Cameroun
14 Félix Emmanuel Tchagoue Datchoua
Manon Colonna D’istria
À brebis tondue, Dieu mesure le vent
Félix Emmanuel Tchagoue Datchoua est arrivé au Québec le 5 septembre 2013. Il y a rencontré Davina à qui il s’est uni en 2015, peu avant la naissance de leur fils. En plus d’être le roi du billard, Félix est ingénieur statisticien et économiste (ISE). Après l’obtention de son diplôme, il décida de poursuivre au doctorat en sciences économiques. C’est ce qui l’amena à l’Université Laval et à Québec.
Décision de quitter le Cameroun
Félix quitta d’abord le Cameroun, son pays d’origine, pour le Sénégal en 2008. Il fut admis à l’ENSAE – Sénégal à la suite du Concours de sélection des Ingénieurs statisticiens économistes, organisé par le CAPESA de Paris. Après avoir terminé ses études d’ingénieur, il travailla sur l’Enquête démographique et de santé à indicateurs multiples (EDS-MICS) avec l’Agence nationale de la statistique et de la démographie du Sénégal et USAID (Fond d’aide au développement des États-Unis) jusqu’en 2013. Il enseigna à cette même période des cours de statistiques (paramétriques et non-paramétriques), de macro-économie et de micro-économie à l’ENSAE et à l’Université de Bambey. Il appréciait de pouvoir ainsi vivre sur le terrain et enseigner les matières qu’il aimait, ce qui lui permettait de s’approprier davantage ce savoir et de trouver les mots pour bien le communiquer. Attiré par une carrière d’enseignant des universités plutôt que par une carrière d’ingénieur, il décida de quitter son cocon pour accéder au statut de « docteur ». Assistant de recherche au Centre de recherche et d’économie du développement du Sénégal, il n’était cité dans ses articles qu’en tant qu’ingénieur et souhaitait devenir « professeur ».
Il refusa une première admission à l’Université Laval en 2011, puis l’accepta en 2013. Le choix de la province de Québec se fit aisément, Félix ayant pour volonté d’approfondir l’anglais et de repartir bilingue de l’Amérique, tout en étudiant en français. Selon lui, le Canada est un pays qui a réussi son bilinguisme – le seul pays, avec le Cameroun, son pays d’origine, dont le français et l’anglais sont les langues officielles. Puis s’en vint le choix du domaine d’étude : possédant une formation de mathématicien, il décida de se spécialiser en économie appliquée aux sciences sociales. C’est ainsi que le 5 septembre 2013, il atterrit au Canada muni d’une admission à l’Université Laval et d’une bourse d’excellence.
Arrivée à Québec
En arrivant, Félix était seul et ne savait pas comment se rendre à l’Université Laval. Il ne savait pas non plus qui, sur le campus, pourrait l’accueillir ou l’héberger, comment allait se passer son futur programme… D’abord installé chez la grande sœur d’une amie, il déménagea ensuite dans un appartement à Sainte-Foy, puis obtint une chambre en résidence, sur le campus de l’Université Laval. Il s’intégra facilement grâce à des amis de Dakar qui s’y trouvaient déjà, qui le soutinrent et le préparèrent à son nouveau milieu de vie. L’un de ses camarades, arrivé au Québec depuis 2011, lui expliqua le fonctionnement de l’Université et du programme. Le BVE (Bureau de la vie étudiante) de l’Université Laval et son activité de parrainage facilitèrent son intégration, tout comme l’appui des étudiants du doctorat en économie qui réunirent les nouveaux et leur donnèrent des conseils pour réussir leur arrivée.
Le Québec est une société riche. Si vous êtes bloqué quelque part et que vous ouvrez la bouche pour demander, vous aurez des retours positifs.
Une autre expérience positive pour Félix fut sa rencontre avec l’Association des étudiants camerounais et le partage évangélique avec d’autres étudiants catholiques au pavillon Lemieux du campus de l’Université Laval. Plusieurs activités y sont offertes, comme la table du pain, la table à café, la rencontre de l’agent pastoral. Félix considère l’un d’entre eux, Jean Bernard Rousseau, comme « son grand frère Québécois », car il est ouvert et solidaire. En riant, il dit de lui : « et pourtant il est Québécois! ». La facilité de Félix à aller vers l’autre facilita son intégration. Tout semblait se profiler sous les meilleurs auspices.
Mais le 10 octobre 2013, à peine un mois après son arrivée, Félix fut victime d’un accident de la route suivi d’un délit de fuite. Percuté alors qu’il était en vélo par un conducteur qui, en tentant de doubler un véhicule immobilisé, s’est retrouvé sur le trottoir opposé, il fut blessé. Il dut ensuite redoubler d’efforts pour suivre ses cours. Heureusement, l’accident ne l’empêcha pas d’obtenir de très bons résultats.
Félix n’était pas au bout de ses peines : il fut mis hors de son programme à la suite d’une erreur humaine. En effet, un de ses cahiers d’examen fut oublié à la correction, ce qui le mit en situation d’échec. Bien que ce cahier ait été retrouvé par la suite, il était trop tard, la décision ne pouvait être modifiée, lui dit-on. Félix reçut seulement quelques excuses et on lui parla d’une seule solution, celle de le rétrograder à la maîtrise, car il était trop tard pour postuler ailleurs.
Après l’accident et la perte du cahier, Félix fut victime d’un problème administratif de taille. Il n’obtint qu’un permis d’études de deux mois, délivré et renouvelé indéfiniment. Or, sans ce permis d’études, il lui était impossible de travailler plus de 20 h par semaine et de déposer son mémoire. Il avait perdu sa bourse à cause de son changement de programme universitaire.
Les obstacles s’accumulaient depuis son arrivée : une session difficile faite de peu de sommeil et de beaucoup de travail, la perte de sa copie et la situation d’échec qui s’ensuivit. Son temps se partageait entre la résidence, la salle d’étude et la salle de cours, sans jamais de repos. Autre déception : sans aucun cours en anglais, son rêve de bilinguisme s’effritait. Triste bilan : une première année de doctorat couronnée par un échec, une deuxième à cheval entre maîtrise et emploi jusqu’à la fin de l’année 2015, puis l’attente anxieuse de la réponse des services d’immigration chaque fois qu’il devait renouveler son permis d’études. À la limite de la dépression, Félix pensa à tout lâcher pour retourner au Cameroun.
Il n’y a aucun moyen de sortie pour un « étudiant étranger ».
Cependant, tout ne fut pas que négatif. Félix est satisfait de sa formation qu’il estime de très bonne qualité, ainsi que des enseignants qu’il trouve très ouverts et accueillants, lui offrant la possibilité d’échanger avec eux autant que de rencontrer des grands noms de son domaine. Surtout, Québec lui a permis de rencontrer son épouse et lui a donné un fils qui illumine sa vie actuelle.
Félix aujourd’hui à Québec
Il sait qu’il est nécessaire de socialiser, d’aller vers les gens pour comprendre, pour partager les expériences, car « en aidant les autres, on s’aide soi-même ». Cette maxime agit comme une thérapie et lui permit de faire face aux multiples embûches de son parcours. Avec l’aide de ses amis et de sa future épouse Davina, il a pu relever la tête, relativiser et continuer son ascension.
En s’installant à Québec, il a découvert une société dynamique, riche, qui travaille de façon assidue. Il pensait être facilement reconnu dans sa branche, et par la même occasion trouver rapidement l’emploi qui lui correspondrait. Et pourtant, ce n’est pas si évident : malgré un CV fourni, un statut d’ingénieur statisticien économiste (ISE) et de mathématicien émérite, d’enseignant de renom, Félix eut de la difficulté à s’insérer sur le marché du travail. Sa formation n’est pas reconnue à Québec. Il déplore que cette société soit un peu fermée sur elle-même et ne reconnaisse que les diplômes accordés par son système d’enseignement. Il a remarqué que son domaine n’est pas le seul à être touché, que c’est assez généralisé. Comme à son habitude, Félix fait preuve d’ouverture d’esprit, car il comprend les réserves des employeurs québécois.
Ils maîtrisent leurs programmes et leur système, et il faut s’assurer que l’élément s’intègre dans le système. À chaque société ses règles.
Une fois bien intégré dans la société québécoise, Félix désira partager son expérience au niveau de la communauté et venir en aide aux nouveaux arrivants. Il devint président de l’Association des Camerounais et Camerounaises de Québec. Son rôle était d’inciter à la socialisation, d’accueillir les nouveaux arrivants et de proposer des activités de parrainage, entre autres. Par le biais de son organisation, il jumela des jeunes en formation avec des travailleurs pour les imprégner du monde du travail et faciliter la vie à ceux qui arrivent ici. Conscient que le choc culturel est grand, il sait que beaucoup de ses connaissances ont des difficultés à s’intégrer. Il organisa des parties de soccer, des sorties, des voyages, des assemblées générales et des repas, bref il organisa maintes activités pour que les nouveaux se sentent dans une atmosphère plus conviviale.
S’il apprécie la rigueur, la force de travail et la ponctualité des Québécois, il émet une réserve quant à leur franchise. Il ressent parfois une distance avec certains d’entre eux, une certaine froideur. Alors que certaines personnes semblaient ouvertes au moment de le rencontrer, notamment lors des travaux de groupe, il s’est parfois senti évité par ces mêmes personnes lorsqu’il les recroisait. Non sans humour, Félix les excuse : « peut-être qu’ils nous confondent, qu’ils ne se souviennent pas de notre visage ».
Il ne se sent cependant pas concerné lorsqu’on parle de racisme, car il n’a pas vécu de telles expériences négatives au Québec. À part une situation où un professeur a tenu des propos choquants et irrespectueux envers les personnes qui ont des diplômes d’« Afrique », il ne se souvient pas de s’être retrouvé face à un racisme clairement assumé. Par contre, il est amusé d’entendre les Québécois dire de l’Afrique qu’elle n’est pas un continent, mais un pays. Il semble y avoir une méconnaissance de la culture africaine, peut-être due à un manque d’intérêt de la part des Québécois.
Les gens vont s’intéresser à l’Afrique peut-être lorsque l’Afrique saura montrer ses richesses autrement.
Encore une fois, il excuse cette méconnaissance et reconnaît que les médias jouent un grand rôle. Il trouve déplorable le portrait misérabiliste qu’ils dressent de l’Afrique, vue comme en guerre ou représentée par des enfants qui meurent de faim et du choléra. « Mais ce n’est pas ça, l’Afrique », dit Félix.
L’Afrique, c’est plus de 50 pays, dont la majorité est en paix. L’Afrique n’est pas cet amas de terre où il n’y a que des pauvres vivants dans des arbres. Si c’était le cas, les ambassades des pays occidentaux seraient de grands arbres (rire).
Encore faut-il définir le terme de pauvre : on peut être riche matériellement et très pauvre d’esprit, on peut également être pauvre matériellement, mais être très riche d’esprit, avec un système social qui va avec.
En Afrique, il y a plus de solidarité, il y a beaucoup d’entraide et d’assistance les uns envers les autres, la société fonctionne comme un système social. C’est ce qui fait que les gens se sentent bien là-bas et pourquoi ceux qui arrivent ici ne sont pas à l’aise : c’est très capitaliste, ici.
Des conseils pour réussir son intégration
La première règle de la science, c’est l’observation. Tu as deux yeux pour regarder, tu as deux oreilles pour entendre et tu as une bouche pour parler. Alors tu peux parler moins, écouter beaucoup et observer longtemps.
Tels étaient les propos de son enseignant à l’école primaire. Félix souhaite pouvoir les partager avec les nouveaux arrivants. Il préconise cet élan vers l’autre, cette volonté de se renseigner et de ne pas rester dans l’ignorance. Plus largement, lorsqu’on questionne Félix sur l’immigration au sens le plus large du terme, il délivre des paroles sages :
Sur le plan humain, j’ai été éduqué à comprendre que l’autre vous apporte quelque chose, quelque chose de riche. Quelque chose de nouveau. La diversité peut être une richesse. Si les choses se passent toujours dans un cadre de respect mutuel, si je respecte la religion de l’autre, si je respecte ses croyances, si je respecte son orientation sexuelle, si je respecte ce que l’autre est, dans son entité, tel qu’il est, exactement tel qu’il est, comme il est, et si l’autre vous respecte en retour, je pense qu’il n’y aura jamais de problème.
Il évoque cette nécessité de respecter les valeurs du pays qui nous accueille. Le choix du Canada doit se faire si l’on se sent proche de ce pays et qu’on accepte d’en partager les valeurs. « Une richesse va se dégager de cette alliance », conclut-il.
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