République centrafricaine
37 Jo-Kirby Olongbo
Jake Lamotta Granato
Jo-Kirby a aujourd’hui 24 ans. Elle est arrivée il y a quelques années au Québec, mais elle continue encore et toujours à s’adapter à son nouveau pays. Voici le récit de cette diplômée en économie de l’Université Laval.
La vie avant le Québec
Jo-Kirby est née en France de parents centrafricains. Elle eut une enfance agréable et plutôt aisée. Après des études secondaires en République Centrafricaine, Jo passa une année en Angleterre pour y perfectionner son anglais. Comme ses parents voulaient offrir à leurs enfants l’accès à une bonne éducation et à un bon environnement pour leurs études et que le papa était déjà venu quelquefois au Québec, la famille décida d’entamer la procédure d’immigration au Canada. Jo commença néanmoins ses études universitaires en France pendant la durée de la procédure. Une fois tous les papiers réglés, la famille s’installa au Québec.
L’arrivée au Québec
Jo-Kirby arriva dans la capitale nationale au mois d’août 2012. La famille dormit quelques jours à l’hôtel en attendant de s’installer dans leur nouveau lieu de résidence. Première étape, il fallait faire les courses. Les nouveaux arrivés comprirent rapidement qu’il y aurait un certain temps d’adaptation quant à leur nouveau mode de vie. D’abord, les épiceries étaient remplies d’aliments nouveaux et de produits de marques qui leur étaient inconnues. Même si, au départ, la famille s’ennuya des repas traditionnels de son pays, elle n’hésita pas à essayer des repas typiques de Québec. Jo avoue que « la poutine, je n’aime pas, mais ma petite sœur, je l’appelle mademoiselle poutine parce qu’elle mangerait de la poutine tous les jours ». Petit à petit, leurs habitudes alimentaires devinrent un mélange de celles de leur pays d’origine et de celles de leur nouveau pays. La famille demanda à d’autres immigrants Africains où ils pouvaient trouver des aliments plus typiques de leur pays : « Dieu merci, on a trouvé des endroits! Les premières journées, tu as envie d’en manger, mais tu ne sais pas où en trouver ».
Jo-Kirby et ses sœurs eurent comme responsabilité de monter les nouveaux meubles. « Ça, c’était comme wow! », s’exclame-t-elle. Elle explique qu’en République Centrafricaine, puisqu’ils vivaient assez aisément, les tâches de ce genre étaient réalisées par d’autres personnes. Elles avaient bien sûr l’habitude d’aider dans la cuisine ou de faire le ménage, par exemple, mais le bricolage, c’était une nouvelle expérience. En rigolant, Jo raconte que lorsque ses amis lui demandent « Alors, le Canada? », elle répond : « Au Canada, tu deviens ton propre coiffeur, ton propre jardinier, ton propre menuisier! ».
Dès les premiers jours, elle s’installa dans un logement individuel puisqu’il était difficile pour ses parents de trouver une maison capable de loger les quatre enfants. Elle rejoignait sa famille durant la fin de semaine et les vacances. Son premier hiver fut une surprise pour elle, l’hiver québécois étant bien plus froid que l’hiver français. Elle remarque que même les Québécois ne semblent pas s’habituer aux grands froids des mois de janvier et février. Heureusement, au bout de quatre ans au Québec, elle se dénicha quelques astuces : « Si tu te couvres bien, tu t’adaptes. Il ne faut pas juste regarder la température, mais bien la température ressentie! ».
Jo-Kirby et sa famille conservèrent leurs habitudes religieuse ; ils se rendent à l’église chaque dimanche. Jo constata sans réelle surprise que la religion n’occupait qu’une petite place dans la vie des Québécois, comme en France. Toutefois, elle fut frappée par une particularité québécoise :
À mon arrivée, je ne comprenais pas pourquoi les rues portent le nom de saints et que les gens ne pratiquent pas la religion et sacrent. Comment peut-on ne pas aimer la religion, mais l’afficher partout, avoir des églises dans chaque quartier ? À la suite de mes lectures et de mes discussions, j’ai compris que cela était lié à l’histoire.
Recherche d’emploi
Rapidement, Jo-Kirby voulut trouver un emploi. Elle déposa plusieurs candidatures le premier été, mais sans succès. Elle remarqua que les employeurs qui la rappelaient avaient tous la même requête : des références. Le fait d’avoir travaillé en France ne suffisait pas. Même si elle présentait des références comme celle de la chaîne mondiale McDonald’s, les employeurs potentiels demandaient quand même des références liées à des expériences de travail au Québec.
Le plus difficile est vraiment de rentrer sur le marché du travail, il y a vraiment une barrière à l’entrée. Quand je parle à mes amis, c’est la même histoire.
Elle ne réussit pas à se trouver un emploi le premier été. Ce n’est qu’après avoir fait partie d’une association étudiante et fait du bénévolat qu’elle décrocha finalement un emploi : « Une fois qu’on voit que tu as déjà travaillé, c’est plus facile… il faut trouver la personne qui va te permettre d’avoir une première expérience, te donner le bénéfice du doute ». En effet, après son implication dans des comités scolaires, elle alla porter trois candidatures et se fit offrir deux emplois.
Parcours scolaire
À l’automne 2012, elle entreprit son baccalauréat en économie à l’Université Laval. Elle rencontra quelques obstacles au début, en raison des différences entre les systèmes universitaires français et québécois. La première difficulté fut, d’entrée de jeu, l’accent québécois :
Maintenant, je comprends le français québécois, mais ma première journée, j’étais comme : « Seigneur! Est-ce que c’est vraiment du français? ». Je comprenais des mots… mais les expressions, ce n’est vraiment pas la même chose.
Cela lui prit quelques mois pour vraiment comprendre les différentes expressions québécoises. Elle eut quelques difficultés à trouver de l’aide et des ressources offertes aux nouveaux arrivants venant d’un autre système universitaire. Par exemple, elle s’inscrivit à un cours de statistiques pour les sciences pour apprendre, quelques séances plus tard, que c’était un cours d’économie pour les sciences. Elle dut découvrir par elle-même les divers services offerts par l’université et le fonctionnement du système. En plus, elle remarqua avec déception qu’il n’y avait pas de suivi pour s’assurer que les étudiants soient sur la bonne voie. Elle suggère de mieux orienter les nouveaux étudiants vers les divers endroits où ils peuvent trouver l’information. « C’est quand tu tombes que tu comprends », dit-elle en riant. « Les immigrants n’ont pas nécessairement les bons réflexes et vu que c’est un système différent, tu ne sais pas qu’il y a des personnes ressources qui sont là pour t’aider ». Au départ, tout ce qu’elle connaissait était le bureau du registraire… Elle ne savait pas qu’elle pouvait aller discuter dans le bureau du directeur de programme, par exemple.
Jo-Kirby œuvra au sein d’un comité et fit beaucoup de bénévolat. À travers son expérience dans le comité de l’AIESEC (Association Internationale des Étudiants en Sciences Économiques et Commerciales), elle reçut beaucoup d’aide et noua de nombreuses relations. Elle adora son expérience. C’est d’ailleurs quelque chose qu’elle apprécie beaucoup du Québec.
Ces possibilités d’implication n’existent pas dans le système scolaire en France, en Angleterre, ni où que ce soit. Non seulement l’université encourage [le bénévolat et l’implication scolaire], mais elle les valorisent. Je ne connais pas beaucoup de sociétés qui valorisent ça autant.
Jo constate que cette expérience lui a donné l’occasion de s’impliquer dans la société et d’en apprendre davantage. Elle sait que « après l’université, tu n’auras pas nécessairement le temps ». Elle apprécie aussi l’importance accordée aux femmes, qui est plus grande au Québec qu’en France et qu’en République Centrafricaine.
Sa vision des Québécois
Jo-Kirby a une vision très positive des Québécois. Elle fut surprise par leur ouverture d’esprit. En effet, elle mentionne qu’à son arrivée, plusieurs personnes tentèrent de l’aider à trouver ce qu’elle cherchait. Elle ajoute que « cette hospitalité, ce n’est pas tout le monde qui l’a ». Grâce à son implication universitaire et bénévole, elle put agrandir son cercle d’amis africains et québécois : des gens venant de son pays, mais aussi des gens qui ont les mêmes ambitions ou les mêmes goûts qu’elle. Elle dit « qu’à la fin de la journée, on est tous humains ». Elle trouve important de connaître beaucoup de gens de différentes cultures. Dans la même lignée, elle adore le fait que les chauffeurs de bus à Québec disent bonjour : « En Afrique tu dis bonjour pratiquement tout le temps, c’est quelque chose qui nous est propre, mais voir les chauffeurs de bus faire pareil démontre qu’il y a encore de l’humanité ». D’autant plus qu’elle admire la société québécoise pour ses valeurs.
Il n’est jamais trop tard pour que tu puisses poursuivre tes rêves.
Par ailleurs, sa mère put suivre de nombreuses formations après son arrivée. Jo-Kirby apprécie que les adultes, au Québec, soient encouragés à améliorer leur formation et qu’il existe des structures faites pour eux et elles.
Les perceptions des Québécois face aux Africains
Jo-Kirby connut toutefois des expériences plus négatives durant ses quatre années passées au Québec. Elle a constaté qu’il y existe plusieurs types de réactions face aux Africains :
C’est mitigé, il y a deux extrêmes. Il y a vraiment des ignorants qui vont tout faire pour te faire sentir mal à l’aise et, de l’autre côté, il y a la majorité des gens qui sont plus ouverts sur le monde et s’intéressent à l’Afrique.
Dans la boutique de mode où elle travaille, elle vécut un jour une expérience pénible. Elle essayait d’aider une cliente qui ne faisait pas attention à ses questions. Lorsqu’une autre employée, à la peau blanche, alla lui poser les mêmes questions, la cliente lui répondit tout de suite. Comme cette attitude était clairement dirigée contre Jo, la gérante prit la peine de mentionner à cette cliente que son comportement était inacceptable. Une autre fois, alors que Jo attendait l’autobus, un homme commença à lui crier dessus en lui disant de retourner chez elle. Les autres personnes présentes vinrent toutefois s’excuser à elle pour ce comportement déplacé.
Elle remarque aussi que certaines personnes ne connaissent tout simplement pas l’Afrique :
Ils ne sont pas méchants, mais ils vont poser des questions comme « Vous n’avez pas de neige à Noël? Mais comment vous faites? » ou ils vont dire « Tu parles vraiment bien français! ». Ce n’est pas mal intentionné, c’est juste que la personne n’a pas vécu d’une autre manière que la sienne. Ça lui fait bizarre d’entendre quelqu’un qui a grandi d’une manière différente.
Jo-Kirby croit qu’il y aura toujours de l’ignorance et des formes de racisme.
C’est normal, les gens ont peur de l’inconnu, ça ne me choque pas plus que ça. C’est plus la personne qui a peur qui a un problème. Je ne m’attarde pas avec ça. Quand tu sais ce que tu vaux, c’est son problème.
Elle reconnaît que sa personnalité lui permet de bien gérer ces situations embêtantes. Elle ajoute qu’il suffit de regarder les commentaires des articles concernant l’immigration sur le web ou sur Facebook pour constater que le racisme et l’ignorance sont encore bien présents dans la société québécoise.
Conseils pour les nouveaux arrivants et pour les Québécois
Après ses quatre ans de vie au Québec, Jo-Kirby a beaucoup appris de son expérience. Elle conseille aux nouveaux arrivants de rester ouverts, de ne pas avoir peur de poser des questions et d’aller chercher de l’aide, surtout dans le cas des étudiants étrangers qui ne connaissent pas le système universitaire québécois. Elle suggère de créer des liens avec d’autres Africains qui peuvent donner des astuces et des conseils précieux grâce à leur expérience similaire, ce qui peut aider grandement l’intégration.
Il faut aussi accepter que, peu importe l’endroit, il va toujours y avoir de l’ignorance. Cependant, il faut savoir ce qu’on vaut et faire son possible pour ne pas accorder d’attention aux jugements des personnes ignorantes.
Jo-Kirby encourage les Québécois qui ont peur de l’arrivée d’immigrants africains à ne pas juger et à ne pas généraliser avec des stéréotypes. Il y a plusieurs catégories d’immigrants : les réfugiés, les étudiants étrangers ou les immigrants économiques, par exemple. Ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas d’emploi que les immigrants économiques immigrent, mais plutôt parce qu’ils veulent avoir de nouveaux défis et découvrir de nouvelles choses. Elle rappelle que les étudiants étrangers et les familles doivent payer cher pour venir étudier ici, louer un appartement, etc. Elle aimerait aussi « que ceux qui ont des préjugés viennent [nous voir en Afrique], qu’ils sachent qu’on ne vit pas dans des cabanes et qu’on ne vit pas avec des lions et des serpents ».
On n’a peut-être pas la même couleur de peau, mais les gens doivent comprendre que nous sommes des êtres humains avec juste une culture, une expérience et des pensées différentes.
Aujourd’hui, plus que jamais, elle précise qu’il est primordial de « vivre ensemble » et de « vivre au-delà des préjugés » parce qu’avec la mondialisation, « ça devient plus en plus courant les gens qui viennent de plusieurs cultures ».
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