Gabon

30 Jacques Okoué Édou

Mélodie Lepage-Pouliot

Jacques Okoué Édou, âgé de 45 ans et natif du Gabon, vit au Québec depuis juin 2007. Il a immigré avec ses deux enfants et sa femme. Il est considéré comme un immigrant économique, très qualifié. En 1998, il quitta le Gabon pour aller étudier la finance en France, au 3e cycle. À la fin de ses études, en 2005, il enseigna deux ans à l’Université de La Rochelle (France). À la suite de l’élection de Sarkozy en 2005, Jacques Okoué Édou décida de quitter ce pays pour assurer l’avenir à ses enfants, car il trouvait que ce président tenait un discours populiste qui encourageait l’exclusion des immigrants. Il commença donc la procédure d’immigration vers le Québec qui dura finalement deux ans puisque plusieurs enquêtes ont lieu aux niveaux provincial et fédéral avant d’obtenir l’approbation de la demande. Voici donc le récit de son aventure vers le Québec.

Choisir le Québec

Jacques a choisi le Canada par une analyse de type coût-avantage. C’est un pays qui possède d’excellents indicateurs socio-économiques concernant le taux de chômage, l’indice de développement humain, la démocratie, la liberté, la possibilité de faire des études, etc. À l’époque, le Canada figurait d’ailleurs au sommet des pays en termes des conditions de vie. Au sein du Canada, le choix du Québec permettrait aux membres de la petite famille de parler une langue qu’ils maîtrisaient très bien, ce qui représentait un avantage indéniable.

Avant d’immigrer au Québec, Jacques avait déjà entendu parler du Canada et un peu du Québec puisque sa professeure de 3e secondaire au Gabon était québécoise. Il admirait le Canada pour son respect des libertés et des droits de la personne. Il considérait le Canada comme un pays en avance sur les autres en matière de droits à la vie, à la santé. « Au Canada, quand tu respectes le système, il te respecte en retour », croit Jacques Okoué Édou, alors que c’est tout le contraire dans son pays d’origine puisqu’une dictature y règne et que les hommes ne sont pas libres.

L’arrivée au Québec

Évidemment, la décision d’immigrer au Québec ne fut pas facile à prendre, surtout pour ses enfants. Ils avaient la peur au ventre, car immigrer au Québec signifiait pour eux aller vers l’inconnu. Heureusement, dès leur arrivée, ils se sentirent rassurés. Jacques Okoué Édou affirme que

les Québécois ont une bonne culture d’accueil envers les immigrants, ils sont conscients que nous sommes une nécessité pour leur peuple, pour assurer une main-d’œuvre qualifiée et que nous leur venons en aide dans un certain sens.

Depuis son arrivée, il se débrouille presque entièrement seul. En France, il avait reçu quelques conseils d’ordre professionnel de la part d’un agent d’immigration Québec. En arrivant, il ne demanda aucune aide supplémentaire, n’en ressentant pas le besoin. Il fit seulement une demande d’aide financière pour les premiers mois afin de subvenir aux besoins de la famille, jusqu’à ce qu’il commence à travailler pour plusieurs institutions d’enseignement dès janvier 2008, soit à peine six mois après son arrivée : l’UQAR, le Cégep Limoilou et l’ÉNAP.

Aujourd’hui, il travaille encore pour le Cégep Limoilou et pour l’UQAR, en plus d’étudier au certificat en finance personnelle et de faire un doctorat en science politique à l’Université Laval. Les connaissances sont pour lui une ressource précieuse et infinie.

Premiers moments de son arrivée

Jacques avait vécu en France pendant plusieurs années avant d’immigrer au Québec, donc il en connaissait déjà beaucoup sur le monde occidental. Très ouvert d’esprit, il n’a pas vécu de difficultés particulières avec les Québécois, l’emploi, l’école, les traditions, etc. De plus, sa langue maternelle est le français, ce qui fut facilitant. Son seul point négatif concerne la neige, puisqu’elle entraîne des coûts supplémentaires.

Une expérience positive le marqua à son arrivée. Ses nouveaux voisins l’abordèrent deux jours après son arrivée, alors qu’il marchait pour aller prendre l’autobus. Ils lui demandèrent si tout allait bien et cela lui fit chaud au cœur.

L’une des seules expériences négatives qui lui arriva fut lors de son premier emploi, qui consistait à trier du courrier dans un ministère. Il disait toujours « bonjour » à ses collègues en rentrant travailler et personne ne lui répondit, et ce, pendant quatre jours. Il se mit alors à analyser ses collègues pour se rendre compte qu’il s’agissait en fait d’une valeur culturelle : les gens ne se disent pas souvent « bonjour » le matin. Cela l’étonna et le choqua, puisqu’au Gabon les gens n’agissent pas de cette manière. Par contre, Jacques Okoué Édou et sa famille se définissent comme des noirs assumés, c’est-à-dire qu’ils acceptent les blagues, ne sont pas offensés rapidement et sont très ouverts d’esprit. Cette situation ne le choqua pas bien longtemps et il s’intégra rapidement.

Sa famille et lui ne vécurent pas d’expériences racistes au Québec. Jacques Okoué Édou croit que :

les Québécois sont aussi immigrants dans leur pays et c’est pourquoi ils se sentent accueillants et tolérants à l’égard des immigrants actuels…

Il ajoute que le Québec est un État de droit : il existe des lois qui réprimandent les comportements racistes. Le racisme en France est bien plus flagrant. À la suite des attentats du 11 septembre 2001, il fut arrêté comme plusieurs autres immigrants, sans aucune raison. Il considère qu’il s’agissait là d’une atteinte à ses droits fondamentaux, puisqu’il n’y avait aucun motif à l’arrestation.

Perception de la société québécoise

Les valeurs québécoises qu’il apprécie le plus sont le bénévolat et le collectivisme. Il aime particulièrement la capacité que les Québécois ont de donner à leur prochain. Cela l’encouragea d’ailleurs à créer sa propre fondation (Fondation Jacques Okoué Édou) qui aide à la bonne gouvernance en Afrique. Il apprécie que les Québécois s’entraident et se rallient pour des causes qui leur tiennent à cœur. Mais il croit que les Québécois sont individualistes dans leurs gestes quotidiens, qu’ils font parfois preuve d’hypocrisie, manquent de politesse et de courtoisie. Il a remarqué que les gens disent rarement en face ce qu’ils pensent réellement, surtout dans les organisations. Il croit que cela fait partie du jeu politique des organisations. Pour ce qui est de la politesse et de la courtoisie, c’est surtout le fait que les gens ne se saluent pas ni ne remercient. L’histoire du « bonjour » racontée plus haut en est un bon exemple, mais en voici un second. Lorsqu’il fit la rencontre d’un de ses voisins, Jacques Okoué Édou lui raconta brièvement sa vie. Deux jours plus tard, il reçut la visite d’un autre voisin qu’il n’avait pas encore rencontré et ce dernier connaissait déjà presque entièrement sa vie. Évidemment, cela signifiait que les deux voisins s’étaient parlé et cela représente pour lui l’hypocrisie et un manque de courtoisie.

Malgré tout, il vit bien avec les Québécois. Au départ, afin d’assurer une bonne intégration, il suivit une formation sur l’intégration dans la société québécoise civile et organisationnelle. Cela l’a bien aidé à comprendre comment les Québécois fonctionnent et quelles sont leurs valeurs. Aujourd’hui, il se considère comme un Québécois, il a d’ailleurs adopté plusieurs expressions québécoises. Il a plusieurs amis et s’intègre bien dans le milieu organisationnel. Il a le même emploi depuis plusieurs années. Sa famille et lui vivent comme des intellectuels, c’est-à-dire qu’ils analysent et tentent de comprendre leur environnement au lieu de prendre des décisions hâtives.

Perception des Québécois face à l’Afrique

Jacques Okoué Édou a remarqué que les Québécois ont parfois des préjugés envers les Africains. Par exemple, lorsqu’il a commencé à travailler au Cégep de Limoilou, son collègue lui a dit que les Gabonais étaient paresseux. Par contre, il a vite compris qu’il ne fallait pas généraliser, puisqu’il est bien la preuve que ce ne sont pas tous les Gabonais qui sont paresseux. Alors qu’il est âgé de 45 ans, il enseigne dans deux institutions en plus d’étudier dans deux programmes à l’université. Par contre, il assure que les minorités sont bien traitées puisqu’elles sont bien protégées par la loi, comme s’ils étaient Québécois de souche.

Recommandation pour les nouveaux arrivants

Jacques Okoué Édou a des recommandations à faire, particulièrement en matière d’emploi, pour contrer les difficultés des Africains à s’insérer dans le marché professionnel. Il croit qu’une bonne formation, ainsi que la maîtrise de la culture et des valeurs québécoises sont un gage de bonne intégration et de rétention en emploi. C’est pourquoi il est important d’investir dans la formation des immigrants. Il faudrait créer des programmes pour faciliter l’entrée des immigrants sur le marché du travail puisque la plupart sont très qualifiés, mais les ordres professionnels ne reconnaissent pas les diplômes obtenus hors Canada et restreignent l’intégration. Il affirme que ça lui a pris cinq ans afin de bien comprendre le système québécois et de se considérer complètement intégré malgré les formations qu’il a suivies et son implication dans la société.

Message aux Québécois

Il veut rassurer les Québécois qui ont peur de l’arrivée des immigrants. Le Québec est un État de droit et il protège bien sa culture. Les comportements marginaux sont faibles et sanctionnés. Les Québécois doivent se rendre à l’évidence que l’immigration est une bonne solution pour contrer le vieillissement de la population et la formation d’une relève qualifiée. Fermer les frontières de l’immigration équivaut à s’appauvrir. Pour finir, il croit que le Canada est un pays jeune qui ne s’accommode pas du racisme, qui tient à se développer et mise sur la compétence.

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