Burundi

11 Pierre Claver Niyonkuru

Marie-Hélène Desjardins

Originaire de la banlieue de Bujumbura, capitale du Burundi, Pierre Claver Niyonkuru fut un enfant heureux. En effet, il eut la chance d’avoir une famille aimante qui fit tout pour le voir réussir :

Ma maman et mes sœurs sont les personnes auxquelles j’attribue ce que je suis aujourd’hui. Elles n’ont rien ménagé pour me donner tout ce dont j’avais besoin, malgré la limite de leurs moyens.

Enfance

Ses parents étaient tous deux des enseignants au primaire, un métier qui n’était pas très valorisé. Malgré cela, son père s’assura que ses six enfants fréquentent les bonnes écoles et qu’ils aient la meilleure éducation possible : « Il a tout mis en œuvre pour que ce rêve soit réalisé, parfois au détriment du reste de la famille. » Tous ses enfants lui sont d’ailleurs très reconnaissants pour les sacrifices qu’il fit tous les jours pour leur procurer la meilleure vie possible.

En plus de recevoir tout l’amour dont un enfant peut rêver, Pierre, l’aîné, bénéficia du soutien de sa collectivité, et ce, à toutes les étapes de sa vie. La banlieue de Bujumbura est un endroit où il faisait bon vivre et où les habitants se soutenaient mutuellement, ce qui fut essentiel au bon développement de Pierre. Son enfance fut équilibrée et il était entouré d’amour.

Le départ du Burundi

Pierre Claver Niyonkuru reçut une bonne éducation, ce qui l’amena à trouver un bon emploi. C’est d’ailleurs pour des raisons liées à sa carrière qu’il prit la décision de quitter son pays natal en 2001. Toutefois, d’autres raisons le poussèrent à ne pas y revenir par la suite : « C’est la guerre qui m’a fait décider de ne pas y retourner. Je l’avais vécue et j’en avais marre ».

Le premier arrêt de Pierre fut les États-Unis. Il obtint un contrat au siège social de l’organisation pour laquelle il travaillait dans son pays natal. Lorsque son contrat se termina, il quitta les États-Unis pour se diriger vers le Canada, plus précisément vers la ville de Toronto.

J’avais choisi le Canada parce que j’ai toujours cru que c’était un pays dont je partageais les valeurs.

L’intégration au Canada

Dès son arrivée à Toronto, Pierre fut accueilli par un organisme chrétien. L’accueil fut chaleureux et fraternel. De plus, un autre homme d’origine tanzanienne (la Tanzanie étant un pays voisin du Burundi) y fut accueilli au même moment, ce qui facilita leur intégration mutuelle. Après une semaine dans la maison de l’organisme, Pierre quitta vers le centre-ville de Toronto où un ami l’attendait. Cet ami l’accompagna tout au long de son intégration dans la grande ville. Ainsi, Pierre fut plus confiant et fin prêt à débuter sa nouvelle vie, dans un nouveau pays. « J’ai tout de suite commencé à faire des petits boulots à gauche et à droite. Je lui suis reconnaissant pour sa disponibilité. »

Après cinq années de résidence à Toronto, Pierre partit à Québec afin d’étudier à l’Université Laval. Il voulait reprendre ses études en tant que francophone et les frais de scolarité étaient moins élevés à Québec qu’à Toronto. Toutefois, il n’avait qu’une idée en tête, celle de terminer rapidement ses études pour retourner à Toronto.

Ayant déjà vécu cinq ans au Canada, son intégration dans la ville de Québec se passa sans anicroche. De plus, ce n’était pas sa première visite dans la vieille ville, ce qui aida grandement à diminuer son sentiment d’être dans l’inconnu.

Je parlais déjà français, j’allais à l’école, j’habitais seul, ma famille, c’était mes amis et connaissances. Je suis catholique pratiquant, je n’ai donc pas eu beaucoup de difficultés sur le plan religieux ni sur les traditions.

Le système politique ne lui causait aucun problème, car l’essentiel pour lui était d’être loin de la guerre, ce qui était tellement positif. Les habitants de la ville de Québec étaient sympathiques envers lui et il passa de très bons moments à découvrir cette nouvelle ville. Les seuls problèmes furent, d’une part, nos hivers québécois qu’il trouva et trouve encore très peu supportables et, d’autre part, la difficulté à obtenir un emploi.

J’ai réalisé qu’au Québec, il est difficile pour un étranger, surtout un noir, de trouver un emploi décent. Et quand il en trouve un, c’est presque toujours les emplois que les Québécois “pures laines” ne veulent pas prendre.

La vie au Canada

Les valeurs diffèrent d’une culture à l’autre, mais Pierre Claver Niyonkuru dit apprécier et partager l’essentiel des valeurs québécoises. Toutefois, il y voit plusieurs lacunes, entre autres une tendance à l’hypocrisie et trop de rectitude politique : « Bien souvent, les gens disent une chose alors qu’ils pensent le contraire et ne veulent pas offusquer l’autre parce qu’ils craignent de se faire juger et disent alors ce que l’autre veut entendre ». Ces valeurs font que le peuple québécois est parfois difficile à saisir, car on doit toujours se demander si ce qui est dit est réellement pensé, ou si c’est simplement dit pour faire plaisir ou pour éviter l’affrontement.

Une autre lacune est la discrimination systémique dont sont victimes certains groupes sociaux, par exemple les immigrants, les Amérindiens, les musulmans, les femmes et les noirs.

Je crois sincèrement que c’est une discrimination très solide et difficile à résoudre, car elle est érigée en système. Pour y remédier, il faudra une bonne dose de volonté de tous les acteurs, à commencer par les plus influents.

Dans plusieurs situations, les Québécois vont juger négativement les personnes issues d’autres cultures, et ce, sans raison réelle. Pourtant, c’est quelque chose qui doit être corrigé pour faciliter l’intégration de personnes ayant besoin d’aide ou désirant vivre une vie meilleure.

Une dernière lacune quant aux valeurs québécoises concerne les relations parents-enfants. Ayant eu une enfance remplie d’amour et de soutien parental, Pierre estime que les Québécois ont une façon parfois matérialiste d’élever les enfants. Bien entendu, cette lacune n’est pas associée à toutes les familles, mais elle est bien présente dans notre société.

Je le remarque surtout depuis que j’habite en Occident, où les enfants ont matériellement tout, mais ne voient par leurs parents ou ne passent pas des moments de qualité avec eux, car ils doivent travailler tout le temps. Moi, mon accès au matériel était limité, mais j’ai toujours été bien entouré.

Les impressions de Pierre sur la culture québécoise sont demeurées relativement stables au fil des années, excepté celle relative à l’emploi : « J’ai compris que le Québec est une terre d’accueil magnifique, mais on veut des immigrants qui viennent faire ce que les “pures laines” ne veulent plus faire. » Malgré cette difficulté, il vit actuellement très bien avec son entourage québécois et s’est fait beaucoup d’amis et de connaissances. Depuis 2013, il renoua avec ses origines en communiquant davantage avec sa famille et ses connaissances demeurées au Burundi. « J’ai compris avec le temps que, malgré les difficultés qu’il y a, c’est le seul pays au monde où je suis citoyen à part entière. »

Les Québécois et l’Afrique

Selon lui, une majorité de Québécois perçoivent l’Afrique très négativement et ont d’immenses préjugés sur ce continent sans jamais y avoir mis les pieds. Ces fausses idées et impressions sont malheureusement véhiculées par les médias et leur message négatif sur l’Afrique et ses habitants. Lorsqu’il est fait mention de l’Afrique dans les bulletins de nouvelles, c’est toujours pour présenter de mauvaises nouvelles. Pourtant, comme partout ailleurs, il n’y a pas que du mauvais. Ce sont les médias qui ont choisi de dévaloriser ce continent, ce serait maintenant à eux de remédier à la situation en présentant les bons coups et pas seulement la pauvreté, la guerre et les crimes.

L’Afrique est un continent de 54 pays, il y a sans doute des problèmes, comme partout ailleurs, mais il y a certainement des aspects très positifs en Afrique. Pourquoi ne pas les montrer au monde?

Recommandations

Pour une meilleure intégration des immigrants lors de leur arrivée au Canada, Pierre Claver Niyonkuru précise qu’il faudrait que le peuple québécois les accepte comme étant des Québécois à part entière, afin qu’ils puissent s’épanouir pleinement.

J’ai toujours de la peine quand je réalise que dans mon entourage, il y a des gens qui ont effectué des études jusqu’au doctorat, mais qui finissent par travailler comme plongeurs dans des restaurants. Ils perdent espoir, ils sont frustrés et ils ne croient plus au rêve québécois qu’ils avaient à leur arrivée. Et nous, en tant que société, nous perdons, car on a trop investi pour très peu de retombées.

Pour que les Québécois puissent penser de cette manière, le gouvernement devra changer sa façon de présenter les immigrants. Ce sont de grandes étapes pour un pays, mais elles sont essentielles pour un meilleur vivre-ensemble. Les immigrants veulent s’intégrer, se plient en majorité à notre culture et à nos valeurs, et en retour, nous leur fournissons un travail dévalorisant et nous nous intéressons peu à eux. Il faut commencer à les considérer comme des citoyens à part entière et non comme des réfugiés qui viennent voler nos emplois et notre argent.

Message aux Québécois

La plus grande étape en temps que société est d’accepter les immigrants, mais comment faire? Le message de Pierre est simple : vaincre la peur. C’est l’Humain qui se crée une peur face à quelque chose qui ne doit pas être craint.

Ces gens que nous craignons, ce sont nos semblables, accueillons-les car nous aussi, nous avons été accueillis. Le Québec est une terre d’immigration et, en tant que peuple, nous devons notre survie, entre autres, à l’arrivée de ces immigrants. Le monde change, il est devenu un véritable village, le changement est inévitable. Changeons avec le monde, sinon, nous aurons et la peur et le changement, et nous serons des perdants sur toute la ligne.

Changer une mentalité est un travail de dur labeur qui peut durer toute une vie. Trop longtemps, notre peuple s’est créé des craintes envers des gens qui ne méritent pas d’être traités de la sorte. Personne ne décide de son pays et de sa situation de naissance. Pourquoi ne pas nous ouvrir réellement aux autres cultures et essayer de les comprendre, au lieu de les décourager et de les dénigrer?

Pierre Claver Niyonkuru

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