Côte d’Ivoire
24 Karim Abdoul Cissé
Marion Tremblay-Lachance
Ni mayara dounia connon ité coyé Ni codomakila ité colon : Quand les pieds ne se promènent pas, l’œil ne peut pas voir beaucoup de choses. – traduction libre
Originaire de Bouna, ville au nord de la Côte d’Ivoire, Karim est né d’un père ivoirien et d’une mère malienne. Voici le récit de la vie d’un artiste et homme de cœur, doté d’une ouverture inouïe sur le monde.
Enfance
Karim n’a jamais rêvé d’être un artiste. Il fut élevé par sa grand-mère paternelle. Alors que la tradition familiale voulait qu’il aille à l’école, Karim sut bien vite que les études ne l’intéresseraient pas. Il se rappelle d’ailleurs avec humour :
J’étais le premier petit-fils de ma grand-mère, j’étais comme l’enfant chouchou. Alors, quand je lui ai dit que je n’irais pas à l’école, pour elle ce n’était pas grave, je resterais avec elle à la maison, c’est ce qu’elle voulait. Donc ça n’a pas aidé!
C’est ainsi qu’il occupa ses journées à cirer des chaussures dans la rue pour faire un peu de sous et à faire des acrobaties sur la plage d’Abidjan, ville du sud de la Côte d’Ivoire, participant parfois à des compétitions amicales avec les autres jeunes du quartier. À l’âge de quinze ans, il fut approché dans la rue par un homme qui, l’ayant vu faire ses acrobaties, l’invita à travailler pour le Cirque du monde, organisme de cirque social créé par le Cirque du Soleil en partenariat avec l’organisme Jeunesse du monde pour venir en aide aux jeunes en situation précaire. Il réalisa alors qu’il pouvait faire carrière dans un domaine qui le passionnait, celui du cirque.
Le début d’une vie hors du commun
Son emploi au sein du Cirque du monde l’amena à voyager dans plusieurs pays et à développer des liens avec plusieurs communautés. Après avoir suivi des formations de base en cirque social de 2000 à 2003 avec le Cirque du Soleil en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso et au Cameroun, il devint instructeur de cirque pour le Bureau international catholique de l’enfance dans plusieurs pays. Il se rendit au Liban, en Syrie et en Turquie où il travailla dans les camps de réfugiés et auprès des jeunes en difficulté. Curieux de tout ce qui l’entoure, Karim développa en parallèle sa passion pour la musique, ainsi que ses talents en chant et en percussions.
L’arrivée à Québec
C’est dans le contexte du 400e anniversaire de la ville de Québec que Karim fit son arrivée dans la région de Québec. Il avait été envoyé par le Cirque du monde pour représenter l’ensemble des moniteurs de l’organisme. Il partagea alors son vécu et sa philosophie de vie avec des jeunes Québécois de différents milieux, autant dans les communautés autochtones du nord du Québec que dans les établissements scolaires et dans les centres communautaires un peu partout dans la province. Il enseigna également à l’école de cirque de Québec et à celle de Gaspé. C’est d’ailleurs en Gaspésie qu’il vécut son premier contact avec l’accent québécois. Il raconte :
Le vendredi, au cégep de Gaspé, il y a de l’impro. Il n’y a personne dans les rues, tout le monde est au cégep. Quand je suis arrivé à l’impro, tout le monde riait. Sauf moi, je ne comprenais absolument rien! Mais deux mois après, j’ai commencé à rire, comme tous les autres.
La langue n’est que l’une des multiples facettes de l’intégration dans un nouveau pays. L’intégration de Karim fut grandement facilitée par son caractère : sa curiosité et son ouverture sur le monde lui permirent de créer des liens forts partout où alla et de savoir s’entourer des bonnes personnes.
En arrivant dans la capitale, il eut un coup de cœur. L’accueil des gens, leur ouverture d’esprit, leur pacifisme sont de nombreux traits qui le convainquirent de s’établir ici. Après avoir parcouru le monde, il cherchait un endroit où poser les pieds afin de construire quelque chose de plus durable. Quand on demande à Karim ce qu’il préfère du Québec par rapport à son pays natal, il répond avec sagesse qu’il a l’habitude de ne jamais comparer les pays :
Chaque pays a sa réalité. Quand je vais dans un pays, le plus important, c’est de prendre tout ce qui est bon. Il faut travailler pour son bonheur, il n’y a pas de terre promise, la seule qui existe, c’est celle où l’on se trouve et où on est bien.
D’ailleurs, il faut creuser loin pour trouver un aspect du Québec que Karim aime moins. Et encore, très diplomate, il répond que tout dépend des circonstances, mais que s’il devait absolument en identifier un, ce serait la tendance à se plaindre. Pour lui, avoir un travail, une famille et arriver à s’en sortir sont des éléments qui sont synonymes d’une belle vie. Il ne comprend pas que certains puissent se plaindre malgré cela.
La réalité québécoise
Le moins qu’on puisse dire, c’est que Karim aime se garder occupé : intervenant auprès de jeunes enfants, organisateur d’événements, musicien, il ne chôme pas! Travailler auprès des jeunes enfants lui permet de mettre à profit ses valeurs humaines et sa grande compréhension de l’autre. Il parle d’ailleurs avec amour et camaraderie des jeunes qu’il aide :
Certains jeunes ont juste besoin de plus d’attention et d’encadrement. Il faut créer un lien avec les jeunes, il n’y a pas de magie, il faut d’abord trouver leur amitié.
Toujours la tête remplie de projets, Karim vient de mettre sur pieds une maison de production qui vise à faire découvrir aux Québécois les différentes cultures des pays qui l’ont façonné. Faute de pouvoir retourner dans chacun de ces pays, il souhaite en amener une parcelle là où il réside présentement, précisant que la culture est l’arme du futur.
Lancer un regard en arrière
Karim a passé sa vie à voyager. À la question de l’ennui et de la nostalgie, il répond : « Je peux dire que je m’ennuie de l’Afrique. Et je parle de l’Afrique, mais je m’ennuie du Liban, du Cameroun, de la Belgique, de plein d’endroits où je suis passé, parce que j’ai tissé des bons liens avec des gens ». Heureusement, il garde le contact grâce à Facebook, mais la vue de certaines images lui rappelle ses passages dans différents endroits et il ressent une certaine nostalgie. Son remède à ce sentiment? Il sait s’entourer des bonnes personnes partout où il se trouve. D’ailleurs, son intégration au Québec s’est faite assez facilement, puisqu’il côtoyait déjà plusieurs Québécois lorsqu’il travaillait pour le Cirque du monde, autant en Côte d’Ivoire qu’au Cameroun. Que ce soit à Montréal ou à Québec, il avait déjà développé un bon réseau de contacts. Mais ce ne sont pas tous les immigrants qui ont cette chance. D’après lui, ce qui facilite l’immigration, c’est le partage. Le partage entre les immigrants de leurs expériences vécues et de leur bonne vibe. Il ajoute : « Et pourquoi pas la partager avec nos amis Québécois, cette bonne vibe? »
À ce propos, Karim déplore le manque d’entraide entre les Québécois. Ici, des organismes ou des associations sont mis sur pied pour offrir des services aux gens dans le besoin et bénéficient de subventions. Sur le continent africain, ces programmes n’existent pas et les gens sont obligés de s’entraider. L’entraide est donc une valeur très présente à cause des conditions de vie plus difficiles dans certains pays d’Afrique.
Un regard positif sur la vie
Enrichi de ses nombreux voyages, Karim a développé une vision inspirante de la vie. Selon lui, s’ouvrir sur le monde est primordial. Il faut oser bouger et passer à l’action, car il y a tellement de choses à voir : des personnes merveilleuses, de la bonne nourriture, etc. Il faut profiter de la vie, c’est le plus important. Le travail est nécessaire, certes, mais comme il le dit si bien : « Un être humain n’est pas fait pour simplement être là, c’est pour ça qu’on a des jambes! ». La curiosité et la largeur d’esprit qu’il a depuis son tout jeune âge l’ont aidé à traverser les épreuves, à s’intégrer et à découvrir de multiples facettes du monde.
En voyageant un peu partout, il est facile d’imaginer qu’il ait pu faire face à certains préjugés. Karim insiste pourtant sur le fait qu’il ne pense pas que ce soit les gens qui véhiculent les préjugés associés à l’Afrique, mais bien les médias. Les médias ne parlent pas des pays stables et paisibles, ce qui fait que les Occidentaux croient que l’Afrique n’est que guerre, famine et problèmes. Il mentionne par exemple qu’on n’entend jamais parler de la Namibie, du Libéria ou du Ghana, des pays africains en paix et prospères. Selon Karim, les préjugés sont normaux. Ils traduisent l’ignorance des gens plutôt que leur méchanceté. Il faut simplement que chacun prenne le temps d’expliquer sa réalité. Le dialogue est la clé entre les différentes cultures pour mieux se comprendre. Il ajoute d’ailleurs que l’immigration constitue une force pour un pays, car le mélange des cultures peut apporter beaucoup à une nation. On ne peut qu’être en accord avec lui!
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