Module 7 : Approches méthodologiques et stratégies d’enquête

30 L’approche participative, la recherche-action et leurs principales stratégies d’enquête et d’inclusion des groupes subalternisés

Baptiste Godrie et Isabel Heck

Présentation du thème et de l’auteur et de l’autrice du chapitre

Les recherches participatives ont en commun la participation des personnes concernées aux différentes étapes du processus de recherche, de la formulation des questions de recherche à la diffusion des résultats. Dans ce chapitre, nous présentons les méthodes de recherche qui visent à permettre cette participation en distinguant, d’une part, les méthodes participatives de recueil des données et, d’autre part, le processus participatif de recherche.

Baptiste Godrie est sociologue, responsable de l’axe Savoirs et inégalités sociales du Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales, les discriminations et les pratiques alternatives de citoyenneté (CREMIS) et professeur associé au Département de sociologie de l’Université de Montréal. Il co-dirige le groupe de travail 21 Diversité des savoirs de l’Association internationale des sociologues de langue française.

Isabel Heck (Ph.D. en anthropologie) est chercheure à Parole d’excluEs et professeure associée à l’UQAM Montréal (Canada). Elle s’intéresse aux dynamiques et défis du changement social, et plus particulièrement aux processus pour réduire les inégalités sociales. Depuis quelques années, elle développe des méthodes et modèles de recherche-action qui favorisent la co-construction de connaissances entre personnes en situation d’exclusion sociale et de pauvreté, professionnel-le-s et chercheurs et chercheuses et qui favorisent une plus grande imbrication de la recherche et de l’action. Les résultats de ses recherches sont diffusés autant dans les milieux de pratique que dans les milieux scientifiques. Isabel Heck codirige l’Incubateur universitaire de Parole d’excluEs et collabore étroitement avec le Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES) et le CREMIS.

Définition et contexte d’émergence des recherches participatives

Participative, action, expérimentale, émancipatoire, conscientisante, communautaire, partenariale… la recherche est affublée d’une diversité de termes, souvent polysémiques, aux frontières floues et sans définition unanimement acceptée. Ces termes traduisent cependant tous un élan des universitaires hors de l’Université et leur volonté de lier la recherche à l’action. Productrice de confusion, cette diversité de termes et d’usages est également une richesse reflétant leurs différents contextes de production et garant d’un pluralisme méthodologique.

De manière générale, ces formes de recherche se distinguent de la recherche réalisée et contrôlée de A à Z par les universitaires. Elles ont en commun la participation effective, bien que variable, des personnes concernées par les recherches à toutes ou certaines des étapes de la recherche. Ces courants de recherche se développent au cours des années 1970 dans diverses régions du monde au fil des rencontres entre universitaires, activistes, professionnel-le-s, membres des groupes concernés par les recherches. Ces rencontres traduisent la volonté de réduire la rupture entre les milieux universitaires et le reste de la société, et de contribuer à l’amélioration des conditions de vie ainsi qu’à l’émancipation des groupes opprimés au Nord comme aux Suds. En particulier, la naissance de la recherche-action est associée à l’Amérique du Sud où, à partir des années 1970, des mouvements d’éducation aux adultes inspirés par Paulo Freire, Orlando Fals-Borda et d’autres intellectuel-le-s et activistes se répandent et défendent des idéaux d’émancipation, de démocratie et d’horizontalité entre les personnes et les savoirs qu’elles détiennent.

Au-delà de leurs spécificités, les différents courants de recherche participative visent à : 1) produire des savoirs avec et non « au nom de », 2) favoriser la prise en compte de la diversité des savoirs des personnes qui participent au processus de recherche ainsi que l’appropriation des savoirs produits durant ce processus, 3) permettre un engagement explicite à travers l’action sociale et politique et selon des valeurs humanistes, qu’il s’agisse de réduire les inégalités sociales ou d’améliorer le bien-être des populations concernées.

Si ce sont essentiellement les traditions latinoaméricaines qui inspirent aujourd’hui ce champ de recherche en sciences humaines et sociales, il importe de mentionner d’autres traditions ayant contribué à la richesse des approches participatives en recherche, dont : les University Settlements en Angleterre et en Amérique du Nord à la fin du XIXe siècle, la méthode de recherche-action initiée par Kurt Lewin (inventeur du terme) aux États-Unis dans les années 1940 dans le champ de la psychologie, et encore les approches participatives féministes de recherche à partir des années 1970. Enfin, dans certains milieux, notamment dans les champs de l’éducation et de la santé, les professionnel-le-s de l’intervention réalisent eux-mêmes et elles-mêmes des processus de recherche-action.

Comment procéder? Les méthodologies participatives de recherche

Lorsqu’on parle de méthodologie participative de recherche, il faut distinguer, d’une part, les méthodes participatives de recueil des données et, d’autre part, le processus participatif de recherche.

Recueil des données

On tend parfois à réduire spontanément les recherches participatives aux méthodes participatives de recueil des données. Pourtant, ce n’est pas parce qu’on mobilise des méthodes participatives de recueil des données que l’on réalise nécessairement une recherche participative. Par exemple, lorsque des universitaires souhaitent documenter la réalité de personnes qui ne savent ni lire ni écrire ou qui sont méfiantes à l’idée d’être enregistrées, ceux-ci ou celles-ci peuvent proposer des méthodes originales et participatives de recueil des données. Il peut s’agir, par exemple, de recourir à la méthode Voix et image (photovoice, en anglais) qui consiste à donner aux personnes un appareil-photo pour qu’elles prennent des photographies qu’elles jugent significatives des réalités qu’elles vivent. Pour autant, cela ne signifie pas que la recherche est participative au sens où nous l’avons définie précédemment. En effet, une telle recherche peut ne pas associer les personnes au choix de cette méthode, à l’analyse des données ou à toute autre étape de la recherche, et ne pas avoir pour objectif de transformer la réalité des personnes étudiées dans le sens d’une plus grande justice sociale.

Il n’y a donc pas, d’un côté, les méthodes de recueil des données propres aux recherches participatives et, de l’autre, celles propres aux autres types de recherche. Elles sont communes et c’est la perspective de recherche qui diffère dans les deux cas. Dans les recherches participatives, ces méthodologies sont mobilisées en accord avec les principes de transparence relativement à l’information et aux décisions prises, de partage du pouvoir aux différentes étapes de la mise en œuvre du projet de recherche et de non-hiérarchisation des connaissances.

Processus participatif de recherche

On l’a dit, les recherches participatives ne sont pas une simple juxtaposition de méthodes, mais une perspective de recherche visant à la fois des objectifs de production des connaissances dans des rapports plus égalitaires et de changement social selon des valeurs humanistes. Ces principes ont des implications méthodologiques importantes. Les recherches participatives se caractérisent par la participation de personnes qui n’ont pas de formation en recherche à toutes ou à une partie des étapes de la recherche : de la formulation des questions et objectifs de recherche au choix du cadre théorique et des méthodes, en passant par le recueil des données, leur analyse et l’écriture, à la diffusion des résultats. À chacune de ces étapes, il s’agit de renforcer la participation des personnes impliquées dans le processus à la prise de décision concernant l’orientation de la recherche, le tout, dans un contexte de contraintes, par exemple, budgétaires, temporelles et organisationnelles. La participation de personnes concernées par les recherches tout au long de la recherche est importante à plusieurs titres : pour assurer la validité interne des informations ainsi que la qualité des savoirs produits, mais aussi pour favoriser la durabilité et l’appropriation des actions réalisées au cours des projets.

Cette participation peut être de nature différente. Dans certains cas, elle est superficielle dans le sens où le contrôle des universitaires sur le processus de recherche n’est pas ou peu questionné ou partagé. Dans d’autres cas, en revanche, les personnes participent réellement aux décisions et à la mise en œuvre de toutes les étapes du processus de recherche.

Qualifier ces personnes de co-chercheuses ne signifie pas que toutes aient le même rôle ou les mêmes tâches dans le processus de recherche; ce terme désigne le fait qu’elles contribuent à la mesure de leurs disponibilités, envies et savoirs propres. Les universitaires sont des professionnel-le-s de l’analyse et de la rédaction. Demander aux personnes participantes de rédiger une analyse peut être stressant pour elles et les mettre en difficulté, surtout si leur temps n’est pas compensé financièrement, qu’elles ne savent ni lire ni écrire ou encore qu’elles se dévalorisent en comparant leur travail à celui des universitaires. Ceci étant, on constate souvent une certaine tendance à la hiérarchisation des tâches dans les recherches participatives, entre les tâches d’analyse et de rédaction, confiées aux universitaires de carrière, et celles moins qualifiées, comme la retranscription des verbatim d’entretiens, confiées aux co-chercheurs et co-chercheuses. Également, les personnes les plus impliquées en tant que co-chercheuses dans les recherches participatives sont souvent les plus scolarisées. Il convient donc d’être attentif et attentive aux manières de rendre accessible les tâches d’analyse aux co-chercheurs et co-chercheuses tout en évitant une charge de travail indue ou qui favoriserait uniquement la participation des personnes les plus scolarisées.

À cette fin, il semble important d’identifier, avec les participant-e-s au projet de recherche, les compétences propres qu’ils et elles possèdent, par exemple, en matière de mobilisation des milieux, de liens avec les communautés, d’organisation et d’animation de rencontres, de vulgarisation ou encore de maitrise des réseaux sociaux. Faire preuve de créativité est un élément clé pour favoriser l’implication des personnes à chacune des étapes de la recherche, quel que soit leur niveau de scolarité. Lors de l’étape de l’analyse des données, il peut s’agir, par exemple, pour les chercheurs et chercheuses, de 1) sélectionner et présenter des extraits de verbatim et de faire des ateliers d’analyse qui vont servir à enrichir l’analyse qu’ils et elles produisent; 2) présenter une analyse préliminaire, la discuter avec les co-chercheurs et co-chercheuses, et intégrer leurs commentaires; 3) aider les co-chercheurs et co-chercheuses à développer leur propre analyse des données, afin de la mettre en dialogue, par la suite, avec leur propre analyse des données. Dans une recherche avec les aîné-e-s et un groupe de professionnel-le-s d’intervention à domicile, Baptiste Godrie, co-auteur de ce chapitre, a produit un document d’analyse des entretiens réalisés durant la recherche. Ce document, synthétique et écrit dans un langage accessible, a été envoyé aux co-chercheurs et co-chercheuses et a donné lieu à une table-ronde avec eux et elles au cours de laquelle les aîné-e-s participant-e-s ont pu établir leurs propres constats de recherche. Cette table-ronde a été enregistrée, retranscrite par les universitaires sous la forme d’un chapitre de conclusion du rapport de recherche après validation par les co-chercheurs et co-chercheuses (voir Fournier, Godrie et McAll, 2014).

D’autres spécificités méthodologiques existent par ailleurs selon les approches. Par exemple, la recherche conscientisante ou émancipatrice, utilisée dans les courants féministes de recherche et par les groupes qui mobilisent des méthodologies de croisement des savoirs, insiste sur les moments de partage d’expérience en groupes non-mixtes. Ces groupes visent à mettre en mots les rapports de domination vécus et à éviter, le plus possible, l’autocensure qui survient lorsque les membres de ces groupes s’expriment devant les membres des groupes majoritaires. Des méthodes d’animation des rencontres inspirées de l’éducation populaire comme les porteurs et porteuses de parole, le débat mouvant ou la construction d’arbres de propositions, visent aussi à faciliter les échanges les plus horizontaux possibles (ou, à tout le moins, ancrés dans la reconnaissance des différents statuts et positionnements) (voir références et explications dans les liens ci-dessous). La méthode « Je participe, tu facilites » mise sur pied par le groupe sénégalais Recherche-action participative en fournit également plusieurs illustrations.

Au Canada, les Premières Nations ont établi les quatre principes suivants : propriété, contrôle, accès et possession (OCAP pour Ownership, Control, Access et Possession) afin de définir la manière dont les données de recherche doivent être recueillies, protégées, utilisées et partagées. Ces principes s’accordent à ceux de transparence et de propriété collective des données qui traversent l’éventail des processus participatifs de recherche. Cela peut se traduire, par exemple, par le fait de remettre à une personne le verbatim de son entrevue afin qu’elle puisse connaître l’information qui sera utilisée pour la recherche et la modifier, si elle le juge nécessaire. L’objectif est ici de s’assurer que l’on recueille et analyse ce que les personnes pensent et souhaitent communiquer. Il peut s’agir aussi d’instaurer des espaces d’interprétation des données avec les personnes concernées par la recherche, de leur transmettre les documents issus de la recherche et de les impliquer, avec d’autres, dans la diffusion des résultats. Ces façons de faire participent au climat de confiance requis pour travailler en équipe et assurent un certain contrôle des personnes sur leurs propos et le processus auquel elles participent.

Dans tous les cas, la démarche de recherche se caractérise par sa flexibilité puisqu’en plus de faire l’objet d’une réflexion collective dès sa conception, le processus de recherche est ré-évalué à chaque étape pour s’assurer de la pertinence de la démarche. Le processus de recherche flexible, avec de multiples rétroactions, reflète la conception de la connaissance sous-jacente aux recherches participatives. Le savoir n’est pas produit à l’Université, dans un lieu hors du monde, puis transmis du haut vers le bas vers des personnes qui vont le mettre éventuellement en action; le savoir résulte plutôt d’échanges entre des personnes détentrices de savoirs et de positionnements situés différents (connaissances théoriques, expériences professionnelles et de vie, militantisme, etc.). Cette approche contribue au développement des capacités d’analyse et d’action des communautés partenaires des projets.

Il importe de mentionner, pour finir, que la participation des personnes concernées à la recherche n’est pas un dogme. L’intensité de la participation dépend du contexte (qui initie la recherche, intérêt à participer des personnes concernées, temps, budget, capacité à tenir les engagements, retombées concrètes attendues, etc.) et doit donc faire l’objet d’un questionnement entre les co-chercheurs et co-chercheuses. Les recherches qui ne sont pas participatives sont tout à fait légitimes, et adaptées à certains contextes et finalités de recherche. Plus de participation ne signifie donc pas mécaniquement une meilleure recherche. Ceci étant, le manque d’intérêt apparent des personnes est également à questionner, car il peut être produit par l’idée que « la recherche, c’est seulement fait pour les universitaires » et refléter qu’elles ne se sentent pas légitimes à s’impliquer dans un tel processus. Également, d’autres enjeux que nous ne développons pas ici se posent en matière de rémunération ou de dédommagement des participant-e-s dans le processus de recherche et de reconnaissance de leur contribution dans les documents produits.

Un dernier conseil avant de terminer, en cas de doute sur la manière de procéder : vous pouvez très bien en discuter avec les autres membres du projet ou des collègues ayant déjà participé à des projets participatifs de recherche, s’inspirer d’exemples, explorer toutes les avenues possibles, mêmes les plus ambitieuses, quitte à revenir à des formes plus simples et réalistes de participation.

Bibliographie commentée

Fals-Borda, O. et Anisur, R. M. (dir.). (1991). Action and Knowledge: Breaking the Monopoly with Participatory Action-Research. Apex Press.

Un des ouvrages fondateurs de la recherche-action, contenant de nombreux textes ayant encore une actualité aujourd’hui.

Chevalier, J. M. et Buckles, D. J. (dir.). (2013). Participatory Action Research: Theory and Methods for Engaged Inquiry. Routledge.

Ouvrage contemporain sur la recherche-action participative axés notamment sur les méthodes à employer.

Reason, P. et Bradbury, H. (dir.). (2007). Handbook of action research. Participative Inquiry and Practice. Sage.

Ouvrage contemporain sur la recherche-action participative axés notamment sur les méthodes à employer.

Anadón, M. (dir.). (2007). La recherche participative. Presses de l’Université du Québec.

Un ouvrage collectif francophone présentant les recherches participatives dans plusieurs domaines de recherche (éducation, environnement, économie sociale et solidaire, etc.).

Red CIMAS (2015). Metodologías participativas. Sociopraxis para la creatividad social. Dextra Editorial.

Un manuel sur les méthodes participatives présentant des exemples en Amérique latine et en Espagne (en espagnol).

Gélineau, L., Dufour, É. et Bélisle, M. (2015). « Quand recherche-action participative et pratiques AVEC se conjuguent : enjeux de définition et d’équilibre des savoirs ». Recherches Qualitatives (13), 35-54. https://www.atd-quartmonde.fr/wp-content/uploads/2013/01/RQ_HS_13_Gelineau_et_al-2.pdf

Un exemple de RAP avec des parents dans le champ de la pauvreté et de l’alimentation au Québec.

Hall, B., Tandon, R. et Tremblay, C. (dir.). (2015). Strengthening Community University Research Partnerships : Global Perspectivesm. University of Victoria.

Pour un aperçu de différentes méthodes qui encouragent le partenariat entre universités et communautés à travers le monde (incluant le Brésil, l’Argentine, l’Inde, l’Ouganda, l’Afrique du Sud et l’Indonésie).

Chambers, R. (1995). Poverty and Livelihoods : Whose Reality Counts? Environment and Urbanization, 7(1), 173-204. https://doi.org/10.1177/095624789500700106

Article dans lequel Chambers explique l’importance de prendre en compte le point de vue des personnes qui vivent la pauvreté pour mieux comprendre la complexité de ce phénomène.

Fournier, A., Godrie, B. et McAll, C. (2014). Vivre et survire à domicile: le bien-être en cinq dimensions. CREMIS. https://www.cremis.ca/publications/dossiers/vivre-et-survivre-a-domicile-le-bien-etre-en-cinq-dimensions/

Recherche participative menée en collaboration avec un groupe de professionnel-le-s de soutien à domicile.

Références complémentaires

Principes OCAP sur les données de recherche développés par les Premières Nations au Canada :  https://fnigc.ca/ocapr.html

Méthode « Je participe, tu facilites » du groupe sénégalais Recherche-action participative : (http://www.reseaurap.org/)

Documentaire (en espagnol) sur la recherche-action participative dans la tradition de Orlando Fals-Borda : https://www.youtube.com/watch?v=op6qVGOGinU&fbclid=IwAR1b9Yd4QAFP8_YF7wz0J92_kbuRRTPcI8M1LzadJi7lLd2WtD9RoowZ9KY

Site du PRIA (Participatory Research in Asia), un centre de recherche participative et de formation basé à New Delhi (Inde) : https://www.pria.org/working-with-us-11-27-0

Méthodes et processus d’éducation populaire : http://www.mille-et-une-vagues.org/ocr/?Quelques-outils-methodes-et et http://www.education-populaire.fr/methodes-en-vrac/.