Module 7 : Approches méthodologiques et stratégies d’enquête

35 Les outils numériques d’enquête

Célya Gruson Daniel

Présentation du thème et de l’autrice du chapitre

Ce chapitre décrit les différents outils numériques qui peuvent soutenir les étapes de votre enquête. Il présente essentiellement divers logiciels facilitant la prise de note et la création de carnet de recherche ou journal de bord. Il donne aussi en exemple d’autres outils utiles à la collecte d’informations (questionnaire, transcription) avant de conclure sur quelques principes essentiels à garder en tête pour des pratiques durables et éthiques lors de votre enquête.

Après un parcours en neurosciences cognitives en France, Célya Gruson-Daniel s’est spécialisée dans la communication scientifique en ligne. Elle a co-fondé par la suite (2013) le collectif HackYourPhD (désormais HackYourResearch) pour explorer de façon collective les questions associées aux transformations des pratiques de recherche avec le numérique. La défense d’une open science est au coeur des sujets d’intérêt de ce collectif. En parallèle, elle a mené un doctorat entre la France et le Québec en sciences de l’information et de la communication pour questionner les différentes conceptions de l’open en sciences. Elle se définit aujourd’hui comme praticienne-chercheuse et mène différentes études sur la science ouverte, ses modalités d’appropriation. Par différents projets de recherche-action, elle cherche des leviers d’actions (juridique, économique, social, cognitif) pour faciliter le développement de modèles ouverts durables et respectueux des communautés qui les composent.

Une pléthore d’outils numériques peuvent assister les différentes étapes de votre enquête : de la prise de note des premières idées de votre problématique jusqu’à l’analyse des informations recueillies. Pensez dès le départ à vous organiser « numériquement » et à réfléchir à l’articulation des différents logiciels que vous serez amené-e à utiliser. Sachez néanmoins que c’est en plongeant au cœur de votre enquête que vous ferez le choix entre différents outils et que vous verrez ce qui vous correspond le mieux. Une organisation spécifique peut correspondre à un ou une doctorant-e et ne pas vous convenir. Pratiquez, essayez et vous trouverez au fur et à mesure votre propre modus operandi. Attention, néanmoins, à ne pas tomber dans la « procrastination » active, c’est-à-dire de passer des heures à tester des logiciels/applications et ne pas vous concentrer sur le plus important : votre enquête! Parfois des outils très simples suffisent (un traitement de texte, un tableur). Parfait, si c’est cela qui vous correspond et que leur usage vous semble aisé.

Ces quelques conseils d’ordre général donnés, vous trouverez ci-dessous des exemples d’« équipement » numérique pour votre enquête.

Prendre des notes tout au long de votre recherche et ce, dès les premières idées : le « carnet de bord » ou journal d’enquête

Que ce soit en STM (sciences, techniques, médical) ou SHS (sciences humaines et sociales), consigner au fur et à mesure les détails de ses recherches et de son évolution est une partie essentielle du travail de recherche. Saviez-vous par exemple que le cahier de laboratoire en STM a une valeur juridique et peut permettre d’attribuer à une personne ou des personnes les résultats de ses/leurs travaux (avant même publication d’une recherche)?

⇒ En France, le CNRS propose un cahier de laboratoire nationale avec un guide afin de bien l’utiliser, que vous pouvez consulter ici.

Que ce soit en version papier ou en version numérique, il est important d’organiser dès le départ son journal de bord/d’enquête :

  • Indiquez bien la date (avec l’année) de votre prise de note et le lieu également.
  • Catégorisez et détaillez chaque prise de note et faites apparaitre ces informations dans le titre. Il peut s’agir d’une prise de note sur des lectures que vous être en train de faire, ou bien un compte-rendu de réunion avec votre comité de direction de thèse ou bien quelques notes rapides après un premier entretien qualitatif. Le nom de vos catégories évolueront au fur et à mesure et viendront se stabiliser.

Exemple du titre d’une prise de note : [Biblio] lecture du livre Situational Analysis d’Adele Clarke : le 2 octobre 2018 (Québec)

⇒ Vous pouvez voir que la catégorie ici est indiquée entre [ ]. À vous de trouver vos propres codes, de bien les définir et de vous y tenir!

  • Il est normal également que des catégories soient plus utilisées à différentes phases de votre enquête. Vous allez par exemple faire beaucoup de « bibliographie » au départ, puis vous plonger plus tard dans l’analyse de vos données. Indiquer la date de vos notes vous permettra par la suite d’avoir une vision globale et synthétique sur le déroulement de votre recherche.

En théorisation ancrée, on suggère de prendre des notes tout au long de la recherche, afin de réaliser un compte-rendu de déroulement de la recherche. Ce compte-rendu sera par exemple utile pour argumenter et défendre votre démarche de recherche qualitative et les différents choix que vous aurez fait dans votre analyse.

  • Dans le cadre de recherche quantitative, notez avec précision le détail des étapes et des paramètres choisis pour vos analyse (test statistique effectué, manipulation de vos jeux de données). Gardez également les différentes versions des données que vous utilisez et n’oubliez pas de détailler quelques paramètres techniques (version du logiciel que vous utilisez, configuration de votre ordinateur). L’ensemble de ces informations sont très importantes et vont garantir la traçabilité de votre recherche. Dans une démarche de science ouverte, cela permet également à d’autres personnes de s’assurer de la reproductibilité de votre recherche.

Le « carnet de bord »/ journal d’enquête : quels outils employés?

Logiciels de prise de note et carnets de laboratoire
  • Une première solution (la plus simple) consiste à employer les outils de bureautique (classeur, fichier texte, fichier audio) et à organiser l’ensemble de ces documents de façon méthodique! Il s’agit pour cela de créer plusieurs dossiers sur votre ordinateur où vous ajouterez des notes au fur et à mesure dans le format de votre choix (audio, texte, schémas). Le plus important est de bien référencer chaque note (titre, date, thématique, catégorie). Sachez néanmoins qu’il sera plus difficile par la suite de retrouver aisément une information ou de faire des requêtes pour chercher par exemple un mot clef. C’est pour cette raison que des logiciels spécifiques existent.
  • Des logiciels non spécifiques à la recherche permettent d’organiser et de gérer vos différentes prises de note. Evernote (logiciel propriétaire, c’est-à-dire qui n’est pas associé à des licences libres ou ouvertes permettant sa réutilisation) est une des solutions possibles, d’autres alternatives open source existent également (Turtl ou Framanotes par exemple). Ces logiciels permettent de créer différents carnets de bord et d’y insérer des notes en rajoutant des étiquettes pour décrire chaque note. Vous pouvez ainsi organiser des sous-carnets de note (une pour la bibliographie, l’autre pour les entretiens, etc.) et mettre quelques mots clefs qui vous aideront par la fonctionnalité de requête de pouvoir rechercher facilement des prises de notes. Un autre avantage de ces logiciels sont qu’ils sont disponibles souvent aussi bien sur votre téléphone, votre ordinateur ou une tablette et permettent une synchronisation aisée. Ils permettent aussi de prendre des notes sous différents formats multimédia (image mais aussi audio). Si vous êtes plus à l’aise pour dicter vos notes, cela permettra de le faire aisément tout en les triant et archivant au fur et à mesure.
  • Des logiciels spécifiques existent aussi pour la recherche et prennent le nom de carnet de laboratoire en ligne. En anglais, on emploie l’expression electronic lab notebook. Vous pouvez tester différents logiciels en vous référant à la liste Wikipedia qui les référence et met à jour les logiciels disponibles, leurs fonctionnalités, la nature du logiciel (propriétaire ou libre/open source), etc. Attention la liste est en anglais. Voyez quelles fonctionnalités vous paraissent les plus utiles et testez-en quelques-unes avant de vous décider.
  • Si votre enquête nécessite la réalisation de scripts de programmation pour analyser vos données, des carnets de note spécifiques permettent d’intégrer ces scripts et de les documenter aisément. Les Jupyter notebook vous permettront, par exemple, d’intégrer des scripts écrits dans différents langages de programmation et de visualiser leurs résultats. Pour plus d’information, rendez-vous sur le site web jupyter.

D’autres outils utiles au cours de votre enquête

Outre les logiciels d’analyse de données, vous serez amené-e à employer divers logiciels au cours de votre enquête. Voici quelques outils qui vous seront certainement utiles. Cette liste est loin d’être exhaustive et dépend de votre discipline et des besoins spécifiques à votre enquête. N’hésitez pas à demander à d’autres doctorants et doctorantes leurs propres pratiques, faites des recherches sur le web à ce sujet ou bien consultez régulièrement des carnets de recherche qui référencent de tels outils. En français, par exemple, vous pouvez consulter les carnets : la boite à outils des historiens, Data Sciences Sociales, etc.

Collecter des informations
  • Réaliser un questionnaire en ligne : vous trouverez en ligne de nombreux logiciels à disposition : Google Form est une option, mais d’autres outils open source tels que limesurvey existent. Demandez au sein de votre unité de recherche si un logiciel est déjà employé. Attention aux problématiques éthiques et juridiques associées à la réalisation de tels questionnaires dans vos recherches.
  • Naviguer dans des bases de données déjà existantes. Il existe aujourd’hui de nombreuses bases de données en open data auxquels vous pouvez accéder en tant que ressource pour votre enquête.
  • Transcrire un entretien en ligne avec Transcribe, sonal pour un fichier audio ou bien amara pour des vidéos avec la possibilité de le faire de façon collective.
  • D’autres logiciels de reconnaissance vocale permettent aussi de transcrire directement de l’audio en un texte écrit. Dragon (logiciel propriétaire) est une de ces solutions.
Des principes essentiels à garder en tête lors de votre enquête
  • Sauvegarde et archivage : Sauvegarder régulièrement votre travail est essentiel. Vous n’êtes pas à l’abri d’un imprévu malencontreux (vol, perte, casse de votre ordinateur, microphone, caméra, téléphone, etc.). Vous pouvez posséder plusieurs disques durs externes par exemple, mais aussi employer des solutions de cloud, c’est-à-dire des plateformes de stockage et de synchronisation en ligne. Google Drive, Dropbox ou encore Owncloud (logiciel libre) sont quelques exemples de ces services.
  • Questions juridiques et éthiques à se poser : Renseignez-vous avant tout sur le cadre éthique et juridique de votre recherche auprès des personnes qui encadrent vos recherche ou bien des bibliothécaires de votre institution. Il vous faudra par exemple considérer les questions éthiques associées à vos recherches avant de débuter votre enquête. Vous aurez peut-être à archiver les informations collectées lors de votre recherche au près de votre bibliothèque ou à remplir un plan de gestion de données (PGD) / Data Management Plan (DMP)
  • Partagez votre recherche dans une démarche de science ouverte : Si vous souhaitez partager votre recherche, pensez aux informations à caractère personnel. Il s’agira de proposer un consentement aux personnes interviewées, par exemple, et de décider des modalités d’anonymisation des données avant tout partage. Il est également judicieux d’employer des licences pour que votre travail vous soit attribué dans les conditions que vous aurez choisies au préalable. Pour cela, renseignez-vous sur les licences creative commons et autres licences existantes pour le partage d’articles scientifiques, de données ou encore de codes sources.

Très belle exploration et enquête à toutes et tous!

Liste commentée des outils numériques recommandés dans le chapitre

  • Le cahier de laboratoire du CNRS : un exemple de carnet de laboratoire en STM qui peut être une source d’inspiration.
  • Transcribe, sonal ou bien amara : des logiciels employés pour transcrire vos contenus audio en texte.
  • Dragon : un logiciel de reconnaissance vocale qui permet de transcrire directement l’audio en un texte écrit (logiciel propriétaire).
  • La boite à outils des historiens, Data Sciences Sociales : des carnets de recherche qui référencent des outils numériques pour vous aider dans votre enquête.
  • Jupyter : un outil qui vous permet de tester des scripts de programmation tout en les documentant.
  • La liste Wikipedia ELN (electronic lab notebook) : une liste wikipédia qui référence et met à jour les carnets de recherche existant (attention, il s’agit d’une liste en anglais).
  • Evernote (propriétaire), Turtl ou Framanotes (open source) : des logiciels de prise de note en ligne, qui permettent souvent de synchroniser vos notes entre différents supports (ordinateur, tablette, téléphone portable).

Un outil complémentaire

  • Unishared: un outil collaboratif pour partager les notes prises pendant un cours ou une conférence.