Guinée
33 Cellou Barry
Mélissa Marzouk
Cellou Barry a passé la plus grande partie de sa vie à Conakry, capitale de la République de Guinée, où il a complété ses études. Il est père de trois enfants. Ses deux plus vieux (31 et 19 ans) habitent la Guinée, tandis que son plus jeune, Baben Ahmadou, âgé de 7 ans, est né à Québec et vit avec sa femme Nathalie, originaire de Ste-Hyacinthe, et lui. Cellou Barry est le fondateur des pages Facebook « Touche pas à mon Afrique » (347 j’aime), « Conakry en héritage » (359 j’aime) et « Avec vous et moi la Guinée gagnera » (1045 j’aime). Voici le portrait de cet homme inspirant.
La vie avant d’immigrer
C’est vers la fin des années 1980 que Cellou pensa à quitter la Guinée pour compléter ses études au Canada. Une conseillère culturelle de l’Ambassade du Canada à Conakry lui parla des possibilités et lui donna des informations sur l’Université de Montréal. Suivant ses conseils, Cellou fit les démarches nécessaires pour obtenir une bourse d’études. Peu de temps après, il obtint la Bourse de la francophonie, ce qui lui permit de concrétiser ses plans de venir étudier au Canada. C’est ainsi qu’en 1991, il entama sa maîtrise de sociologie à l’Université de Montréal. Par la suite, il travailla quelques années à titre d’agent de recherche à Montréal puis fit un doctorat en urbanisation à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) à Québec. En 2011, il déménagea à Québec pour travailler dans la fonction publique. C’est au début de ses études qu’il rencontra sa femme. Ils complétèrent leur doctorat ensemble.
Son arrivée au Québec
L’arrivée au Québec de Cellou ne s’est pas faite sans embûches. « C’était un changement radical. Le plus dur était de s’adapter aux études, à la vie et au climat », raconte-t-il. Dans les premiers mois, il ressentit beaucoup d’anxiété par rapport à la réussite de ses études. Il s’agissait d’un contexte complètement nouveau pour lui. Malgré la langue française commune que partagent la Guinée et le Québec, plusieurs lectures obligatoires étaient en anglais à l’Université de Montréal, ce qui l’obligea à suivre des cours pour s’adapter rapidement à cette réalité. Il était très important pour Cellou d’assimiler ce nouveau mode de vie et de devenir rapidement fonctionnel, car il voulait avoir des bons résultats et était prêt à faire les efforts nécessaires en ce sens. Les méthodes d’enseignement au Québec lui semblaient vraiment différentes de celles de Guinée, surtout les modes et les exigences de l’évaluation.
En Guinée, on peut prendre plusieurs cours, mais il n’y a pas beaucoup d’exigences d’évaluation. La charge est beaucoup plus grande au Canada, explique-t-il. La question du temps est une réalité très importante au Québec. On ne peut pas se contenter seulement de ce qu’on fait en classe, il faut apprendre à faire du travail supplémentaire, ajoute-t-il en expliquant que ça ne se passe pas comme ça en Guinée.
Malgré les difficultés, Cellou dit avoir reçu du soutien de l’Université de Montréal. Une aide était offerte aux étudiants étrangers et aux boursiers de la Francophonie pour les aider à mieux s’intégrer à la réalité québécoise.
En plus des défis universitaires, Cellou a dû apprendre toutes les choses qui permettent de bien fonctionner dans la société québécoise : faire la cuisine, l’épicerie, en somme s’adapter à son nouvel environnement. « Ma préoccupation était plutôt celle de l’apprentissage du quotidien, celle de bien réussir » dit-il. Pour Cellou, apprendre à cuisiner à la québécoise a été tout un défi. En Guinée, la cuisine est surtout faite de sauces à base de feuilles, d’arachides, de noix de coco et d’épices. « J’appelais ma cousine qui habitait aux États-Unis et elle m’apprenait à faire la cuisine », explique-t-il en riant.
À travers ces difficultés, Cellou dit avoir beaucoup appris au Québec, que ce soit pour ses études ou pour la vie en général. Par rapport au monde du travail, il considère qu’il y a beaucoup plus d’objectivité et de justice au Québec qu’en Guinée. Il a constaté au fil des années que l’éducation est très valorisée au Canada et que les étudiants ont la chance d’apprendre vraiment. « En Guinée, il y a toujours des gens qui ne font pas d’efforts, qui donnent de l’argent pour avoir de bonnes notes et qui continuent à évoluer… Ici c’est l’effort qui paye et non pas l’argent » explique-t-il.
Il a été difficile pour Cellou de comprendre et de s’adapter à certaines valeurs québécoises. « Ici, chacun est centré sur son individualité et il faut accepter ça » exprime-t-il en expliquant qu’en Guinée, c’est plus facile de tisser des liens. Quand il est arrivé au Québec, ce sont des choses qu’il ne comprenait pas nécessairement, mais il dit s’y être habitué. « Un jour tu salues ton collègue et il te répond, le jour suivant tu salues ton collègue et il ne te répond pas et c’est normal » dit-il en rigolant. Les relations interpersonnelles au Québec ne sont pas les mêmes qu’en Guinée, elles ne sont pas constantes et cela se reflète également dans la vie de tous les jours selon Cellou. « Ici quand tu connais quelqu’un, ça ne veut pas dire que c’est ton ami », ajoute-t-il.
Aujourd’hui
Cellou habite aujourd’hui à Québec avec sa femme et son fils. Il travaille désormais pour une compagnie d’assurances et retourne en Guinée tous les deux ans. Il dit avoir encore d’excellents liens avec son pays d’origine et avoir même adopté deux de ses neveux et une de ses nièces, qui résident désormais au Québec. De temps en temps, il va à Montréal visiter sa famille, ses amis et participer à certaines activités culturelles. Il explique vivre plusieurs expériences et interactions positives avec les Québécois surtout grâce à son fils, ses amis québécois et sa belle-famille. Il dit être très proche de son beau-père! Aussi, il entretient de très bonnes relations avec ses clients, qui sont selon lui très gentils et ouverts.
Malgré tout, il y a encore aujourd’hui des choses qui le choquent.
Ici, dans les lois, tout le monde est égal, mais ce n’est pas comme ça dans la réalité. Moi j’ai fait mes études avec des collègues québécois et ils ont évolué plus facilement que moi.
Il a vu et vécu la différence et les injustices, notamment en termes d’emploi et d’avancement. Sa femme, par exemple, est titulaire du même doctorat que lui et semble avoir plus d’ouverture que lui sur le plan professionnel, tout comme plusieurs de ses collègues universitaires. Il a vécu des injustices et de la discrimination lorsqu’il travaillait dans la fonction publique. « Ce sont des choses qui arrivent, mais c’est sûr que c’est difficile à comprendre quand ça nous arrive à nous », exprime Cellou. Cela dit, il se montre extrêmement positif par rapport à ce genre de situation. Selon lui, il ne faut pas s’arrêter dès que ça va mal et il faut toujours persévérer.
Si les gens sont confrontés à quelque chose qui est étranger, ils réagissent, mais souvent c’est par ignorance, ce n’est pas par méchanceté… si tu ne connais pas quelque chose, tu t’en méfies » dit-il.
Selon lui, il faut apprendre à prendre ce qui est avantageux et laisser ce qui est désavantageux. Il a malheureusement vécu plusieurs expériences de discrimination avec la police de Québec. À plusieurs reprises, il a été arrêté à tort et accusé de commettre des infractions injustement. Selon lui, il y a un décalage important entre Québec et Montréal. « On dirait que les policiers à Québec ne sont pas formés par rapport aux étrangers ». Beaucoup de ses collègues africains sont partis en Ontario, en Alberta, en Europe ou sont retournés dans leur pays d’origine après avoir vécu plusieurs années au Québec, et ce, parce qu’ils se confrontaient toujours aux mêmes réalités difficiles.
L’image de l’Afrique et les perceptions ont beaucoup évolué depuis mon arrivée au Québec, mais globalement ce n’est pas une perception positive que les gens ont de l’Afrique, surtout à cause des médias qui véhiculent des images négatives et alarmistes.
Selon lui, l’immigration représente une chance pour le Québec et, si le Québec n’en profite pas, il va perdre cette chance au profit des autres provinces.
La solution réside dans l’ouverture aux autres. « Il faut s’ouvrir, il faut aller vers les gens d’ici, il faut aller là où il y a de l’aide disponible et du soutien. Il ne faut pas s’isoler » explique-t-il. S’il devait donner des conseils aux nouveaux arrivants, il leur suggèrerait de ne pas avoir peur de faire les premiers pas et de ne pas renoncer, même si parfois ça ne marche pas.
Enregistrer
Enregistrer
Enregistrer
Enregistrer
Enregistrer
Enregistrer
Enregistrer
Commentaires/Errata