Sénégal

43 Ndèye Marie Fall

Tracy St-Amand

Native du Sénégal, Mme Ndèye Marie Fall a eu une brillante carrière au Sénégal, aux États-Unis et à l’UNESCO. Elle a d’abord été professeure d’anglais et de français au secondaire, puis cheffe du Département d’anglais à l’Institut universitaire de technologie de l’Université de Dakar, consultante en études africaines pour un consortium de 42 universités américaines sous les auspices de la Phelps Stokes Fund, et enfin fonctionnaire internationale à l’UNESCO pendant 23 ans. À ce dernier titre, elle a occupé de multiples fonctions dont celle de Directrice du Bureau et Représentante de l’Unesco au Canada (entre 1996 et 2001) avec résidence à Québec. Madame Fall a fini sa carrière comme Directrice du Bureau et représentante de l’UNESCO en Jordanie et en Irak. Elle a pris sa retraite en 2003 et est venue s’installer comme résidente permanente à Québec en 2006.

Son premier passage au Québec avait eu lieu en 1987, alors qu’elle accompagnait sa fille qui avait décidé de venir faire ses études à l’UQAM. Elle revint plusieurs fois voir sa fille, avant de demander une affectation au Bureau de l’Unesco au Canada. Sa fille est, depuis bien longtemps, mariée à un Québécois et demeure dans notre capitale nationale, avec sa famille. Passionnée par le Québec, Ndèye Marie Fall, maintenant âgée de 73 ans, s’implique toujours avec ardeur et conviction auprès des différentes communautés auxquelles elle est fière d’appartenir.

Premier contact avec le Québec

Enseignante de formation, curieuse et aimant les voyages, madame Fall a beaucoup voyagé, longtemps avant d’être recrutée à l’UNESCO. Ainsi, elle a été pratiquement sur tous les continents, habitant en Angleterre, 14 ans à Paris où se trouve le siège de l’UNESCO, au Canada, au Kenya, en Namibie, en Jordanie et en Irak, en ne comptant pas, bien sûr, les nombreux pays où elle est allée en mission.

Les années qu’elle passa au Québec l’amenèrent à adopter cette province dont elle a vite aimé l’humanité et l’humanisme, comme en témoigne le souvenir suivant. Venant prendre ses fonctions en août 1996, elle arriva en fin d’après-midi à Québec après 30 heures de voyage. Or la clé de la maison où elle devait emménager, laissée dans la boîte aux lettres par son assistante, n’était pas la bonne. Sans trop savoir comment elle allait être reçue, elle alla s’adresser à la voisine qui arrosait ses plantes…  Cette dernière et son conjoint l’accueillirent chez eux, lui donnèrent à manger et à boire, prirent contact avec le promoteur qui avait construit la maison et finirent par obtenir la bonne clé! Constatant qu’il n’y avait qu’un lit dans la nouvelle maison (ses boîtes devaient arriver quelques jours plus tard), ils lui apportèrent une télévision, une table et d’autres articles ménagers qu’ils avaient en double. Ils se sont occupés d’elle jusque très tard dans la nuit. Ce n’est qu’un an plus tard, lorsqu’ils décidèrent d’organiser une fête des voisins, que madame Fall découvrit que ses voisins passaient alors eux aussi leur première nuit dans leur maison. Quel accueil formidable, inoubliable! Ils sont rapidement devenus ses premiers amis québécois. Elle les considère comme les membres de sa famille choisie, celle qu’elle a constituée dans ce pays qui est le nôtre à toutes et tous, nés ici ou ailleurs.

Arrivée au Québec 

Après avoir passé les deux premières années de sa retraite au Sénégal, Mme Fall décida, en 2005, de demander la résidence permanente au Canada afin de retourner vivre au Québec. Elle aurait pu, bien entendu, aller vivre en France où elle a une maison, des amis et de la famille, notamment son fils, mais ce ne fut pas son choix pour de multiples raisons dont on ne parlera pas ici. Elle est donc résidente permanente depuis 10 ans et citoyenne canadienne depuis deux ans. Elle fit le choix délibéré de venir s’installer à Québec, non pas pour chercher du travail, puisqu’elle a une retraite, mais simplement parce qu’elle aime le Québec et plus particulièrement la ville de Québec, ainsi que les amis qu’elle s’y est faits. Connaissant déjà notre ville avant d’y emménager définitivement, elle savait que tout n’y était pas rose, mais affirme que les avantages d’habiter ici lui permettent d’accepter les inconvénients.

Son adaptation à la vie à Québec ne fut pas très difficile, car elle y avait déjà habité auparavant, ainsi qu’aux États-Unis, dans le Maryland où elle avait fait connaissance avec la rigueur des hivers.

J’aime le froid, c’est mon exotisme à moi! La neige m’émerveille chaque fois comme si c’était la première fois que je la voyais. Je n’ai pas le temps de m’ennuyer à Québec, car au fil des saisons, c’est chaque fois une ville différente que je découvre, et ce, quatre fois par année.

Le seul élément difficile fut de trouver les aliments nécessaire à la cuisine sénégalaise, comme l’igname, la banane plantain ou le gombo. En 1996, il fallait aller à Montréal ou passer des commandes une semaine à l’avance à un petit commerce qui n’en recevait qu’une fois par semaine. Mais aujourd’hui, tout est disponible dans les épiceries. En ce qui concerne l’habillement, elle dit porter ses habits sénégalais sans jamais avoir eu de réaction négative de la part des Québécois. Au contraire, les gens trouvent que ses vêtements traditionnels sont beaux.

Une citoyenne parmi les autres

Être considérée comme une citoyenne parmi les autres, quelle que soit la couleur de sa peau et peu importe son âge, était une de ses attentes en s’installant à Québec. Hélas, elle fut parfois déçue de la manière dont ses droits étaient respectés par rapport à ceux des Québécois. En tant que musulmane, elle déplore le fait qu’il n’y a pas de cimetière musulman au Québec ailleurs qu’à Terrebonne. Elle croit que les autorités devraient promouvoir l’instauration de lieux de cultes et d’ensevelissement pour les différentes religions. Selon elle, une bonne façon de savoir si une personne a accepté un pays comme étant le sien est de savoir si cette personne veut être enterrée dans ce pays.

Elle affirme ne pas avoir eu de réelles mauvaises expériences de racisme depuis son arrivée à Québec. Certains événements minimes sont arrivés, sans la choquer vraiment, car elle les voit surtout comme une preuve de l’ignorance de la part des autres. Par exemple, des gens lui ont déjà demandé qui avait écrit son discours lors d’une rencontre professionnelle, comme si elle n’en était pas capable. Pour certains, il est impossible qu’une Africaine parle si bien le français (elle parle aussi très bien l’anglais en plus de sa langue maternelle, le wolof) alors qu’elle l’a appris dans son pays natal. Elle attribue cette ignorance au fait que ces Québécois ne quittent pas leur petit coin de pays, sont nés là, sont restés là et mourront là. Elle se considère comme une francophone décomplexée : son usage de la langue française est tout aussi légitime pour elle que pour les Français ou les Québécois. Ses aïeux n’ont-ils pas payé ce legs de leur sang, lors des deux grandes guerres mondiales du 20e siècle,  pour que la France continue de parler français et non allemand!

Les Québécois de souche ne sont pas de ce pays, ils viennent d’ailleurs, ils sont seulement arrivés plus tôt que moi. Les réels propriétaires de ce pays sont les Amérindiens. Si les Québécois ne peuvent pas accepter que d’autres viennent s’installer ici, comme eux l’ont fait il y a longtemps, il y a un un réel problème et il faudrait créer de vraies opportunités pour en discuter avec sérénité.

Certaines interdictions dans notre société la dérangent, comme celle concernant le port du foulard. « En quoi mon foulard gêne-t-il alors que beaucoup de jeunes femmes montrent leur corps dans leur façon de s’habiller? » dit-elle. Sans être prude, elle se sent parfois gênée par l’habillement minimaliste de certaines Québécoises. Elle m’a confié qu’elle ne porte le foulard que depuis le projet de la Charte des valeurs québécoises. Ce geste lui permet d’affirmer son identité plurielle en réaction à la stigmatisation des femmes musulmanes.

Porter le voile, c’est mon choix libre et non un signe de soumission, encore moins un geste ostentatoire. Je déteste le terme « ostentatoire » car ce mot n’est pas neutre. Dans le contexte des accommodements raisonnables et de la fameuse Charte des valeurs, ce mot est particulièrement chargé d’agressivité!

Elle ne porte pas son foulard pour choquer ou agresser les autres, elle le fait pour elle tout simplement. Dans sa vision des choses, le terme « ostentatoire » est trop chargé et lui prête des sentiments qu’elle n’a pas.

Elle a constaté, surtout pendant la dernière décennie, que les problèmes de la France, en contexte d’immigration, se transposent au Québec. Entre son premier séjour à Québec en 1996 et son retour définitif en 2006, elle a remarqué que beaucoup de choses avaient changé.

Évidemment, avec la Commission Bouchard Taylor et la Charte des valeurs, il y a eu une libération de la parole publique, dans un sens récemment utilisé par un politicien français de droite qui se dit être de la droite décomplexée! C’est-à-dire qu’il se permet de dire des choses désagréables aux immigrants, car il n’était pas encore né quand la France colonisait et exploitait les pays d’origine de ces personnes. Par conséquent, il ne se sent en aucun cas ni responsable ni coupable des méfaits de son pays!

Madame Fall a remarqué la prédominance des Français parmi les immigrants à Québec. Le Portrait de la population immigrante de la Ville de Québec (2006) lui donne raison.

 À cet égard, certaines émissions des chaines françaises ont été importées ici, au point que « quand la France tousse, le Québec s’enrhume ». Ainsi, le port du voile n’avait jamais été un problème au Québec, mais lorsque la France s’y est mise avec l’identité française et la laïcité, le Québec s’y est aussi intéressé. Il faudrait faire remarquer que la France est un pays colonialiste impérialiste alors que le Canada et le Québec en particulier ont une tradition d’immigration et d’inclusion. En dehors des Premières Nations, tout le monde ici est immigrant. L’ancienneté donne-t-elle droit à une supériorité?

Aujourd’hui

Aujourd’hui septuagénaire, Mme Fall est toujours passionnée par le Québec. Elle connaît son histoire par cœur, elle s’implique dans la communauté et on s’aperçoit en l’écoutant parler qu’elle a le bien-être de notre pays à cœur. Pour elle, le Québec est maintenant son pays. Elle n’est pas en accord avec le projet de Charte des valeurs, car elle a comme conviction que les valeurs comme le respect de l’autre, l’honnête ou l’intégrité sont universelles, qu’elles n’appartiennent pas à un peuple en particulier, mais à tous les peuples de la planète, même s’ils les expriment de manière différente. Elle est fière qu’en fin de compte, la majorité des Québécois aient rejeté cette Charte. Cela lui prouve qu’elle ne s’était pas trompée sur les vraies et profondes valeurs humaines portées par ce peuple et qu’elle a fait le bon choix en venant s’installer ici.

Profitant d’une retraite bien méritée, elle s’occupe en faisant du bénévolat dans trois organismes non gouvernementaux, dont le Collectif des femmes pour la promotion du patrimoine immatériel en Francophonie. La Convention de l’Unesco sur le Patrimoine immatériel décrit ce patrimoine comme étant ce que nous sommes, notre manière de faire, d’être et d’agir. Il est très important pour elle de protéger ces legs qui sont beaucoup plus fragiles que le patrimoine physique, matériel, protégé par une Convention adoptée presque trente ans auparavant. Elle affirme qu’on ne préserve pas les vieilles constructions et les pierres pour ce qu’elles sont, mais pour le génie humain qui les a créées. J’ai d’ailleurs pu voir chez elle une œuvre de tissage fléché qui est un patrimoine important pour le Québec, car de moins en moins de gens savent encore le faire.

Madame Fall essaie aussi de mettre en valeur ce qui rapproche les peuples. Ayant constaté de nombreuses et étranges ressemblances entre la ville de Québec et celle de St-Louis au Sénégal, elle a mis sur pied un projet intitulé Regard croisé entre deux villes du Patrimoine mondial – Québec et St-Louis du Sénégal. Ces deux villes ont été fondées par la France presqu’en même temps, à seulement 30 ans d’intervalle, Québec en 1608 et St-Louis en 1638. Toutes deux sont situées à l’embouchure d’un fleuve, le St-Laurent et le fleuve Sénégal respectivement, et possèdent des architectures très semblables. On peut aussi faire des comparaisons entre les Filles du roi qui devaient se marier et peupler le territoire, donc contribuer au développement du pays, et les Signares, femmes métissées de sénégalaises nobles  qui se mariaient, à la mode du pays, avec des officiers français. Bien avant les Français, les Portugais occupèrent le territoire. D’ailleurs le terme Signare est une déformation du mot portugais Signora. Ainsi, sur les deux rives de l’Atlantique et au même moment, ces femmes respectivement d’origine européenne et africaine ont apporté leur précieuse contribution à la construction de leur pays et  au développement et à l’enrichissement de la France colonialiste d’antan. On trouve même des similarités dans leurs façons de s’habiller, aussi différentes qu’elles puissent sembler de prime abord!

Madame Fall m’a confié que, parfois, sa famille du Sénégal lui demande pourquoi elle ne revient pas dans son pays natal, qu’à son âge elle pourrait avoir une cuisinière, une femme de ménage, un chauffeur. Elle leur répond que son pays, c’est le Québec maintenant. Au Sénégal, elle se sent parfois immigrée. Là-bas aussi les choses ont changé et pas toujours en bien, ce qui ne lui permettrait pas de s’y épanouir pleinement. Les régimes en place sont de moins en moins démocratiques et il y a de plus en plus de népotisme. Nostalgique, elle dit qu’avant, tout le monde se connaissait dans un quartier et que, maintenant, c’est tout le contraire, personne ne connaît plus personne.

Il y a aussi une perte de certaines valeurs dont le respect et plus particulièrement celui envers les aînés, la probité morale et l’hospitalité, la fameuse téranga sénégalaise.

En bref, beaucoup d’aspects du Sénégal d’aujourd’hui, sur lesquels elle n’a aucun pouvoir, la dérangent, tandis qu’à Québec, elle a le pouvoir d’intervenir au sein de la communauté, de donner son opinion et de faire une différence. Elle va quand même dans son pays natal une ou deux fois par année, mais s’y sent dorénavant comme une visiteuse. Ses amis québécois la perçoivent comme une internationaliste; elle leur a fait découvrir une multitude de choses qu’ils ne connaissaient pas, comme les tenues sénégalaises ou la cuisine.

Ses recommandations

Comme elle considère son expérience comme atypique puisqu’en arrivant ici, elle faisait partie du corps diplomatique et qu’elle connaissait déjà le Québec, il lui est difficile de faire des recommandations générales, utiles pour une famille africaine qui viendrait s’installer ici pour la première fois. Toutefois, elle conseille de ne pas trop cultiver d’illusions avant leur arrivée. en fait, elle considère qu’on crée de fausses attentes chez les immigrants africains potentiels. On vend mal le Québec en Afrique. En effet, les Africains pensent que leur acceptation par le système d’immigration s’accompagne d’une maison et d’un emploi.

Nous savons qu’en réalité, ce n’est pas vrai. Les désillusions peuvent être dures, voire douloureuses et le changement du cadre social difficile. Les choses devraient être plus claires, sinon les nouveaux arrivants voudront repartir quelques mois après leur arrivée, découragés de ne pas encore avoir trouvé l’emploi qu’ils espéraient, par exemple.

Madame Fall suggère aussi aux arrivants de ne pas rejeter certaines offres de travail, même si cela ne les intéresse pas. Il faut se dire que c’est pour un moment seulement et que toute expérience est bonne à prendre. Elle conseille aussi de ne pas arriver en hiver, car le choc est trop grand. Elle suggère que ces nouveaux immigrants puissent s’installer ici entre le mois de mai et le mois d’octobre pour se préparer tranquillement à l’hiver qui vient.

Ayant l’être humain au centre de ses préoccupations, elle a expliqué la différence qu’elle fait entre globalisation et mondialisation. Elle voit la globalisation comme un projet de société que nous impose le capitalisme où les gros mangent les petits et où l’humain est considéré comme une ressource, un outil. C’est pourquoi elle déteste le terme « ressources humaines ». La mondialisation désignerait en revanche le développement normal de l’humanité, le fait qu’on peut aller plus loin plus vite qu’avant et que l’humain est partie prenante de la planète.

Je ne comprends pas le terme altermondialiste, car on ne peut pas être contre la mondialisation, contre un monde qui suit la marche du temps, un monde qui devient de plus en plus petit, au fil des progrès. Ce village planétaire qui nous est à présent  si familier, avec la troisième révolution, celle du numérique.

Madame Fall conseille donc de ne pas mettre en exergue ce qui diffère entre les êtres humains. Elle a comme conviction qu’il n’y a pas plusieurs races, mais seulement la race humaine et ensuite des ethnies. « L’étranger, c’est l’ami que vous n’avez pas encore rencontré » dit-elle. Ou encore mieux : « Pour l’être humain, il n’y a d’autre remède qu’un autre être humain ».

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Ndèye Marie Fall et Tracy St-Amand
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Mme Fall aux États-Unis
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Mme Fall en Inde

Références complémentaires : Louise Lemieux, 22 février 2009, « N’deye Marie Fall: l’engagement et la passion, de Dakar à Québec », Le Soleil. En ligne à http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/dossiers/le-laureat/200902/20/01-829665-ndeye-marie-fall-lengagement-et-la-passion-de-dakar-a-quebec.php

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