Module 5 : Écrire en sciences sociales et humaines

24 Les outils d’aide à l’écriture : orthographe et syntaxe

Léonie Tatou

Présentation du thème et de l’autrice du chapitre

Le présent chapitre fournit des outils en matière d’écriture normée, car si l’écriture scientifique possède des codes et conventions spécifiques, elle ne peut s’affranchir des prescriptions générales de la langue de travail, le français dans le cas d’espèce.

Léonie Tatou détient une habilitation à diriger des recherches (HDR) en sciences du langage de l’Université Sorbonne Nouvelle et elle est professeure titulaire à l’Université de Ngaoundéré au Cameroun. Ses travaux de recherche ainsi que son engagement social s’articulent autour de la problématique du développement durable par le biais de la formation du capital humain et de la circulation des savoirs, tout cela en cohérence avec la dynamique des langues en contexte multiculturel. Pionnière, avec d’autres personnes, de la construction d’une épistémologie de ce qu’elle a proposé d’appeler la linguistique du développement, elle est fondatrice et responsable scientifique du laboratoire Ladyrus (Langues, Dynamiques & Usages) de son université. Elle est chercheuse associée au CIRAM (Centre international de recherche sur l’Afrique et le Moyen Orient) de l’Université Laval à Québec (Canada). Ses travaux lui ont valu la distinction de Chevalier dans l’Ordre national de la Valeur dans son pays.

Aide à l’écriture… au doctorat?              

La question peut sembler provocatrice, tant notre imaginaire collectif voudrait refouler la question de la correction orthographique à l’exercice désormais révolu de la dictée scolaire. Mais la problématique de l’orthographe renvoie-t-elle aux lointains chaînons de l’enseignement préuniversitaires? Que nenni! Force est de reconnaître que même au bout du long cursus académique qui nous mène à l’orée de la thèse de doctorat, la correction de la langue française demeure problématique pour beaucoup. Cela se vérifie également dans les pays francophones du Nord, où le français est pourtant pratiqué très majoritairement à titre maternel. Quoi qu’il en soit, tout scripteur et toute scripteuse dans cette langue, de surcroit candidat-e au doctorat, a tout intérêt à s’outiller afin d’assurer à ses écrits une qualité optimale. Pour cela, il ou elle doit :

  • Connaître et apprécier à leur juste valeur les enjeux de la correction linguistique;
  • Viser une graphie correcte et harmonisée;
  • Veiller à adopter une syntaxe simple et bien articulée;
  • Connaître les outils – physiques ou numériques – d’aide à l’écriture et apprendre à en tirer le meilleur parti.
Pourquoi? Quels enjeux?

Une gestion inappropriée des ressources de l’écrit, y compris de la ponctuation, peut entraîner de graves conséquences : incommoder les personnes chargées de l’expertise scientifique de votre thèse, rendre une phrase complètement incompréhensible ou altérer plus ou moins son sens. Vous pourrez apprécier la différence introduite par les virgules dans les phrases suivantes :

  1. Les ouvriers, qui sont mal payés, ont entamé une grève (tous les ouvriers sont mal payés).
  2. Les ouvriers qui sont mal payés ont entamé une grève (seuls les ouvriers mal payés ont suspendu le travail).

Vous devez savoir que trop nombreuses fautes de langue peuvent remettre en question votre sérieux et aller jusqu’à entacher la crédibilité de vos résultats.

Des recherches scientifiques[1] ont prouvé et mesuré l’impact négatif sur les recruteurs et recruteuses des fautes d’orthographe contenues dans les dossiers de candidat-e-s à l’emploi (CV et lettre de motivation). Il est vrai que peu d’études systématiques de ce genre portent sur des corpus de nature académique, mais l’on pourrait se demander pourquoi les examinateurs et examinatrices d’un travail académique seraient plus tolérant-e-s par rapport aux compétences orthographiques que les recruteurs et recruteuses interrogé-e-s dans le cadre de la thèse susvisée[2].

Une graphie correcte et harmonisée

L’orthographe française a connu, tout au long de son histoire, des réformes plus ou moins suivies. La dernière, celle de 1990, visait essentiellement la simplification[3].

Vis-à-vis de l’environnement fondamentalement conservateur et même puriste des universités francophones, je vous conseillerais un choix tactique : optez pour l’orthographe ancienne au moins pour la rédaction de votre thèse. Une fois votre choix adopté, veillez à une graphie harmonisée.

Concernant, par exemple, la notation ou non de l’accent circonflexe, le site du Projet Voltaire fournit la précision suivante :

Non, la « réforme » ne signe pas l’arrêt de mort de l’accent circonflexe! Il est maintenu sur les voyelles « a », « e » et « o » et n’est plus obligatoire sur « i » et « u » sauf lorsque cela crée de la confusion.

On pourra donc s’en passer dans boite, buche, cout, maitresse, nous entrainons, il parait… Mais il reste indispensable pour distinguer , jeûne, mûr, sûr des homonymes du, jeune, mur, sur, et pour différencier certaines formes verbales : il fut (passé simple), qu’il fût (subjonctif imparfait); tu crois (verbe croire), tu croîs (verbe croitre).

Si donc vous avez choisi de conserver tous les accents circonflexes de règle dans l’ancienne orthographe, alors vous devez rester conséquent-e avec vous-même et les maintenir de bout en bout.

À retenir

L’ancrage référentiel spécifique – écologique et culturel notamment – donnera souvent lieu à l’emploi de termes inconnus du français standard, par exemple, ougan (prêtre vodou en créole haïtien), ou encore musgum, fulfulde, yémba, etc. (glossonymes africains). Ces termes doivent figurer en italiques dans votre texte. Au demeurant, les expressions latines telles que in fine doivent également apparaître en caractères italiques.

Une syntaxe simple et bien articulée

Contrairement au discours poétique qui peut s’accommoder d’un certain hermétisme, le discours scientifique est sensé jeter de la lumière sur les phénomènes étudiés. Une écriture ampoulée et grandiloquente peut donner une illusion de scientificité alors qu’elle obscurcit plutôt votre propos. Optez donc pour la simplicité, la clarté et la concision.

Par ailleurs, le genre même de la thèse en fait un texte à visée fondamentalement argumentative. Je vous recommande de former des phrases courtes, de soigner le choix des connecteurs logiques entre les phrases et entre les paragraphes : placés à bon escient, lesdits connecteurs contribueront à la fluidité du raisonnement et à la qualité de l’argumentation.

Enfin, gardez-vous d’une tendance à l’hypercorrection qui s’explique par un sentiment d’insécurité linguistique. L’insécurité linguistique, désormais bien documentée, est repérable chez les francophones des Antilles et d’Afrique et dans les communautés évoluant peu ou prou en situation de colonialité ou à tout le moins de subalternisation. Nous retrouvons ces phénomènes dans les contextes de diglossie avérée où l’on note la minoration vs la survalorisation du statut des langues en présence : créole vs français aux Antilles (Laroche, 1981), langues locales vs français en Afrique francophone (Tatou, 2020), etc.

Les outils d’aide physique ou numérique

Les ressources numériques sont relativement plus accessibles que les versions papier malgré les contraintes structurelles bien connues, à savoir l’instabilité de la fourniture d’énergie électrique et du réseau internet (Piron et al., 2016). Nous citerons les suivantes :

  • le correcteur orthographique intégré à votre ordinateur : une attention suffisante à ses suggestions vous permettra d’assurer en grande partie le toilettage matériel (orthographe, syntaxe) de votre thèse. Votre traitement de texte vous fournit même une assistance lexicale : il peut indiquer des synonymes, parfois des antonymes. Cependant, la vigilance s’impose car le caractère automatique des corrections peut aussi insérer, à votre insu, des formes inappropriées. Vous devez rester maître ou maîtresse de vos contenus ainsi que de sa correction orthographique, grammaticale et typographique.
  • les outils classiques, désormais en version électronique pour la plupart : le dictionnaire, le guide de conjugaison, les grammaires, les répertoires des difficultés de la langue française, et le site remarquable de l’Office québécois de la langue française.

Pour les corrections linguistiques, référez-vous plutôt à un dictionnaire de langue comme Le Petit Robert et non un dictionnaire à visée encyclopédique comme le Larousse. Un conseil : tâchez de vous procurer un bon logiciel de correction : Antidote (payant) ou Reverso (en libre accès).

Faites preuve de discernement dans l’utilisation de ces aides. Voir, à titre d’illustration, les règles d’accord particulières[4] qui régissent l’emploi du nous dit « de modestie ». Vous saurez désormais comment gérer les règles d’accord quand le pronom « nous » désigne non pas un groupe de personne mais un individu; en l’occurrence le rédacteur ou la rédactrice d’une thèse. Il s’agit là d’un dogme désormais contesté mais tenace de l’écriture scientifique. Il s’avérera sûrement incontournable dans la rédaction de votre thèse.

En tout état de cause, conformez-vous, le cas échéant, aux règles de rédaction en vigueur dans votre université.

Bibliographie commentée

Laroche, M. (1981). La langue française en Haïti. Québec français, (44), 26-27. https://id.erudit.org/iderudit/57064ac

L’auteur met en lumière des aspects comparables à la situation sociolinguistique de l’Afrique francophone.

Piron, F., Régulus, S. et Dibounje Madiba, M.-S. (dir.). (2016). Justice cognitive, libre accès et savoirs locaux. Éditions science et bien commun.

Les auteurs de cet ouvrage collectif posent, entre autres, le problème de la fracture numérique comme un frein possible à l’accès à Internet et aux effets positifs du libre accès en Afrique.

Tatou, L. (2020). Le syndrome du dépit amoureux. Dans D. Paris Garoua (dir.), Missive à François Tatou, mon père. Essai d’anthropologie du quotidien et injustice cognitive. Éditions science et bien commun.

L’autrice évoque, dans ce cinquième feuillet, les effets paradoxaux de la diglossie africaine, de la survalorisation des langues héritées de la colonisation, le français en l’occurrence.

Références complémentaires

 

Abbou, J., Arnold, A., Candea, M. et Marignier, N. (2018). Qui a peur de l’écriture inclusive? Entre délire eschatologique et peur d’émasculation : Entretien. Semen – Revue de sémio-linguistique des textes et discours, 133-151. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01779800

Boyer, H. (2010). Les politiques linguistiques. Mots. Les langages du politique, (94), 67-74. https://doi.org/10.4000/mots.19891

Catach, N. (dir.). (1973). L’orthographe. Langue française. https://www.persee.fr/issue/lfr_0023-8368_1973_num_20_1

Conseil supérieur de l’Éducation. (2013). Un engagement collectif pour maintenir et rehausser les compétences en littératie des adultes. Le Conseil. https://www.cse.gouv.qc.ca/publications/litteratie-adultes-50-0482/

Fortenel, T. (2012). Réflexions sur l’enseignement-apprentissage du français en Haïti : Faut-il l’enseigner-apprendre comme langue étrangère ou comme langue seconde ? Potomitan. https://www.potomitan.info/ayiti/francais2.php

Govain, R. (2014). La situation du français à l’université en Haïti. Le français à l’université, 19(04). http://www.bulletin.auf.org/index.php?id=1907

Grevisse, M. et Goose, A. (2008). Le Bon Usage (14e éd). De Boek, Duculot.

Zra, J. (2014). La ponctuation dans les productions écrites en français des étudiants de l’Université de Ngaoundéré [mémoire de maîtrise, Université de Ngaoundéré]. Francisola. https://ejournal.upi.edu/index.php/FRANCISOLA/article/view/24203

Sites web complémentaires

  1. Voir notamment la thèse de Christelle Martin Lacroux, accessible ici : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01295234
  2. Voir aussi à ce propos https://blog.cursuspro.com/orthographe-enjeu-de-formation-decisif-heure-du-digital/
  3. Consulter les liens suivants : http://www.academie-francaise.fr/lorthographe-histoire-dune-longue-querelle et http://www.nouvelleorthographe.info/ Contrairement à ce que pourrait laisser entendre le libellé du second lien et les annonces liées à un évènement largement médiatisé, il ne s’agit pas d’une nouvelle orthographe, mais d’une orthographe nouvellement mise en application.
  4. Accessibles notamment ici : http://www.langue-fr.net/spip.php?article125