peut se poser un chercheur ou une chercheuse en début de carrière : qu’est-ce que l’écriture scientifique ? Qu’est-ce qu’un article scientifique ? Comment rédiger une introduction ou citer ses références ? Etc. Les articles d’Ecarnot et al. (2015) et Gemayel (2016) placés en références complémentaires peuvent être considérés comme des précis qui s’inscrivent dans le même sillage. Notons toutefois que ces textes sont très normatifs.

Katz, M. J. (2006). From Research to Manuscript. A guide to Scientific Writing. Springer.

Tout comme la référence précédente, cet ouvrage de Michael Jay Katz est fortement positiviste, mais il reste très utile cependant pour comprendre les techniques de l’écriture scientifique. Il est organisé en trois chapitres : outils et méthodes, l’article scientifique et les étapes de la publication.

Robitaille, C. et Vallée, A. (2017). Comment faire un article scientifique ? Centre de recherche sur l’adaptation des jeunes et des familles à risque. http://www.cms.fss.ulaval.ca/recherche/upload/jefar/fichiers/devenir_chercheure_nov_2017_web.pdf.

Ce document en libre accès, réalisé par un centre de recherche de l’Université Laval, est très pratique pour apprendre la rédaction d’un article scientifique. En plus d’être écrit en français, il a l’avantage de proposer une synthèse de ce qu’il faut savoir de la publication scientifique, de son métalangage et des petits « trucs du métier » de chercheur et chercheuse.

Références complémentaires

Abada Medjo, J. C. (2012). Les Machinations du sable. L’Harmattan.

Calba, S. et Birgé, R. (2019). Langagement. Déconstruction de la neutralité scientifique mise en scène par la sociologie dramatique. Dans L. Brière, M. Lieutenant-Grosselin et F. Piron (dir.), Et si la recherche scientifique ne pouvait pas être neutre? (p. 355‑419). Éditions science et bien commun.

Ecarnot, F., Seronde, M.-F., Chopard, R., Schiele, F. et Meneveau, N. (2015). Writing a scientific article: A step-by-step guide for beginners. European Geriatric Medicine, 6, 573‑579.

Gemayel, R. (2016). How to write a scientific paper. The FEBS Journal, 283(21), 3882‑3885. https://doi.org/10.1111/febs.13918

Métangmo-Tatou, L. (2001). Lorsque la cola n’est plus le fruit du colatier. Cryptonymie et évolution diachronique du lexique de la corruption au Cameroun. Le Français en Afrique, 15, 169‑182. http://www.unice.fr/bcl/ofcaf/15/Metangmo.html

Ousmanou, M. (2021). À chacun son dialogue national. Analyse multimodale du vidéoblogue « 03 minutes du peuple ». Jeynitaare. Revue panafricaine de linguistique pour le développement, 1(1), 101-129. https://dx.doi.org/10.46711/jeynitaare.2021.1.1.5

Piron, F. (2017). Médiation haïtienne. Répondre à la violence séparatrice de l’épistémologie positiviste par l’épistémologie du lien. Sociologie et sociétés, 49(1), 33‑60. https://doi.org/10.7202/1042805ar

Piron, F., Mboa Nkoudou, T. H., Pierre, A., Dibounje Madiba, M. S., Alladatin, J., Rhissa Achaffert, H., Fall, A., Inson Michel, R., Hachani, S. et Diouf, D. (2016). Vers des universités africaines et haïtiennes au service du développement local durable : Contribution de la science ouverte juste. Dans F. Piron, S. Regulus et M. S. Dibounje Madiba (dir.), Justice cognitive, libre accès et savoirs locaux (p. 3‑25). Éditions science et bien commun.

Pontoizeau, P.-A. (2019). De l’impossible neutralité axiologique à la pluralité des pratiques. Dans L. Brière, M. Lieutenant-Grosselin et F. Piron (dir.), Et si la recherche scientifique ne pouvait pas être neutre? (p. 39‑54). Éditions science et bien commun.

Tourneux, H. et Métangmo-Tatou, L. (dir.). (2010). Parler du sida au Nord-Cameroun. Khartala.


  1. Le livre de Tourneux et Métangmo-Tatou (2010) sur le sida a par exemple été réalisé avec le soutien de l’ANRS (Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales).
  2. L’abduction consiste à mettre en évidence la cause la plus vraisemblable pour expliquer un fait et déduire ensuite que ce fait est le résultat de cette cause : 1) Si un-e élève a par exemple de bonnes notes dans toutes les matières sauf dans une seule; 2) si on remarque vraisemblablement qu’il ou elle suit des cours de soutien dans toutes ces matières sauf dans la matière à problème; 3) par abduction, on dira que la cause la plus vraisemblable possible du succès est le fait de faire des cours de soutien. En revanche, l’absence de cours de soutien pour l’unique matière à problème expliquerait l’insuccès. Introduit par Charles Sanders Peirce, le raisonnement par l’abduction n’a pas la prétention d’affirmer la vérité. Il s’agit, en effet, de faire émerger l’hypothèse la plus probable, laquelle est susceptible d’être confirmée ou annulée après vérification.
  3. « Lorsque la cola n’est plus le fruit du colatier. Cryptonymie et évolution diachronique du lexique de la corruption au Cameroun » (Métangmo-Tatou, 2001).
  4. « À chacun son dialogue national. Analyse multimodale du vidéoblogue ‘‘03 minutes du peuple’’ » (Ousmanou, 2021).