Cameroun
20 Moïse Ngolwa
Carole-Anne Tremblay
Moïse Ngolwa est né au Cameroun en 1972. Il avait 26 ans lorsqu’il quitta son pays natal. Diplômé en histoire, il souhaitait poursuivre sa maîtrise à l’étranger, en se dirigeant vers une branche plus littéraire. L’Allemagne fut sa première destination.
La vie en Allemagne
Il eut la chance d’avoir de bons professeurs et amis en Allemagne, ce qui facilita son intégration. Il témoigne toutefois y avoir connu certaines formes de discrimination :
Dans la rue, les gens sont portés à te regarder, à te juger. Ils ne te saluent pas. Tu entres dans le bus et les gens ne se parlent pas. C’est beau l’Allemagne, mais ce n’est pas très chaleureux. Cependant, ce n’est pas la raison pour laquelle j’ai quitté ce pays.
En effet, Moïse ne se voyait pas rester en Allemagne, car les débouchés dans son domaine semblaient inexistants. De plus, il souhaitait vraiment travailler dans un milieu francophone. Il connaissait le Québec et il avait appris son histoire au travers des livres. De plus, il avait une amie qui avait assisté à un colloque de l’Université Laval et qui lui en avait parlé, ainsi que de la ville de Québec. Comme Moïse souhaitait poursuivre sa thèse et que son envie de partir s’accentuait, il en fit part à ses professeurs. Quelque temps après, il constitua son dossier d’immigration au Canada en envoyant sa demande de certificat de sélection du Québec à Vienne, en Autriche.
Les démarches
Moïse se considère chanceux, car il répondait très bien aux critères nécessaires à son admission au Canada : il était francophone, il avait fait des études et il possédait les moyens financiers pour faire évaluer son dossier.
Je ne venais pas d’un milieu pauvre. Je ne me suis jamais senti stressé et je n’ai jamais eu de problème relatif à ma demande d’immigration. Le seul bémol était lié à la durée du processus, car après l’examen du dossier, l’entrevue au consulat du Québec et l’obtention du certificat de sélection du Québec, il fallait joindre audit certificat d’autres documents qui étaient cette fois envoyés à l’ambassade du Canada en Allemagne. S’en suivait alors une nouvelle étude du dossier, une batterie d’examens médicaux, puis la délivrance du visa.
L’arrivée au Québec
C’est en tant que travailleur qualifié que Moïse arriva au Québec, avec des diplômes obtenus au Cameroun et en Allemagne ainsi que des expériences de travail acquises durant son cheminement. Le Québec lui sembla tout de suite chaleureux. Dès qu’il entra dans l’aéroport de Montréal, l’affiche « Bienvenue au Canada! » lui sauta aux yeux.
Je n’avais pas vu ça ailleurs! La grosse différence avec l’Allemagne, selon mes expériences, c’est qu’ici, les gens se parlent! Je rentrais dans l’autobus et le chauffeur disait « bonjour ». Entamer un dialogue avec l’autre me semblait plus facile.
Rapidement, il comprit qu’au Québec, ses compétences et ses diplômes ne garantiraient pas son intégration, ce qui est ironique, puisque la formation, les études et surtout les expériences de travail font partie des critères de sélection des immigrants. De plus, les expériences de travail acquises à l’étranger sont souvent surclassées par la fameuse « expérience québécoise » demandée à tous les nouveaux arrivants. Même si la maîtrise qu’il avait complétée en Allemagne fut reconnue au Québec, elle n’équivalait pas à une maîtrise québécoise selon l’évaluation comparative des études effectuées hors du Québec.
Moïse déplore que les immigrants fassent souvent des sacrifices énormes afin de pouvoir se réaliser professionnellement au Québec, pour ensuite y vivre une grande déception en lien avec ce manque de reconnaissance de leur formation et de leur expertise. Il remarque que, même pour ceux et celles qui ont continué leurs études au Québec et qui y ont obtenu un diplôme, la situation n’est pas toujours reluisante.
Pas facile, l’intégration
Persuadé de pouvoir travailler dans son domaine d’études, Moïse posa sa candidature à maintes reprises pour des postes qui correspondaient tout à fait à ses compétences, mais sans succès. Selon lui, si les immigrants ne se sentent pas bien intégrés à Québec, ce n’est pas parce qu’ils refusent de s’ouvrir à la culture québécoise. Sans vouloir généraliser, Moïse pense que certaines institutions québécoises tout comme certaines personnes ne sont pas assez ouvertes à la diversité et que la connaissance qu’elles ont des immigrants est pétrie de stéréotypes.
Comment un immigrant peut-il développer un sentiment d’appartenance lorsqu’il n’est pas accepté, lorsqu’il est cet « autre » qu’on redoute et dont on se méfie, lorsque ses études et ses compétences acquises ici comme ailleurs ne sont pas reconnues à leur juste valeur, lorsque son projet d’immigration économique s’apparente à des espoirs perdus, des rêves brisés, et ce malgré tout son bagage?
Je connais plusieurs Québécois issus de l’immigration qui ont simplement déchanté.
Le « Nous autres » exclusif
Selon Moïse, lorsque certains Québécois s’adressent à un immigrant, ils le font en ces termes : « Nous autres, les Québécois… ». Cette façon de s’exprimer retire implicitement à l’immigrant son appartenance à la société québécoise. Moïse trouve que cette binarité discrimine les immigrants qui sont devenus Québécois et encore plus leurs enfants qui sont pourtant nés ici et qui fréquentent la même école que d’autres enfants québécois appelés, à tort ou à raison, « de souche ». Selon Moïse, de tels mécanismes divisent les gens et mettent de l’avant les différences plutôt que les ressemblances. Ce faisant, ils génèrent de l’exclusion. S’il a fait des sacrifices pour venir vivre au Québec et qu’il a dû endurer le jugement et l’absence de reconnaissance de ses compétences, il ne veut pas que cela affecte les enfants des immigrants. Même s’il est conscient qu’il vient d’ailleurs, il estime qu’il serait difficile d’expliquer aux enfants québécois dont les parents sont issus de l’immigration qu’ils ne sont pas d’ici.
Si le Québec veut avancer et grandir comme nation, il faudrait compter sur l’apport des Québécois issus de l’immigration… Quelle perte! Que d’espoirs perdus si l’on ne parvient pas à mettre à profit toutes ces compétences et expériences acquises autant ailleurs qu’ici!
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