Burkina Faso

7 Jean Ramdé

Malika Schneider

Burkinabé d’origine, mais né en Côte d’Ivoire, Jean Ramdé est à présent québécois, professeur à l’Université Laval. Dès son plus jeune âge, il avait déjà la bougeotte et l’envie de voyager.

Vers le Québec

Après son enfance ivoirienne, Jean Ramdé vécut près de quatre ans au Burkina Faso et deux ans au Togo où il commença des études de psychologie et de sciences de l’éducation. Comme il souhaitait continuer sa formation dans une université d’un pays du Nord, il se mit à chercher des universités convenant à ses très faibles moyens financiers. Il découvrit alors qu’en Allemagne, les frais de scolarité seraient gratuits pour lui. C’est donc dans ce pays qu’il partit, à l’âge de 24 ans, pour étudier afin de devenir psychologue.

La barrière de la langue fut le premier défi de taille à relever. Il dut suivre des cours de langue allemande avant de poursuivre ses études. C’est au cours de cette période qu’il entendit parler du Québec. Le Canada avait toujours été un pays qui l’attirait, mais les frais de scolarité universitaires canadiens lui étaient toujours apparus trop élevés pour sa propre situation financière : « C’est un rêve qui ne va jamais se réaliser, donc je ne peux pas me lancer là-dedans », se disait-il.

Après ses études en Allemagne, il décida d’émigrer au Québec en tant que travailleur qualifié, en tant que psychologue. Il lui fallut tout de même près de deux ans pour finaliser tous les papiers et les entrevues. C’est en se projetant avec optimisme dans l’avenir et en se rappelant que le Canada est un pays démocratique doté d’une belle nature qu’il arriva le 5 mars 2002 au Québec, à l’âge de 33 ans. Ce fut à ce moment précis que le parcours du combattant débuta.

Un parcours de combattant

Au moment de son arrivée au Québec, M. Ramdé se sentait bien. Il avait aperçu plusieurs policiers noirs à l’aéroport, ce qu’il n’avait jamais vu en Allemagne et qui le rassura pour la suite. Le Québec allait lui apporter la sécurité qu’il n’avait pas connue en Allemagne.

La désillusion apparut quelques semaines après son arrivée. L’accent local, le langage et les modes de communication se révélèrent des défis importants. Le simple achat d’une maison souleva des difficultés importantes, car il n’avait aucun historique de crédit, ni références. Il convient aujourd’hui qu’il avait la chance, à l’époque, d’être seul, car au moins il n’avait pas à se « préoccuper » des autres membres de sa famille. Cependant, une autre difficulté majeure apparut, qui traumatisa grandement Jean : l’absence de reconnaissance de son diplôme de psychologue obtenu en Allemagne.

C’est perdre son identité professionnelle. Quand j’ai terminé mes études en Allemagne, tout le monde m’appelait le psychologue. Au Québec, je n’avais même pas le droit de porter ce titre-là. Ça, c’est ce qui a été le plus difficile.

Travailler et s’adapter

Il commença donc à travailler au Québec dans des entreprises comme Transcontinental, avec des horaires variables, mais toujours de nuit, et ce, au salaire minimum. Après quelques conseils judicieux de la part d’une personne africaine qui avait vécu la même expérience, il tenta de sortir de cet emploi épuisant et obtint un contrat dans une maison de jeunes, au salaire minimum malgré sa maîtrise. « Ma boss avait à peine terminé son secondaire 5 », ironise-t-il aujourd’hui.

Cette expérience lui permit tout de même de découvrir la culture et la jeunesse québécoises. Elle lui donna l’opportunité de pouvoir travailler dans au Centre jeunesse de Montréal  comme éducateur. C’est à ce moment précis que Jean Ramdé décida de continuer ses études au doctorat à l’Université de Montréal, tout en travaillant en tant qu’auxiliaire de recherche et éducateur.

À la fin de sa scolarité de doctorat, il souhaita obtenir plus d’expérience en enseignement et en recherche. Il postula alors sur tous les postes ouverts à travers le Québec et le Canada. Il réussit à obtenir un poste de chargé de cours à l’Université d’Alberta. Ce fut reparti pour une aventure de près de deux ans dans cette province canadienne. Toujours dans le but de devenir professeur d’université, il continua de postuler dans d’autres établissements au Québec. Il aboutit alors à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Finalement, il postula à l’Université Laval. Depuis 2012, il y œuvre en tant que professeur de psychoéducation.

Une adaptation familiale

Selon le professeur, les relations familiales font partie « des éléments qui peuvent accentuer la détresse qu’on peut ressentir » quand on arrive dans un environnement totalement étranger. La famille qui est restée sur place a de grandes attentes concernant le partage des biens financiers. « Même si tu n’as pas forcément de revenus, la famille pense que tu as de l’argent, mais que tu ne veux pas en donner », explique Jean.

Au niveau individuel, il existe une pression personnelle qu’on appelle la piété filiale et qui consiste à vouloir absolument aider les autres. C’est une charge très lourde.

On se torture avec cette exigence qui n’est pourtant pas obligée. Je regrette seulement [ma décision de partir] quand j’essaie d’expliquer aux gens qui sont restés dans mon pays que je n’ai pas autant de ressources financières qu’ils le pensent.

Dès son arrivée au Québec, Jean Ramdé a parrainé celle qui devint plus tard son épouse et qui était restée au Burkina Faso. Quelque temps plus tard, la voici arrivée en terre québécoise. « Son adaptation a été difficile, parce que nous n’avions pas le même niveau d’acculturation. Cela faisait longtemps que j’avais quitté l’Afrique de l’Ouest par rapport à elle. Au début, c’était difficile », avoue-t-il.

Sa petite fille lui demande toujours : « Papa, je ne comprends pas pourquoi à la télévision, quand on montre l’Afrique, c’est soit les animaux ou soit les guerres. » Il lui explique donc que la vie normale n’émeut personne dans les reportages ou les médias étrangers.

Conseils d’un Africain au Canada

Le professeur de l’Université Laval convient qu’aujourd’hui, les nouveaux arrivants africains ont plus de facilité en raison du nombre importants d’Africains qui ont immigré au Québec et au Canada depuis les dernières années.

Les Africains qui immigrent à présent vont moins vers l’adaptation. Je ne sais pas si c’est une bonne chose. Quand on arrive dans un pays, le mieux c’est de s’adapter. S’adapter, ça demande de l’énergie, de la tolérance, de l’acceptation et ça demande de laisser passer certaines parties de soi pour réussir.

Personnellement, il n’a pas eu le choix, lors de son arrivée en Allemagne, de « s’obliger à s’adapter » en raison de la différence langagière. Il insiste notamment sur le fait que ça demande du courage d’expérimenter de nouvelles choses. Et souvent, il a l’impression qu’il y a en a beaucoup qui n’ont pas ce courage.

Pour ma part, j’ai dit à ma fille qu’il était important de toujours avoir des amis nés au Québec et des amis nés ailleurs aussi. Ça permet de trouver un certain équilibre pour soi-même.

Il faut avoir conscience en immigrant dans un pays que l’adaptation est un cheminement qui est long. Il est nécessaire de passer plusieurs années dans un nouveau pays et une nouvelle région avant d’être totalement intégré. Les nouveaux immigrants africains doivent aussi avoir conscience que leur niveau de vie va se retrouver modifié au Québec et au Canada durant les premières années après leur arriver.

Il insiste sur le fait qu’il faut faire énormément d’efforts pour s’adapter et enfin se sentir québécois ou canadien.

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