Burkina Faso
8 Boris Idriss Gervais Salou
Audrey-F. Nadeau
Le 26 août 2001, à l’âge de 20 ans, Boris atterrit à l’aéroport de Montréal après une année intense de procédures. Son frère l’attendait depuis bientôt deux heures. Le processus aux douanes canadiennes fut plus long que prévu : vérification du visa, demande de documents officiels et plusieurs questions qui lui furent posées sur les raisons de son départ et où il vivrait au Canada. Bref, toutes les questions de routine nécessaires à l’entrée au pays. L’officier lui remit finalement son permis d’étude et Boris retrouva enfin son frère qu’il n’avait pas vu depuis sa dernière visite à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, il y avait plus d’un an.
Alors que son frère le conduisait vers sa maison, il observa les alentours et remarqua que ce n’était pas comme il l’avait imaginé. En fait, ce n’était pas comme on le lui avait fait croire. Pas de gros édifices à perte de vue comme on lui avait montré à la télévision, ni même de gratte-ciel. Il mentionne : « Tu sais, lorsqu’on arrive en terre inconnue, tout ce qu’on en sait, c’est ce que l’on nous a montré et laissé croire à la télévision, dans les films ou même en photos ». C’est ainsi qu’il fit connaissance avec la réalité québécoise qui était tout autre que sa vie dans sa ville natale de Ouagadougou au cours des vingt dernières années.
Son parcours
Ayant grandi dans une famille de six enfants, Boris a beaucoup de reconnaissance pour sa maman. Son père étant décédé alors qu’il n’était âgé que de dix ans, il a beaucoup reçu de celle qui a consacré sa vie à ses enfants sans jamais se remarier. À l’âge de 11 ans, Boris quitta le nid familial pour aller étudier dans un pensionnat pendant cinq ans. Il poursuivit ensuite ses études au lycée technique de sa ville natale. Déterminé à poursuivre ses études à l’université, il obtint l’aide financière de son oncle, qui était auparavant très proche de son père, afin d’atteindre son but en venant étudier au Canada. Pourquoi le Canada? « C’est ici qu’il y a la meilleure éducation », dit-il. Cette somme lui permit de s’inscrire en génie civil à l’Université de Moncton. Il avait fait le choix de cette université parce qu’elle avait une bonne réputation et que les frais de scolarité étaient les plus bas au Canada. Par ailleurs, l’enseignement était en français, mais l’université était située dans une ville bilingue.
Malgré l’aide financière reçue de son oncle, il dut faire beaucoup de sacrifices pour obtenir son diplôme de baccalauréat (premier cycle universitaire). À cette époque, il n’était pas permis aux étudiants étrangers de travailler hors du campus. À son arrivée à Moncton, aucune recherche de logement n’avait été faite. Il a passé ses premières heures en résidence universitaire, mais comme une pension en résidence coûtait plus de 4 000 $ par session, incluant la nourriture et que ses ressources étaient limitées, il chercha une autre solution et réussit à trouver un logement plus convenable. Sa mère lui avait donné 1 200 FF (francs français), ce qui représentait à l’époque 300 dollars canadiens, pour subvenir à ses premiers besoins. On comprendra que ce montant est insuffisant pour un étudiant qui s’établit au Canada pour la première fois et qui doit tout se procurer. Après trois semaines, il ne lui restait que 5 dollars! Il se demanda comment il allait s’en sortir. Ce n’est que la semaine suivante qu’il eut accès aux fonds fournis par son oncle. Ces moments lui ont permis de comprendre qu’ici, l’argent serait le vrai nerf de la guerre et que, dorénavant, « l’argent serait son papa et sa maman ». La première année s’écoula rapidement. Tout l’argent reçu de son oncle ayant été dépensé, il devait maintenant penser à une façon de payer ses prochaines sessions. « Un guerrier fléchit, mais ne tombe pas », dit-il. Ayant toujours une solution aux obstacles qui se présentaient sur son chemin, il décida d’aller travailler aux États-Unis puisque le taux de change lui était avantageux. De cette façon, il fut en mesure d’amasser les sous nécessaires à sa session universitaire suivante. Il répéta l’expérience les années suivantes, afin de rembourser la session précédente et de payer les coûts pour la session à venir. Lors de sa quatrième année, il reçut finalement une bourse pour terminer ses études en raison de son poste de vice-président académique à la Fédération des étudiantes et étudiants de l’Université de Moncton.
Son intégration
À son arrivée au Canada, Boris ne passa que les deux premiers jours chez son frère à Montréal. Il vola ensuite de ses propres ailes vers Moncton, là où il allait passer les cinq années suivantes pour ses études. Là aussi, il fut déçu de ne pas voir de gros bâtiments comme il se l’était imaginé. « L’accueil a été chaleureux », dit-il, « mais la différence était trop grande » comparativement à sa ville d’origine et il eut besoin d’un moment d’adaptation. Il était aussi difficile de garder contact avec sa famille. « En 2001, Internet n’était pas ce qu’il est aujourd’hui au Burkina Faso et ceux qui y avaient accès avaient une connexion très lente et c’était difficile de communiquer avec eux », dit-il.
Il se nourrit de sandwichs les premiers jours suivants son arrivée avant de repérer un restaurant de style « buffet chinois » où il put manger à sa faim. Il n’était cependant pas habitué à manger sucré et eut envie de manger des plats épicés dont il avait l’habitude. À la maison, Boris avait observé plus d’une fois sa mère et ses sœurs à l’œuvre, mais jamais il n’avait vraiment concocté de plats lui-même. Heureusement, pendant son enfance, sa mère le forçait à aider les femmes de la maison lorsqu’elles apprêtaient le repas et il avait retenu comment elles s’y prenaient. Bien qu’il ne fût pas en mesure de retrouver tous les ingrédients et épices nécessaires à la préparation des repas de son pays, il fut en mesure de reproduire sensiblement les mets traditionnels par le souvenir qu’il avait de ceux-ci.
Boris est tout de suite allé vers les autres pour faire connaissance. C’est d’ailleurs ce qui a grandement facilité son intégration. À ses yeux, puisque c’était lui qui arrivait dans un nouveau pays, il était normal de faire les premiers pas et de vouloir en apprendre plus sur les gens qu’il allait côtoyer. Passionné de sport et de soccer, il demandait déjà deux heures après son arrivée s’il y avait une équipe qu’il pourrait intégrer. À sa grande surprise, il reçut un peu plus tard un appel du capitaine de l’équipe de soccer de l’université, les Aigles Bleus, l’invitant à se joindre à eux en après-midi. C’est ainsi qu’il intégra immédiatement l’équipe. C’est aussi en partie pour cette raison que son intégration s’est bien déroulée puisqu’il s’est tout de suite lié à un réseau de gens ayant la même passion que lui.
Par la suite, il poursuivit ses études par une maîtrise dans le même domaine à l’Université Laval, se spécialisant davantage en gestion de la ressource hydrique. Pourquoi l’Université Laval à Québec? « À la suite d’une invitation de l’équipe de soccer du Rouge et Or » dit-il. Il obtint d’ailleurs à plusieurs reprises la mention de joueur par excellence du circuit. Sa philosophie? « L’excellence est un art que l’on n’atteint que par l’exercice constant. Nous sommes ce que nous faisons de manière répétée. L’excellence n’est donc pas une action, mais une habitude » (Aristote). C’est de cette façon que Boris agit, dans le but de devenir toujours meilleur et de donner le maximum de lui-même. On le surnomme d’ailleurs « guerrier » depuis toutes ces années puisqu’il a toujours fait preuve de ténacité et de volonté en donnant le meilleur de lui-même. C’est dans cette pensée qu’il agit et qu’il pousse son entourage à se dépasser.
Boris aujourd’hui
« Il y a encore beaucoup à faire et à apporter », dit-il. Au Québec, les écoles disposent de programmes sport-études qui permettent aux jeunes de s’épanouir et favorisent ainsi l’engagement scolaire, mais ce genre de programme n’existe pas au Burkina Faso. De plus, des études démontrent que le sport permet de cultiver l’esprit compétitif et la confiance en soi tout en augmentant la discipline personnelle. Aussi papa d’une petite fille, il aimerait que celle-ci soit sûre d’elle et confiante de sa propre valeur, car c’est selon lui un des plus beaux cadeaux que l’on peut se faire à nous-mêmes. Toujours motivé à en faire plus, le Burkinabé d’origine n’écarte pas la possibilité de retourner dans sa ville natale pour travailler au développement de celle-ci. À l’emploi de la Ville de Québec comme ingénieur civil depuis plus de neuf ans, Boris redonne aussi beaucoup à sa communauté. Ancré dans ses racines, il est président et fondateur d’un organisme à but non lucratif qui vient en aide aux enfants dans les pays en voie de développement. Plus précisément, le principal objectif de l’organisme en question est de voir à l’amélioration de la qualité de l’enseignement en fournissant du matériel pédagogique, informatique, sportif et éducatif aux élèves et aux enseignants. L’organisme 360 Développement accompagne plusieurs établissements d’enseignement primaire publics dans les tâches d’éducation et de formation en remettant des dons. Depuis 2010, du matériel sportif et scolaire a été remis à plus de 30 000 jeunes élèves burkinabés dans le but de les motiver à poursuivre leurs études et ainsi augmenter le taux d’alphabétisation de leur population. En 2015 seulement, une vingtaine d’écoles primaires ont pu bénéficier de plusieurs centaines de maillots, ballons et manuels scolaires.
Le Québec versus l’Afrique
Tout comme il se l’était imaginé lui-même, certains Québécois qui ont croisé son chemin avaient une idée préconçue de l’Afrique. Tel que montré à la télévision et dans les films, la majorité d’entre eux avaient l’image d’enfants mal nourris, de pauvreté et de tueries. On lui demanda même à la blague s’il était arrivé à la nage… Toujours souriant et ouvert à l’échange, Boris répondait patiemment en tentant de développer la curiosité de ceux qui le côtoyaient.
L’une des différences les plus marquantes selon lui entre le Burkina Faso et le Québec concerne le niveau d’entraide.
Ici à Québec, dit-il, nous avons l’assurance et la technologie : c’est principalement pour ces raisons que le partage, l’entraide et l’échange sont moins marqués. Dans mon pays, même un vélo peut transporter plusieurs passagers. Ici, s’il arrive un incident à notre maison ou notre voiture, ce sont les assurances qui débourseront plutôt que d’avoir à demander l’aide à nos voisins.
Tout cela fait en sorte que les Québécois sont plus individualistes que les Burkinabés. Là-bas, au Burkina, comme les moyens financiers sont moindres qu’ici au Québec, l’entraide devient une chose primordiale. « Pourquoi posséder chacun de nous un barbecue ou une piscine alors qu’on ne les utilise que quelquefois par année? Nous pourrions les partager entre voisins? » Il en est de même pour le volet médical. Au Québec, nous avons un système de santé remarquable et tout sera payé à partir du moment où l’on entre dans un hôpital. En Afrique, c’est la famille qui doit s’occuper de la personne souffrante et débourser pour tout le matériel utilisé, jusqu’aux gants de latex des soignants.
Boris raconte aussi une anecdote vécue par son oncle lors de ses premiers jours au Québec pour expliquer que la première expérience est souvent déterminante. Alors qu’il prenait place dans un autobus où il n’y avait que quatre passagers, l’oncle décida de se joindre à une dame afin de lancer la discussion et ainsi rendre le voyage plus intéressant, mais celle-ci se leva et changea de place. Pour lui, ce fut une expérience marquante puisqu’il essayait seulement d’échanger et s’intéresser aux personnes avec qui il allait faire la route, alors que la dame voulait être seule. On peut cependant voir la situation positivement si l’on en conclut qu’on peut facilement être seuls et dans la tranquillité au Québec. C’est d’ailleurs l’une des choses que sa mère préfère lors de ses passages à Québec, puisqu’elle est rarement seule dans sa maison de Ouagadougou. Comme c’est très familial et convivial, elle est la plupart du temps en compagnie de personnes qui lui rendent visite. Boris explique aussi qu’en raison des faibles moyens financiers des familles et de l’importance primordiale des liens familiaux, les résidences pour personnes âgées n’existent tout simplement pas au Burkina Faso. Les aînés sont aux petits soins de leur famille immédiate. Finalement, l’écoute est aussi une chose très importante dans la culture africaine. Il est essentiel de prendre le temps d’écouter ses proches, mais aussi de prendre le temps pour soi.
Ses conseils personnels
Selon Boris, le meilleur exemple à suivre pour s’intégrer serait le suivant : agir comme en voyage, c’est-à-dire observer et apprendre. En effet, lorsque nous sommes en terre inconnue, nous agissons avec prudence et dans le respect des personnes qu’on visite. Dans une situation d’immigration, ce conseil va dans les deux sens : les immigrants comme les habitants locaux doivent faire preuve d’ouverture et de curiosité envers leurs différences mutuelles. Les Québécois ont beaucoup à partager avec les immigrants, mais ont aussi beaucoup à apprendre d’eux.
À l’ère des nouvelles technologies où toutes les possibilités sont envisageables, il est aussi important d’avoir une certaine ouverture sur le monde et sur les différentes cultures. Beaucoup d’entre nous aimons voyager et en apprendre plus sur les différences culturelles. Cette curiosité devrait aussi se diriger vers les immigrants de notre ville. Boris suggère de s’investir dans des activités de groupe selon nos intérêts, comme dans le sport ou la musique, pour favoriser les liens entre personnes d’origines différentes.
Nous apprenons et apprendrons toujours et c’est pourquoi il ne faut pas avoir peur d’aller vers les gens pour échanger.
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