Bénin
3 Charles Moumouni
Nicolas Célant
Charles Moumouni, originaire du Bénin, a 51 ans et est actuellement professeur titulaire au Département d’information et communication de l’Université Laval. Il vit au Québec depuis maintenant 21 ans, soit depuis le 27 août 1995.
Enfance et vie au Bénin
Le père de Charles était un des responsables de la compagnie ferroviaire du Bénin, l’Organisation commune Bénin-Niger (OCBN). Il occupait le poste de chef de district et, en cette qualité, dirigeait un certain nombre de gares ferroviaires. Charles a donc grandi le long du chemin de fer. Il éprouve très peu d’attachement personnel envers sa ville natale puisque son parcours le mena sur d’autres chemins.
Charles co-fonda le journal des étudiants à l’Université d’Abomey-Calavi en 1988, ce qui marqua ses débuts dans la profession de journaliste. Cette première expérience lui permit d’entrer dans le milieu journalistique professionnel du Bénin à l’avènement de la démocratie par le moyen de la Conférence nationale, deux ans plus tard. En effet, il est important de comprendre que le Bénin fut un État marxiste-léniniste pendant 18 ans. Le pays choisit la voie de la démocratie en 1990 de façon pacifique par le biais d’une conférence nationale. Il s’agit encore aujourd’hui d’une des transitions démocratiques les plus réussies de l’histoire du continent africain.
Au lendemain de cet événement majeur qui a marqué un tournant politique dans l’histoire du Bénin, il fallait animer la vie démocratique au pays. C’est ainsi que j’ai été appelé à œuvrer comme journaliste.
Une carrière sur son envol
Comme Charles était très actif dans son champ professionnel, plusieurs opportunités sont apparues rapidement.
D’abord, j’ai bénéficié d’un coup de main de la part de certaines organisations de coopération internationale, notamment la coopération française. J’ai été le récipiendiaire du deuxième prix du concours des jeunes journalistes du Bénin, ce qui m’a valu une bourse pour aller étudier au Centre de formation et perfectionnement des journalistes (CFPJ) à Paris.
Plusieurs activités culturelles menées dans le cadre de l’Ensemble artistique et culturel des étudiants de l’Université nationale du Bénin lui permirent de voyager dans la sous-région ouest-africaine, notamment au Togo, au Ghana, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire, mais jamais pour s’y installer. Ce fut différent lorsqu’il quitta le Bénin pour la capitale française où il s’installa quelques mois pour ses études. Son expérience française le mena même jusqu’à Strasbourg pour un stage au journal Dernières Nouvelles d’Alsace. Ce fut un moment très important dans le perfectionnement de sa formation.
L’appel de l’Amérique
La deuxième fois qu’il sortit longuement du Bénin, ce fut grâce à une bourse du gouvernement américain (programme Young African Leaders) qu’il reçut après avoir cofondé l’Union des journalistes de la presse privée du Bénin (UJPB). Encore aujourd’hui, cette organisation, devenue Union des professionnels des médias du Bénin (UPMB), a pour mission de former les jeunes journalistes africains de demain, que ce soit à l’aide de séminaires ou d’activités de formation. La bourse lui permit d’aller aux États-Unis faire la tournée d’une quinzaine d’États afin de comprendre la pratique du journalisme dans cette autre culture.
Ce voyage m’a ouvert vraiment les yeux sur les autres réalités du monde, ce premier programme aux États-Unis.
Peu de temps après être revenu au Bénin, il reçut une deuxième bourse, The Hubert Humphrey Fellowship (en l’honneur de l’ancien vice-président américain), valable pour une période d’un an. Cette bourse l’amena à s’inscrire pour deux sessions à l’Université du Maryland, après trois mois à la Boston University, et à vivre une première expérience de vie complète sur le continent nord-américain.
Cette bourse fut vraiment importante pour son cheminement professionnel, puisqu’elle l’amena à œuvrer comme stagiaire pour de grandes institutions américaines telles que le journal Los Angeles Times (il a même assisté au fameux procès de O. J. Simpson), Cornell University et Colorado State University.
Ces stages m’ont permis d’en ajouter encore à mes premières expériences. J’ai fait un peu de « millage », comme on dit au Québec, et c’est dans le cadre de cette bourse que j’ai eu l’occasion de venir à Québec pour la première fois.
Québec, un déclic naturel
L’Université Laval, conjointement avec l’Université Western Ontario, organisait chaque année, durant la période de ses études, une rencontre internationale sur la question du journalisme de développement. En 1994, les organisateurs cherchaient un certain nombre de journalistes africains. Comme Charles était déjà du bon côté de l’Atlantique, ils firent appel à lui.
Je crois que cela a été une rencontre déclic pour moi. D’abord pour la personne qui m’avait reçu – le doyen d’alors François Demers – mais également pour l’Université. J’ai fait le tour des États-Unis, mais curieusement, le Québec m’a plu et je m’étais dit que c’était l’endroit où je voulais terminer mes études.
Il voulait terminer ses études de droit (doctorat) en même temps qu’un diplôme en communication. Le Québec et l’Université Laval lui offrirent cette possibilité. La question de la langue fut également un facteur important dans sa décision. Une fois terminée son année au Maryland, il débarqua à Québec.
Le fait que Québec est un milieu francophone qui pouvait m’offrir rapidement l’occasion de finir mes études de droit a été déterminant. Il y avait aussi la ville de Québec : déjà, à l’époque, j’ai vu une ville que j’ai beaucoup aimée. J’ai vu une belle combinaison de nature et de culture qui m’a beaucoup charmé.
L’adaptation et l’intégration à un nouveau milieu
La période d’adaptation à son nouveau milieu fut globalement très positive. Bien sûr, il y eut les difficultés d’usage telles que les premiers contacts avec la langue parlée à Québec : c’est le français, mais un français si différent de celui du Bénin. Il a fallu à Charles du temps pour s’adapter à ces différences linguistiques, mais il se retrouva rapidement dans un milieu « tissé serré », ce qui lui fut très bénéfique. L’ambiance à l’université, dans ses cours, était très bonne et il lui fut très facile de se lier avec ses confrères de classe.
Je pense que dans l’intégration des immigrants, c’est très important, le premier milieu. Je suis entré dans un groupe très amical. On avait une vie sociale, on s’invitait à faire des activités ensemble, on sortait ensemble. Le milieu d’accueil fut donc très important.
Ayant l’objectif précis de terminer deux maîtrises en même temps, il choisit de se consacrer entièrement à ce projet et de ne pas travailler à l’extérieur. Heureusement, ses contacts avec ses enseignants furent chaleureux en raison de son bagage professionnel et il obtint la possibilité de travailler dans ses deux champs d’études dès la fin de sa première session. Il se retrouva ainsi titulaire d’un doctorat en droit (2001), d’une maîtrise en droit (1997) et d’une maîtrise en communication publique (1997) de l’Université Laval, ce qui s’ajoutait à sa maîtrise en droit (1993) et à sa maîtrise en anglais (1993) de l’Université nationale du Bénin.
Il se doutait bien qu’il devrait passer par une adaptation à l’hiver québécois, mais celle-ci ne fut pas aussi difficile qu’il avait pu le croire. Étant principalement à l’intérieur des installations de l’Université puisqu’il étudiait, travaillait et vivait sur le campus, il lui arrivait peu souvent de subir les foudres de l’hiver québécois.
Je ne me suis pas programmé pour voir les aspects négatifs de mon arrivée ici. Je suis venu par moi-même pour un but. Je me suis programmé pour ça et c’était comme si j’étais dans une bulle où je ne voyais que ce qui me poussait vers la réalisation de cet objectif.
Aujourd’hui
Charles Moumouni, tout en étant professeur à l’Université Laval, est toujours très engagé dans l’action en faveur de l’émergence des pays africains ou des pays des Suds en général. Il est, par exemple, directeur de la revue L’Année francophone internationale, une publication de huit éditions annuelles d’informations et de recherche sur les réalités politiques, diplomatiques, économiques, sociales et culturelles de 80 pays, avec plus de 100 collaborateurs à travers le monde. Il est aussi le rédacteur en chef de la revue interdisciplinaire électronique Perspective Afrique.
Chef de mission dans le cadre des Études sur l’environnement juridique, fiscal et économique des affaires pour le compte du Projet d’Appui à la Gouvernance Économique (PAGE) au Ministère de l’Économie et des Finances du Mali (2017), il a aussi été expert chef de la mission d’élaboration du Plan stratégique de communication sur les réformes structurelles et la gouvernance économique au Bénin, pour le compte du Ministère de l’Évaluation des politiques publiques et des Programmes de dénationalisation (2014). Il est directeur général de l’Institut des relations internationales et des études stratégiques (IRIES) du Bénin et professeur invité à l’Institut de recherche empirique en économie politique (IREEP), Université d’Abomey-Calavi (Bénin).
D’un immigrant à un autre
Pour lui, l’Afrique et le Québec ont beaucoup plus en commun qu’on peut le croire. Si on reprend l’histoire traditionnelle africaine, on y voit beaucoup de valeurs qu’on retrouve dans la province de Québec, notamment en ce qui a trait à l’importance de la famille.
Les immigrants doivent cependant faire preuve d’ouverture à la culture et à la réalité québécoises. Il ne faut pas s’inquiéter si les premiers contacts sont plus rudes. Les Québécois ne sont pas toujours du genre à faire les premiers pas. Les immigrants doivent y être préparés et savoir engager la conversation. En agissant ainsi, ils pourront découvrir une facette de la vie québécoise très proche de leur Afrique natale.
Normalement, un Africain qui arrive à Québec ne devrait pas avoir de problème d’intégration, puisqu’il va y trouver des valeurs qui sont assez proches de ce qu’il vit chez lui.
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