Sénégal

42 Abdoulaye Anne

Pierre-Luc Brien

Abdoulaye est né à Dakar, la capitale du Sénégal. Après avoir beaucoup circulé au Sénégal durant son enfance, puisque son père fonctionnaire changea souvent d’affectation et emmena sa famille dans les différentes villes du pays, il est revenu finir son lycée dans la ville de Dakar, où il a également fait ses études universitaires de premier cycle en sociologie. Son enfance voyageuse ayant fait naître en lui l’envie de découvrir le monde, il décida de continuer ses études à l’extérieur du Sénégal. Grâce à ses bons résultats scolaires, il obtint une bourse de mobilité de la Francophonie pour faire sa maîtrise à l’extérieur du pays. Il se dirigea alors vers la France où il obtint une maîtrise en sociologie, un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie et un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en science politique à l’Université de Nice Sophia-Antipolis.

De la France au Québec

La France est un choix logique pour les jeunes Sénégalais qui souhaitent s’expatrier puisque c’est le pays qui avait colonisé le Sénégal. Il existe toujours des liens forts entre les deux pays et la transition migratoire est supposée d’y faire plus facilement. La réalité fut tout autre dans son cas. En effet, l’eldorado rêvé se révéla beaucoup moins intéressant. À la suite de son DESS, Abdoulaye eut l’opportunité de faire un stage international à l’UNESCO. L’organisation l’engagea, par la suite, sur de courts contrats de consultant. Il mit cette période à contribution pour évaluer ses options qui, à ce moment-là, incluaient un retour au pays natal.

C’est alors qu’il prit connaissance d’une campagne invitant à venir s’installer au Québec. Elle montrait beaucoup de publicités qui vantaient les attraits du Québec. Le Canada peut être séduisant pour les jeunes Africains, mais le fait francophone du Québec le rend encore plus attirant pour les ressortissants des pays d’Afrique francophone. C’est à la suite d’une séance d’information qu’Abdoulaye décida de venir s’installer au Québec.

Arrivée au Québec

Et non, ça ne se fait pas du jour au lendemain, de devenir Québécois! Abdoulaye a commencé par remplir et faire accepter son dossier, puis a dû faire des modifications lorsque son épouse a décidé de partir en même temps. Après les entrevues et les tests médicaux, sa demande a aussi été acceptée. Ce qui n’était pas surprenant, car elle avait également fait des études supérieures et possédait un bon dossier.

Une fois sur place, les démarches d’installation se sont très bien passées. Par chance, Abdoulaye avait un cousin qui était venu s’installer au Québec, plus précisément à Montréal, quelques mois avant lui. Le couple a habité chez lui à leur arrivée. Ils n’avaient pas choisi le meilleur moment, parce que c’était en plein mois de février! Leurs vêtements n’étaient pas assez chauds. Ils ont dû faire les démarches d’usage pour obtenir les cartes nécessaires à la vie québécoise, comme la carte d’assurance maladie. Abdoulaye ne pourra jamais assez remercier son cousin pour tout ce qu’il a fait pour sa conjointe et lui. Il leur a montré le chemin à suivre pour que  l’adaptation soit la plus rapide possible. Être bien accueilli enlève beaucoup de stress. Ensuite, il lui fut plus facile de faire ses propres démarches.

La communauté sénégalaise

Peu de temps après son arrivée, il a découvert avec surprise qu’il y avait une communauté sénégalaise relativement organisée dans la ville de Montréal. Il pouvait dorénavant compter sur d’autres personnes que son cousin et n’avait pas à mettre une croix sur les fêtes traditionnelles du Sénégal, car il avait trouvé des personnes avec qui les fêter. Il a même trouvé une organisation qui faisait des activités ponctuelles et qui donnait de l’information pour aider à l’adaptation des Sénégalais. Il existait aussi plusieurs commerces sénégalais permettant de se procurer des produits de son pays natal. Grâce aux liens entre l’Université de Montréal et l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar où il avait étudié, le transfert des étudiants et la reconnaissance des acquis étaient simplifiés. Le système universitaire au Sénégal, lacunaires sur plusieurs de plans, est bien meilleur que ce que certains Québécois pensent.

Les études au Québec

En arrivant au Québec, il a travaillé pendant deux ans en tant que chargé de projet pour la Fondation Paul Gérin-Lajoie. C’est lors de sa deuxième année dans cette organisation qu’il a décidé de retourner aux études pour faire un doctorat. Sa scolarité antérieure n’était pas tout à fait reconnue. Il a dû faire trois cours pour obtenir l’équivalent de ce qu’il avait pourtant déjà fait en France. Heureusement, refaire ces cours n’aura pas été vain. En plus de rafraichir ses connaissances, sa scolarité préparatoire lui a permis d’améliorer son dossier académique ce qui a grandement aidé ses demandes de bourses doctorales.

Sur le coup, je n’étais pas très content, mais avec le temps, ça m’aura beaucoup aidé de refaire les cours. J’en retire du positif.

Aujourd’hui, Abdoulaye est professeur à l’Université Laval. Son bagage d’expériences l’aide à mieux comprendre les difficultés que peuvent vivre les étudiants et les étudiantes d’origine africaine. Son parcours a définitivement fait de lui un meilleur enseignant, plus conscient des gros obstacles qui jalonnent le cheminement aux études universitaires et donc plus aidant.

L’arrivée dans la ville de Québec

Abdoulaye habite la ville de Québec depuis maintenant deux ans, à la suite de son engagement par le Département des fondements et pratiques en éducation de l’Université Laval. Il n’a pas eu de problèmes d’adaptation à la ville, car ça faisait tout de même neuf ans qu’il vivait au Québec. Mais la communauté sénégalaise et africaine étant moins présente à Québec, il fut plutôt solitaire au début. Récemment, il a découvert le Conseil panafricain de Québec (COPAQ) : ce n’est pas une organisation aussi grosse que celles de Montréal, mais il a été très content d’apprendre qu’il y avait un organisme qui vise à raffermir l’unité entre les communautés africaines de la ville de Québec.

Des différences

La première différence qu’il mentionne concerne les rapports avec le voisinage. Au Sénégal, on va manger chez notre voisin et on va le voir pour discuter, c’est naturel. Un vieux voisin devient de la famille. Au Québec, on a naturellement un peu plus de mal connaître ses voisins de cette manière.

Je suis gêné de ne pas pouvoir aller voir mon voisin au Québec.

Abdoulaye ne comprend pas comment des gens peuvent vivre aussi près les uns des autres sans se voir régulièrement. Heureusement, il a un voisin qu’il voit plus souvent que les autres. Ce dernier a même déjà accompagné sa fille, un matin où il devait partir très tôt, pour qu’elle attente l’arrivée du bus scolaire avec ses propres enfants. C’est ce genre de lien qu’il aimerait développer avec tous ses voisins.

Il voit aussi une différence importante entre le Québec et la France à propos du racisme. Contrairement à son expérience en France où il s’est déjà fait insulter par une vieille dame à qui il voulait céder sa place dans un autobus, M. Anne n’a pas vraiment vécu d’événements négatifs au Québec. Il lui est déjà arrivé qu’une personne dans une boutique refuse de le servir pour une raison qu’il n’a jamais comprise, mais c’est tout. Sur une moins longue période, il a vécu plusieurs mauvaises expériences de discrimination ou d’agressions verbales à Nice en France.

La famille

La famille et les parents de Abdoulaye au Sénégal lui manquent beaucoup. Le problème majeur est que ses parents habitent dans une zone de la ville de Dakar où la couverture Internet est très instable, probablement du fait de la proximité de l’aéroport. Par chance, son frère et sa sœur habitent dans des zones de la ville où le réseau fonctionne très bien. Il peut ainsi leur parler via Skype. Il communique avec au moins un membre de sa famille chaque semaine.

Il essaie d’aller les voir aussi souvent qu’il peut. Lorsqu’il habitait en France, il allait au Sénégal chaque année. Depuis qu’il est au Québec, il essaie d’y aller tous les deux ans, étant donné que c’est plus loin et plus cher. Sa mère est déjà venue lui rendre visite à deux reprises. Son père, qui n’aime pas voyager en avion, n’est jamais venu leur rendre visite au Québec.

Abdoulaye vit encore avec le sentiment de devoir redonner à son pays. Il sent qu’il doit faire quelque chose pour le système d’éducation qui lui a permis d’être où il est aujourd’hui. Selon lui, il faut remédier au taux élevé de décrochage scolaire chez les jeunes au Sénégal et aussi améliorer la qualité des apprentissages. Au début, il pensait à un retour physique au Sénégal, mais maintenant il envisage plus une sorte de « retour symbolique », au moins dans un premier temps. Il aimerait participer à des projets pour aider la population de son pays natal.

Conseils d’un sage

Abdoulaye conseille aux jeunes Québécois et Québécoises de faire un voyage, en Afrique ou même ailleurs. En tant que professeur, il voit la différence chez les étudiants et étudiantes avant et après leur voyage. Selon lui, il s’agit d’une ouverture sur le monde qui fait comprendre aux jeunes à quel point ils sont chanceux au Québec à plusieurs points de vue, mais qui leur permet aussi de découvrir la richesse des autres, et en particulier celle des cultures africaines. La littérature sur l’Afrique et sur les cultures du berceau de l’humanité est tellement rare qu’il est normal que la population québécoise la connaisse moins. Dans un même ordre d’idées, il conseille simplement à ceux qui ne peuvent pas voyager pour diverses raisons de pratiquer leur ouverture sur le monde à travers les livres et en entrant en contact avec les immigrants et immigrantes. C’est cette ouverture aux autres qui fait de nous des gens dotés d’une meilleure acceptation de la différence.

J’ai eu la chance de pouvoir pratiquer mon ouverture de façon graduelle en voyageant d’abord à travers le Sénégal, la France, la ville de Montréal et, pour finir, à Québec. Toutefois, il faut avoir cette envie d’apprendre.

À ceux qui voient d’un mauvais œil l’arrivée d’immigrants africains sur le sol québécois, il dit ceci :

Les Québécois oublient souvent qu’ils ont été il n’y a pas si longtemps eux aussi des nouveaux arrivants. Si les décideurs au Québec pensent qu’il faut encourager la venue d’Africains, c’est qu’il y a un besoin. Les Africains ne viennent pas voler des postes, ils viennent en combler et enrichir la société.

Il aime aussi faire un parallèle avec le soccer et l’arrivée d’immigrants africains.

Je n’ai pas besoin de trop dire aux jeunes que j’entraîne au soccer qu’ils doivent vouloir gagner. Je dois seulement leur montrer comment ils peuvent arriver à atteindre leurs objectifs parce que je sais qu’au fond d’eux, ils veulent gagner. Il faut seulement leur en donner les outils.

De la même manière que cela ne sert pas beaucoup de crier aux jeunes la nécessité de gagner, il n’est pas besoin de simplement crier une injection de s’intégrer aux immigrants. Il faut poser des gestes concrets qui les y aident. Et on aiderait ainsi tous les Boucar Diouf en attente !

Aujourd’hui, Abdoulaye est heureux avec sa famille. Il est le père de trois beaux enfants, il a un emploi qui le satisfait et un merveilleux environnement de vie, mais il est bien conscient que cela n’est pas le cas de nombre de ses compères qui ont immigré dans la Belle Province. Il espère et travaille à son niveau pour que cela change.

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Abdoulaye Anne

 

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