Module 7 : Approches méthodologiques et stratégies d’enquête

29 L’approche qualitative et ses principales stratégies d’enquête

Honorine Pegdwendé Sawadogo

Présentation du thème et de l’autrice du chapitre

L’approche qualitative regroupe des perspectives diverses en termes de bases théoriques, de techniques de recueil et d’analyse des données. Elle utilise une démarche rigoureuse et un processus de recueil d’informations qui tiennent compte du contexte social. Ce chapitre expose quelques principes clés de l’approche qualitative et ses principales stratégies d’enquêtes avec une illustration des aspects théoriques par l’expérience d’une chercheuse ayant utilisé principalement les méthodes qualitatives de collecte des données dans sa recherche doctorale.

Honorine Pegdwendé Sawadogo est actuellement attachée de recherche à l’Institut des Sciences des Sociétés du Centre National de Recherche Scientifique et Technologique (INSS/CNRST) du Burkina Faso. Elle est docteure en sociologie (PhD), avec une thèse soutenue en février 2020 à l’Université Laval (FSS). Son sujet de thèse a porté sur « les logiques sociales de la pratique de la mendicité par des mères de jumeaux dans la ville de Ouagadougou ». Elle s’intéresse aux problématiques de l’exclusion et de la pauvreté féminine, des stratégies de survie et de l’autonomisation des femmes en milieu urbain. Aussi, son axe de recherche porte-t-il sur « genre, éducation et mutations sociales ».

Mise en contexte et spécificité de la recherche qualitative

De plus en plus, on constate un regain d’intérêt pour l’approche qualitative. Celle-ci se caractérise par l’organisation d’entretiens approfondis, des observations ou des entretiens de groupe, permettant d’atteindre une connaissance émique[1] et étique[2] de la réalité étudiée. Le choix de la méthode dépend de la question de recherche. Si la question de recherche est pertinente mais que la méthode pour y répondre est inadaptée ou mal conduite, on aboutit à des résultats insatisfaisants. L’approche qualitative permet d’explorer les émotions, les sentiments ainsi que l’expérience personnelle des individus concernés, contribuant ainsi à une meilleure compréhension des interactions entre les sujets et partant du fonctionnement des sociétés.

Importance de l’approche qualitative dans la recherche

Dans le Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales, Mucchielli avançait que :

L’important, désormais, en sciences humaines et sociales n’est plus uniquement de « valider » l’approche qualitative, ses critères de certification, son éthique, son paradigme de référence, les théories inductives trouvées… (car tout cela est largement établi), mais de participer à l’accumulation des connaissances dans ce domaine et d’accélérer le transfert de ces connaissances dans la société. (1996 : 5)

Les méthodes qualitatives n’ont pas pour objectif de produire des données représentatives, c’est-à-dire généralisables à l’ensemble d’une population. Elles doivent être mises en œuvre avec rigueur afin que l’on puisse en exploiter les résultats. La recherche qualitative est particulièrement appropriée lorsque les phénomènes sociaux observés sont difficiles à mesurer.

L’exemple de l’étude des stratégies de survie des femmes en situation de mendicité et des perceptions de la population citadine de cette forme de mendicité en est illustratif. On ne peut pas mesurer des perceptions ni des stratégies, mais on peut plutôt chercher à comprendre et à saisir leur sens. L’approche qualitative est ainsi une démarche qui vise la compréhension d’un phénomène en tenant compte du contexte et de l’environnement culturel vécu par les individus concernés par l’étude. De plus, la recherche qualitative permet une meilleure approche du phénomène de la mendicité qui est une problématique à la fois sensible et complexe. C’est à juste titre que Mucchielli (1996 : 8) souligne que l’originalité de la recherche qualitative réside dans « l’approche des phénomènes humains ou sociaux par l’expérience sensible, en particulier celle des acteurs sociaux en cause ».

Spécificité de la recherche qualitative

De prime abord, il faut souligner que la recherche qualitative englobe toutes les formes de recherche sur le terrain qui s’intéressent aux discours et aux récits de vie. En effet, l’une des particularités de la recherche qualitative est qu’elle étudie les phénomènes sociaux dans le milieu social où il s’observe plutôt que dans des situations artificielles ou expérimentales. Puisque les expériences et les croyances sont étroitement liées à des situations de la vie quotidienne, il est moins pertinent de les étudier dans un contexte artificiel ou expérimental. Par conséquent les données sont collectées en interagissant avec les individus dans leur propre langue et en les observant sur leur propre territoire (Kirk et Miller, 1986) ou à un endroit de leur choix. Une autre caractéristique de la recherche qualitative est le recours fréquent à plusieurs méthodes qualitatives différentes pour répondre à une seule et même question de recherche (Pope et Mays, 2006). Cela tient en partie à ce qu’on appelle la triangulation, processus qui consiste à confronter les résultats de plusieurs sources de données (Pope et Mays, 1995; Bloor et Wood, 2006). Enfin, la recherche qualitative est toujours itérative : elle doit être revue à partir de suppositions, d’hypothèses ou des théories générales qui changent et se développent tout au long des étapes successives du processus de recherche.

Démarche utilisée en recherche qualitative

L’approche qualitative utilise une démarche rigoureuse et, comme dans n’importe quel type de recherche, le travail préalable (étape 1) consiste à faire le point sur le sujet étudié par une revue de la littérature. Cette recension des écrits permet de s’imprégner des résultats précédents des recherches sur le sujet. Cela permet de mieux cerner le problème. L’étape suivante (étape 2) est primordiale et consiste à définir l’angle théorique suivant lequel le sujet sera analysé. La troisième étape consiste à définir la question de recherche de façon précise et claire. Cette question de recherche constitue l’objet de recherche et toutes les méthodes et stratégies de collecte de données doivent être mises en place (étape 4) pour y répondre. Enfin, les données collectées doivent être rigoureusement analysées, interprétées, discutées (étape 5) afin de tirer des conclusions et ouvrir de nouvelles perspectives de recherche.

Collecte de documentations

Comme dans n’importe quel type de recherche, la démarche débute par une recherche documentaire très vaste qui consiste à faire le point sur le sujet étudié par une revue de la littérature puis par une analyse de cette documentation à partir de laquelle le cadre conceptuel est conçu. Cette partie de la recherche est longue et quelque fois fastidieuse, mais elle est indispensable car elle ouvre des horizons, dévoile des aspects inédits et permet ainsi au chercheur ou à la chercheuse d’apprivoiser son sujet et de s’en imprégner. Le chercheur ou la chercheuse doit être convaincu-e qu’avant d’apporter sa contribution à la progression du savoir, il est nécessaire qu’il ou elle s’enrichisse des connaissances qui entourent son travail. Aussi originale soit-elle, aucune recherche n’est isolée par rapport à un signifiant. Toute recherche se rattache à un contexte de sens. Qu’elle soit entreprise pour apporter un éclairage nouveau sur une question, pour construire un corpus explicatif, pour approfondir une analyse, la recherche a pour vocation de faire progresser la connaissance sous un aspect ou dans un domaine inédit. C’est la raison pour laquelle le chercheur ou la chercheuse doit faire le point sur le sujet étudié, explorer le champ intellectuel où il ou elle veut travailler afin de découvrir les dimensions dans lesquelles son sujet a été abordé, et prendre en compte les constructions théoriques déjà énoncées dans le domaine. Pour ce faire, le chercheur ou la chercheuse doit consulter les documents (livres, périodiques, textes législatifs, publications administratives, thèses, mémoires, traductions, statistiques, annales, documents professionnels, photographies, cassettes, films, etc.) en partant des plus récents. Pour trouver ces matériaux de base, on doit faire preuve de beaucoup d’imagination et d’ingéniosité : bibliothèques, archives, centres de documentations, banques de données manuelles ou encore bibliothèques d’écoles professionnelles pour avoir accès aux travaux qui ne sont pas publiés (thèses, mémoires et rapports d’étude). Le chercheur ou la chercheuse interroge des témoins privilégiés car certaines personnes, de par leurs connaissances très spécialisées ou leur situation professionnelle, sont des sources d’informations précieuses. Tout ce travail de lecture et d’échanges permet de s’imprégner des diverses opinions des chercheurs et chercheuses et des personnes qui ont déjà examiné et documenté la même problématique. Cette phase exploratoire faite de lecture et de pré-enquête oriente la recherche, permet la reformulation des hypothèses, l’approfondissement ou l’élimination de certains thèmes. Cela explique pourquoi l’opération est particulièrement délicate car il convient de se procurer une bibliographie à la taille de sa problématique. Cela permet de mieux cerner le problème et de préparer le cadre conceptuel de la recherche.

Cadre conceptuel

Le cadre conceptuel est l’ensemble des connaissances et théories qui ont un rapport quelconque avec le sujet de la recherche. Le cadre conceptuel donne à la revue de littérature toute son importance et la nécessité de la conduire avec méthode, astuce et ténacité. Il ne s’agit pas de faire une compilation de tous les textes lus, mais de faire émerger, en les regroupant, les concepts et théories qui vont étayer le cadre conceptuel. Pour ce faire, le chercheur ou la chercheuse, au regard des écrits recensés sur le sujet, est amené-e à se poser des questions : ai-je acquis des connaissances qui orientent différemment la recherche? Ai-je bien apporté un éclairage sur tous les aspects de la recherche? Pour trouver des éléments de réponse, il faut analyser sa documentation, faire des liens et des regroupements, mettre en évidence les contradictions, les courants de pensées, d’idées opposées, procéder à une critique des textes. Ce temps d’analyse sert également à retenir les citations d’auteurs et d’autrices qui renforcent les idées que le chercheur ou la chercheuse soutient.

Le cadre conceptuel est transversal au processus de la recherche dans la mesure où il intervient à toutes les étapes. D’abord, dans les premières étapes de la recherche, le cadre conceptuel oriente et enrichit la problématique. Il féconde les hypothèses pour leur donner toute l’envergure de leur signification en déterminant l’idée ou les idées directives, ce qui permet de les affiner, préciser, développer ou modifier. Il est également le lieu de l’articulation de sens contenu dans les variables. II ne procure pas d’explication aux phénomènes, mais il aide à leur compréhension en donnant accès à des références connues, lois ou théories déjà découvertes sur le sujet. De fait, dès le début de la recherche, le cadre conceptuel a une fonction d’organisation, dans le sens où il oriente la démarche de pensée et la logique des différentes étapes. Ensuite, au cours du travail, le chercheur ou la chercheuse teste la validité conceptuelle de sa recherche en faisant référence au cadre conceptuel qu’il a bâti. En effet, pour mettre en évidence un nouveau concept, une nouvelle connaissance, il ou elle doit analyser ses relations entretenues avec les lois, théories et phénomènes connus, car on ne fait progresser le savoir qu’en construisant, à partir de connaissances existantes, une démarche d’analyse adéquate. Enfin, dans les dernières étapes de la recherche, le cadre conceptuel est indispensable pour discuter les résultats obtenus. Plus le cadre conceptuel est adapté et complet, plus l’analyse est fine et subtile. Le cadre conceptuel ainsi construit permet d’affiner les questions de recherche desquelles émergent les objectifs de recherche.

Questions de recherche

En recherche qualitative, les questions de recherche prennent deux formes : une question de recherche centrale et des sous-questions de recherche connexes. La question centrale est un énoncé général de l’enjeu qui fait l’objet de l’étude de recherche. Elle est la question la plus large qui peut être posée dans le contexte des limites de l’étude, en ce qui a trait à l’enjeu faisant l’objet de la recherche. Voici quelques lignes directrices sur la façon de formuler des questions de recherche qualitative assez vastes (Peat, 2002; Creswell, 2003) :

  • Une équipe de recherche devrait poser une ou deux questions de recherche centrales suivies par au plus cinq à sept sous-questions qui reflètent le centre d’intérêt de l’étude de recherche.
  • La question centrale doit être rattachée à la méthode de recherche qualitative spécifique utilisée dans le cadre de l’étude.
  • Chaque question doit mettre l’accent sur un seul concept ou enjeu.
  • Il est conseillé d’utiliser des verbes d’exploration qui transmettent le langage de la conception de la recherche, ex. « chercher à comprendre », « décrire les expériences », « rendre compte de l’histoire ».
  • Il est également conseillé d’utiliser des questions ouvertes ou dites circonstancielles basées sur la méthodologie de recherche qualitative spécifique utilisée et formulées dans un langage non directif.
  • Les questions de recherche évoluent et changent au cours de l’étude d’une manière cohérente avec les hypothèses de la méthodologie de recherche qualitative spécifique. Il arrive souvent que dans les études de recherche qualitative, les questions de recherche fassent l’objet d’une révision et d’une reformulation continuelles.
  • La question de recherche devrait inclure de l’information qui apporte des précisions sur les participant-e-s et le site de recherche de l’étude.

Les questions de recherche plus précises et claires constituent l’objet de recherche et toutes les méthodes et stratégies doivent être déployées pour y répondre.

Stratégies d’enquêtes : le processus de recueil des informations

La recherche qualitative permet de répondre aux questions de type « pourquoi? » ou « comment? ». Elle s’intéresse particulièrement aux déterminants des comportements des acteurs et actrices (comprendre). Les méthodes qualitatives de recueil de données visent deux objectifs généraux. L’un est de pouvoir appréhender des phénomènes, de chercher à les comprendre et à expliquer leur impact sur les façons de faire et de penser des populations. L’autre est d’apporter un éclairage sur les phénomènes sociaux afin de limiter les inductions, les prénotions ou préjugés que tout être humain possède lorsqu’il va à la rencontre d’autres personnes.

De façon spécifique, les méthodes qualitatives de recueil de données visent à :

  • Obtenir des informations contextualisées, constatées dans les faits et par les faits, les traiter et les interpréter, produire des connaissances;
  • Contribuer à la compréhension d’aspects souvent négligés;
  • Parvenir à la compréhension « de l’intérieur » des représentations, attitudes, motivations et pratiques d’un groupe ou d’un univers social particulier, à travers l’analyse du discours et l’observation de pratiques;
  • Confronter le discours aux pratiques réelles afin d’identifier d’éventuelles contradictions entre ce qui se dit et ce qui se fait;
  • Impliquer la communauté autour de problématiques qui lui sont chères.

Le terrain de la recherche qualitative nécessite une capacité à reconnaître la diversité. Il consiste le plus souvent à recueillir des données verbales permettant une démarche compréhensive et interprétative. Les méthodes de collecte de données reposent sur un travail descriptif et de questionnements, basé sur trois critères :

  • Pourquoi? Le travail de collecte de données doit viser à répondre à un objectif précis : obtenir des informations pour répondre à la question de recherche;
  • Quoi observer? Il doit porter sur un objet limité dans le temps, géographiquement et sociologiquement. Exemple : décrire le pouvoir économique des femmes déplacées internes dans la ville de Kaya (Burkina Faso) dans un contexte de post-conflit en 2020;
  • Comment? Il doit suivre une démarche, c’est-à-dire une suite de procédures plus ou moins standardisées : obtenir ces informations avec l’aide d’une méthodologie construite à l’avance.

Afin de choisir la bonne démarche méthodologique pour répondre à la question de recherche, il faut :

  • Identifier la population d’enquête (l’échantillon);
  • Circonscrire le champ d’investigation;
  • Définir les outils pertinents pour la collecte de données en tenant compte de la nature de la question de recherche.

L’échantillon

Le but de la recherche qualitative n’est pas d’avoir un échantillon représentatif, mais plutôt un échantillon qui reflète les caractéristiques et la richesse du contexte ou de la population étudiée. La détermination des caractéristiques des participant-e-s est une étape importante car elle renseigne sur les différents interlocuteurs et différentes interlocutrices à contacter pour participer à la recherche. Dans l’approche qualitative, les deux qualités essentielles sont la diversité de l’expression et la présence dans l’échantillon d’individus présentant des caractéristiques très liées aux phénomènes étudiés. L’approche qualitative décrit et explique les phénomènes de façon détaillée à partir d’un nombre limité d’observations.

Quelles sont les différentes méthodes qualitatives de recueil de données?

Outils de collecte de données qualitatives couramment utilisés :

  1. L’observation (directe ou participante);
  2. L’entretien individuel (directif, semi-dirigé ou ouvert);
  3. Le focus group;
  4. Vidéos, films, photographies;
  5. Examen de documents et d’artefacts.

L’entretien individuel semi-dirigé

L’entretien individuel semi-dirigé, selon Fortin (2010), est une interaction verbale animée par un chercheur ou une chercheuse à partir d’une liste de thèmes qu’il ou elle souhaite aborder avec une personne sur un sujet précis. Dans ce type d’entrevue, le ou la participant-e est libre de s’exprimer. En ce sens, Poupart (1997) pense que cette méthode permet d’explorer en profondeur les différentes facettes de l’expérience de la personne interviewée. De plus, Mucchielli (2009) ajoute qu’elle permet au chercheur ou à la chercheuse de mettre également l’accent sur les non-dits tels que les mimiques, les gestes, bref le non-verbal. L’entretien permet d’expliquer, de comprendre, d’apprendre et d’approfondir l’univers de l’autre (Savoie Zajc, 2010). L’importance de l’entretien réside dans la nécessité de s’attacher au singulier pour remonter au général, comme le relève Michelat (1975).

Enregistrement des données qualitatives

Les données qualitatives peuvent être enregistrées de plusieurs manières : des notes écrites, des enregistrements audio, enregistrements vidéo, etc. Voir à cet égard les autres chapitres du Guide abordant ce thème.

Exemple d’utilisation de l’approche qualitative dans une recherche doctorale

Dans l’exemple de ma recherche présentée plus haut, la ville de Ouagadougou a été choisie comme champ d’investigation et les « mères de jumeaux » en situation de mendicité ont constitué la population cible. Toutefois, d’autres informateurs et informatrices clés ont été considéré-e-s tel-le-s que les autres mendiant-e-s qui fréquentent les mêmes sites de mendicité que les « mères de jumeaux » en situation de mendicité, des leaders d’opinion, des femmes âgées ou jeunes mères de jumeaux résidant dans la ville de Ouagadougou qui ne mendient toutefois pas.

Trois types d’outils différents et complémentaires ont été utilisés : la cartographie, l’entretien dirigé et l’entretien semi-dirigé. La cartographie a été possible grâce au Global Positioning System (GPS) qui a permis de faire des relevés cartographiques pour identifier les sites de mendicité des « mères de jumeaux » dans la ville de Ouagadougou. L’entretien dirigé a été réalisé grâce à une fiche d’identification comportant des questions fermées sur les différentes variables à mesurer : l’âge, l’origine ethnique, le niveau d’instruction, la religion, l’état matrimonial, le milieu de résidence actuelle, l’âge et le sexe des jumeaux. L’objectif était de dresser le profil sociodémographique des enquêtées.

Quant à l’entretien individuel semi-directif, il a été le principal outil de collecte de données vu la nature de la question de recherche : quelles sont les logiques de mendicité des « mères de jumeaux » en situation de mendicité? Cette question vise à comprendre les principales raisons qui poussent les femmes à pratiquer la mendicité, leurs stratégies de mendicité et, enfin, les perceptions des populations de cette forme de mendicité. L’entretien a été possible grâce au guide d’entretien fait de questions et de thèmes en fonction de nos objectifs de recherche et de la catégorie d’interlocuteurs et d’interlocutrices. Ceci a permis de concevoir un guide d’entretien thématique afin de guider nos entretiens. Aussi, le canevas d’entretien à l’adresse des « mères de jumeaux » en situation de mendicité, toujours ouvert et en constante évolution, portait sur les différents aspects du quotidien des « mères des jumeaux » mendiantes (activités économiques, sources de revenus, parcours migratoires), tout en détaillant les dimensions centrales de l’étude : les pratiques mendicitaires. Il ne s’agissait aucunement de déterminer une liste de questions à poser, mais d’établir un système organisé de thèmes permettant de structurer l’entretien, sans induire un discours commandé. Le guide d’entretien était également évolutif et de nouveaux sujets à explorer ont été intégrés au fur et à mesure du temps. Des questions localement pertinentes ont été également incluses. De la sorte, il était possible de revenir sur le même problème exprimé selon différents points de vue. Ainsi, à travers l’entretien semi-dirigé, j’ai eu la chance de pénétrer l’univers des mères de jumeaux afin de mieux comprendre leur pratique en contexte urbain. Puisqu’il s’agissait de données verbales, j’ai demandé l’accord des interviewé-e-s afin d’enregistrer les entretiens. Il ressort de cette expérience de terrain que l’entretien, plus qu’un simple outil de collecte de données, consiste en une relation sociale. Aussi, sa structure, son usage, son déroulement sont-ils influencés par le contexte social (De Bloganqueaux & Sagbo, 2012).

L’observation : La collecte de données s’est opérée également par observation directe d’événements auxquels je n’ai pas participé. Pour comprendre de l’intérieur le monde des mères de jumeaux mendiantes dans la rue, j’ai opté pour une démarche qui consiste à les côtoyer, pour observer leurs attitudes, leurs réactions, pour échanger spontanément au gré des conversations banales, ce qui permet de faire apparaître bien des choses auxquelles l’enquête formelle ne peut accéder. Un guide d’observation conçu précise l’essentiel à observer : les mères de jumeaux sur leurs sites de mendicité, en interaction entre elles et le reste de la population.

Traitement, analyse et interprétation des données

Comme dans tout processus de recherche, l’analyse des données recueillies est une étape nécessaire pour obtenir des résultats, les discuter et tirer des conclusions. L’analyse des données qualitatives demande beaucoup de travail et beaucoup de temps: « […] good qualitative analysis is able to document its claim to reflect some of the truth of a phenomenon by reference to systematically gathered data », au contraire « poor qualitative analysis is anecdotal, unreflective, descriptive without being focused on a coherent line of inquiry » (Fielding, 1993; Pope et al., 2000 : 116). Les données qualitatives se présentent sous forme de texte, d’éléments sonores ou de vidéos. L’analyse de telles données vise à décrire les données (textuelles) dans un sens qui reflète l’environnement social concerné ou les propres dires des personnes ayant participé aux entretiens. Analyser des données qualitatives requiert que l’on se concentre sur les aspects interdépendants de l’environnement social, du groupe ou des personnes enquêtées. L’analyse qualitative déconstruit les données afin de construire une analyse ou une théorie (Mortelmans, 2009). Plusieurs approches d’analyses peuvent être suivies : par exemple l’analyse de contenu thématique, l’approche inductive générale, la théorie ancrée (grounded theory) ou la framework analysis. Des éléments de différentes approches peuvent également être combinés en une seule analyse (Pope et Mays, 2006). L’approche choisie dépend en grande partie du design et des objectifs de la recherche.

L’analyse des données qualitatives se fait suivant plusieurs étapes :

  • Transcription intégrale des entretiens et organisation du corpus de données;
  • Identification et organisation des concepts et idées;
  • Élaboration de thèmes généraux;
  • Validation et confirmation des conclusions;
  • Interprétation.

Conclusion

En se donnant l’objectif de comprendre et d’expliquer une réalité donnée, l’approche qualitative en recherche s’avère souvent la plus appropriée pour mieux saisir les subtilités du phénomène étudié. La recherche qualitative est aussi fort pertinente pour l’étude des perceptions. Une rigueur méthodologique impose alors un choix cohérent entre le cadre théorique et la méthodologie utilisée afin d’assurer la qualité des résultats obtenus et les données construites.

Bibliographie commentée

Bloor, M. et Wood, F. (2006), Keywords in qualitative methods. A vocabulary of research concepts. Sage.

Cet ouvrage est un guide pour aider le lectorat à utiliser les concepts (triangulation par exemple) de la recherche qualitative en lui donnant une idée précise de la manière dont ces concepts sont utilisés dans la pratique quotidienne de la recherche.

Creswell, J. W. (2003). Research Design. Qualitative, quantitative and mixed methods approaches (2e éd.). Sage.

Cet ouvrage aborde les éléments clés du processus de recherche : la rédaction d’une introduction, l’énonciation d’un objectif pour l’étude, l’identification de questions et d’hypothèses de recherche, et l’élaboration de méthodes et de procédures de collecte et d’analyse des données.

Fielding, N. (1993). Ethnography. Dans N. Gilbert (dir.), Researching social life (p. 154-171). Sage.

Ce chapitre présente les approches de l’analyse des données qualitatives, en mettant l’accent sur les ressources, la fourniture de stratégies et d’outils pour guider les analystes dans le suivi de procédures plus structurées et systématiques.

Fielding, N. et Lee, R. (1998). Computer Analysis and Qualitative Research. Sage.

Ce texte présente les enjeux de l’analyse des données qualitatives à l’heure du numérique. Les auteurs présentent les approches de la recherche qualitative et montrent comment les principaux programmes informatiques sont utilisés dans l’analyse de données qualitatives assistée par ordinateur et examinent les avantages et les inconvénients de l’utilisation de l’ordinateur.

Kirk, J. et Miller, M. L. (1986). Reliability and validity in qualitative research (vol. 1). Sage.

Dans ce livre, les auteurs font la différence entre la validité apparente, la validité instrumentale, critérielle ou pragmatique et la validité théorique, de construction ou argumentative.

Mortelmans, D. (2009). Handboek kwalitatieve onderzoeksmethoden. Acco.

Cet ouvrage donne les spécificités de la recherche qualitative: sa démarche, ses outils et ses stratégies d’analyse de données.

Mucchielli, A. (dir.) (1996). Dictionnaire des méthodes qualitatives en sciences humaines et sociales. Armand Colin.

Ce livre en présente les techniques de l’observation en recherche qualitative : auto-observation et observation directe, observation assistée et observation-participation. L’auteur invite les chercheurs et chercheuses à revenir à l’apprentissage de l’observation autrefois considérée comme la méthode la plus difficile et la plus déformante, mais qui en réalité est un outil de collecte de données approprié.

Peat, J., Mellis, C., Williams, K. et Xuan, W. (2002). Analysing the data. Dans J. Peat, C. Mellis, K. Williams et W. Xuan (dir.), Health science research. A handbook of quantitative methods (p. 181-202). Sage.

Ce texte montre que l’analyse des données et l’interprétation des résultats sont des étapes les plus passionnantes d’une étude de recherche, car elles fournissent les réponses aux questions que l’on se pose.

Pope, C. et Mays, N. (2006). Qualitative research in health care. Blackwell, BMJ Books.

Ce livre présente les principales méthodes qualitatives de collecte et d’analyse des données, le lien entre théorie et méthode ainsi que les usages de la recherche qualitative.

Pope, C., Ziebland, S. et Mays, N. (2000). Qualitative research in health care : Analysing qualitative data. British Medical Journal, 320(7227), 114-116. https://doi.org/10.1136/bmj.320.7227.114

Ce texte souligne l’importance de l’analyse des données en recherche qualitative. Il montre qu’une analyse de haute qualité des données qualitatives dépend de la compétence, de la vision et de l’intégrité du chercheur et de la chercher et cela, elle ne doit pas être confiée à un-e novice.

Références complémentaires

De Bloganqueaux, S. R. D. et Sagbo, J.-L. H. L. (2012). De l’usage des outils de la recherche qualitative en milieu rural ivoirien: une analyse de l’influence du groupe social sur la structure de l’entretien. Recherches qualitatives, 31(1), 6-28. http://www.recherche-qualitative.qc.ca/documents/files/revue/edition_reguliere/numero31(1)/soho-rusticot-droh-de-bloganqueaux-jean-louis-hippolyte-lognon-sagbo.pdf 

Drapeau, M. (2004). Les critères de scientificité en recherche qualitative. Pratiques psychologiques, 10(1), 79-86. https://doi.org/10.1016/j.prps.2004.01.004

Michelat, G. (1975). Sur l’utilisation de l’entretien non directif en sociologie. Revue française de sociologie, 16(2), 229-247.

https://doi.org/10.2307/3321036

Pope, C. et Mays, N. (1995). Qualitative Research: Rigour and qualitative research. BMJ, 311(6997), 109-112. https://doi.org/10.1136/bmj.311.6997.109

Poupart, J. (1997). La recherche qualitative: enjeux épistémologiques et méthodologiques. G. Morin.

Savoie-Zajc, L. (2010). Les dynamiques d’accompagnement dans la mise en place de communautés d’apprentissage de personnels scolaires. Éducation & Formation, 9-20.

Yin, R. K. (2012). A (very) brief refresher on the case study method. Applications of case study research, 3-20. https://study.sagepub.com/sites/default/files/a_very_brief_refresher_on_the_case_study_method.pdf

Yoro, B. M. (2010). Rôle de l’anthropologue dans la revalorisation de la médecine traditionnelle africaine. Recherches qualitatives, 29(2), 57-67. http://www.recherche-qualitative.qc.ca/documents/files/revue/edition_reguliere/numero29(2)/RQ_29(2)_Yoro.pdf


  1. Qui émane de l’intérieur du groupe social, qui prend en compte le point de vue du sujet
  2. Qui provient de l’extérieur, construite par l’observateur ou l'observatrice, c’est-à-dire le chercheur ou la chercheuse

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